La régionalisation est devenue un véritable enjeu de développement pour notre pays. Un défi qu’on se doit de relever pour être parmi les pays les plus émergents et démocratiques.
Dans l’entretien qui suit l’un des pionniers de la décentralisation au Mali M. Ousmane Sy ancien ministre de la République nous parle des motivations de l’Etat pour la régionalisation, le mode de scrutin et surtout le transfert de compétence.
Yéko : Pourquoi cette motivation du gouvernement malien pour la régionalisation ?
Ousmane Sy : Vous savez les débats sur la décentralisation ne sont pas nouveaux, en fait c’est une volonté qui existe depuis l’indépendance de ce pays. La première Constitution du Mali en 1960 avait prévu la décentralisation, mais qui n’a pas pu se faire pour des raisons politiques. L’ère était au parti unique. Le parti unique ne peut pas admettre la décentralisation. Avec l’avènement d’un régime démocratique, et du pluralisme politique on est allé à la décentralisation. D’ailleurs, lors de la conférence nationale, le débat a repris et on a recommandé la régionalisation, si on veut changer le Mali, si on veut plus de bonheur pour les Maliens et rendre les Maliens responsables, il faut aller à la décentralisation. Le processus a ainsi été entamé sous le régime du Président Alpha Oumar Konaré. Malheureusement on est tombé dans une crise par ce qu’on n’est pas allé directement à la décentralisation. Le débat est revenu encore, donc en réalité les motivations c’est un Mali meilleur, un Mali ou chaque citoyen est responsable là où il est pour travailler au développement du pays. Le développement du Mali commence d’abord par celui du village ensuite la commune, la région. Je crois que si chacun de nous est responsable là où il vit et s’engage dans le développement, c’est notre pays tout entier qui va se développer. Voila les motivations centrales de la régionalisation.
Yéko : Comment seront-ils élus les présidents des régions ?
Ousmane Sy : Il va avoir un changement fondamental. Vous savez depuis qu’on a commencé la décentralisation les présidents des régions étaient élus par suffrage indirect. C’est-à-dire on élisait les conseillers municipaux qui, à leur tour élisent les conseillers de cercle et les conseillers de cercle élisent les membres du conseil régional qui élisent à leur sein le président. Maintenant le changement majeur pour donner plus de force à la région, le président de la région va être élu par tous les citoyens de la région. Si je prends le cas de Ségou c’est tous les électeurs de la région qui éliront le conseil régional sur la base de liste comme ça se fait aujourd’hui dans les élections communales. Et c’est la tête de liste majoritaire c’est-à-dire, le premier de cette liste qui va être le président de la région. Donc le président et le conseil vont avoir une légitimité forte, une légitimité directe, un choix direct des citoyens de la région, donc ce qui fait que vraiment c’est une grande force ; un grand pouvoir qu’on leurs donnent.
Yéko : M. le ministre, Est-ce que les élections régionales seront-elles couplées avec les élections communales ?
Ousmane Sy : Oui dans un souci purement économique, quand on fait deux ou trois élections ensemble on économise toujours. Le Mali est dans une difficulté énorme. Ça ne nous gène en rien qu’on couple les élections communales et les élections régionales.
Yéko : les gouverneurs resteront ‘ils toujours sur place ?
Ousmane Sy : En réalité, le gouverneur est le représentant de l’Etat. Et l’Etat va continuer à suivre les activités dans la région. Tout ce qui va être décidé dans la région va se faire sous le contrôle de l’Etat. Donc les gouverneurs seront là pour surveiller et voir si tout se fait conformément à la loi. Mais ce qu’il faut souligner, le chef de la région demeure le président du conseil régional. Il faut que ça soit très clair ; le chef de l’exécutif de la région c’est le président du conseil régional, donc le chef de tous ceux qui travaillent pour le développement de la région.
Yeko : La régionalisation ne va-t-elle pas poser de problèmes, vue l’autonomie qu’on accorde aux élus ?
Ousmane Sy : non je ne pense pas. Je pense que le fondement de la décentralisation même est une autonomie qu’on ne donne pas au territoire, mais plutôt à ceux qui gèrent le territoire. La décentralisation ne gêne à rien l’unité nationale. D’ailleurs on a tort d’avoir peur de la régionalisation. Quand on a peur de quelque chose on n’en parle pas et quand on n’en parle pas d’autres l’utilisent contre toi. Même le mot fédération, n’ayons pas peur d’en parler. Est ce que l’intérêt des Maliens se trouve aujourd’hui dans la fédération ? Si la majorité des Maliens décide que oui, mais ça va se faire, mais la majorité des Maliens disent non, ça ne se ferra pas. Avec l’autonomie, la loi définit là où vous êtes autonome, on ne fait pas ce que l’on veut. C’est la loi qui dans telle situation indique que l’Etat reconnaît et accepte que vous décidiez vous-mêmes. Mais s’il n’y a pas de danger dans ça. Donc je crois que le mot autonomie ne devrait pas nous faire peur.
Yeko : Est ce que l’Etat prévoit des subventions pour les régions dans le transfert de pouvoir ?
Ousmane Sy : Oui c’est prévu. Il y’a des ressources propres à la région mais des ressources budgétaires, qui vont venir de l’Etat. Si nous prenons le cas de la fiscalité, par exemple la TVA, qui est un impôt de l’Etat peut décider de verser une partie à la région. Je le dis et je le répète ce Mali a besoin aujourd’hui de mieux vivre. La crise que nous vivons aujourd’hui a mis le pays sens dessous-dessus. Pour faire revivre le pays, il faut le faire à partir des régions. Faire repartir le Mali à partir de ses réalités socio-économiques c’est la meilleure façon. Pour construire une maison, on commence par le soubassement et après on fait le toit. Mais nous avons toujours voulu construire la maison Mali par le toit. « A té gné ». Si dans chaque région du Mali, les gens ont l’autonomie nécessaire pour créer la richesse, créer l’emploi, c’est tous les Maliens qui vont en bénéficier. Donc je crois qu’on ne devrait pas avoir peur, on peut être inquiet devant le changement, c’est normal. Il ne faut pas être inquiet et arrêter. Il faut être inquiet et bouger, parce que si on ne bouge pas, comme je l’ai dit, des gens vont venir derrière notre dos et nous pousser et ça, on risque de tomber. Alors bougeons de nous mêmes.
Propos recueillis par :
Mahamadou Niambelé
Albert Kalambry
Source: Yeko