Ancien Premier ministre malien, de la transition Soumana Sako est un des artisans de la démocratie malienne, en construction depuis mars 1991. L’heure est à une refondation, un tournant de notre histoire, dans lequel son modelage compte. Acteur politique, président de la CNAS-Faso Hèrè, Soumana Sako répond sans détour aux questions de votre quotidien. Il prône la convocation d’un véritable Congrès Extraordinaire du Peuple malien qui aborde les grandes questions relatives à la refondation démocratique de l’Etat, à la crise du Nord. Mais pour lui, cette rencontre ne doit pas prendre en compte « le rebelle professionnel Iyad Ag Ghaly
Que pensez-vous du processus de paix avec la reprise de la guerre entre les parties au nord du Mali ( Menaka, Goundam, Lere, Diré…) alors que la signature de l’Accord de paix est prévue le 15 mai ?
Notre parti, la CNAS-Faso Hèrè, estime que, loin d’être un processus de paix, ce qui a été engagé à Alger consacre en fait une violation flagrante de la Constitution du 12 janvier 1992, la légitimation de groupes armés séparatistes dépourvus de toute représentativité, la fin du caractère républicain, unitaire et laïc de l’Etat malien, la transformation de celui-ci en un système confédéral – ce n’est pas par hasard que la Suisse figure parmi les parrains du MNLA- sous le couvert délibérément trompeur d’une régionalisation qui, avec la reconnaissance du fantasmagorique « Azawad » comme nation, prépare pour demain le lit politique, juridique et diplomatique à la sécession d’une partie des régions nord de notre pays. Or, en dépit d’une campagne médiatique forcenée appliquant la méthode Coué, le Peuple malien rejette l’Accord d’Alger.
Les groupes armés séparatistes et leurs alliés circonstanciels dhihadistes le savent ; c’est pourquoi ils multiplient les attaques armées contre de paisibles populations civiles et les représentants des pouvoirs publics. Le Peuple malien est conscient qu’il n’a rien de bon à attendre du processus d’Alger, raison pour laquelle il organise la résistance et l’auto-défense face aux atermoiements de l’Etat malien aujourd’hui passé sous la coupe du camp de la démission nationale.
L’Etat malien et la médiation internationale sont parvenus à un accord paraphé, tout au moins ?
Avec l’Accord que le Gouvernement a paraphé à Alger avec une légèreté déconcertante et dans le mépris total des Forces Vives Patriotiques du Mali, se poursuit entre le Mali et la soit disant « communauté internationale » le marché de dupes que la CNAS-Faso Hèrè avait dénoncé dès le 5 avril 2012 et consistant, pour la communauté internationale, à prétendre nous aider à combattre les djihadistes pour tout simplement remettre en selle les séparatistes, feignant d’oublier que ceux-ci s’étaient associés à ceux-là pour attaquer le Peuple malien et soumettre nos frères et sœurs du Nord et d’autres régions à une occupation de type nazi.
Qu’y a-t-il lieu de faire en ce moment ?
Ce qui intéresse la CNAS-Faso Hèrè, c’est de savoir si, tirant profit de l’impasse de l’Accord d’Alger, le Gouvernement malien va finalement reprendre l’initiative politique et diplomatique du processus de paix en vertu du principe d’appropriation nationale du processus de sortie de crise et en mettant en mouvement un véritable dialogue inclusif intra- et intercommunautaires qui, sur base d’une vision stratégique qui a cruellement manqué au Gouvernement, s’attaque aux vraies causes des rébellions armées à répétition, savoir, les survivances féodales et esclavagistes et racistes, notamment dans la région de Kidal, instrumentalisées par des puissances africaines et extra-africaines convoitant les ressources naturelles et autres atouts géostratégiques de notre partie du Sahara ou rivalisant d’ardeur pour vassaliser notre pays.
Cela dit, au-delà de notre qualité de citoyen malien, nous ressentons particulièrement les souffrances de nos frères et sœurs des régions les plus directement affectées par la crise, ayant passé une bonne partie de ma tendre jeunesse à Bourem, Diré, Djenné, Mopti, Gao et Tombouctou et ma mère venant de Dia. Plus tôt viendra une paix véritable débarrassée de toute emprise des séparatistes, djihadistes et autres terroristes, mieux se porteront tous les enfants du Mali et plus tranquilles seront les autres Etats de la sous-région, voire du reste du monde.
Que pensez-vous de la situation sociopolitique au Mali ?
Les élections générales de 2013 offraient à notre Peuple l’opportunité de prendre un nouveau départ pour une démocratie performante, une nation réconciliée avec elle-même et avec son passé, sécurisée à l’intérieur comme à l’extérieur, reprenant confiance en elle-même et en son avenir mais sans arrogance ni chauvinisme, s’ouvrant à la coopération internationale mais jaloux de sa souveraineté et des intérêts supérieurs de notre Peuple, remobilisée pour la construction du bonheur commun par le labeur comme nous y engage notre hymne national, offrant à tous ses enfants des chances et opportunités égales et retrouvant les valeurs qui nous grandissent individuellement et collectivement.
Malheureusement, le régime actuel a, dès le départ, offert de notre pays le spectacle scandaleux de mauvaise gouvernance politique, économique et financière et d’insouciance face aux cris de détresse du Peuple des villes et des campagnes.
Dans le scepticisme général, le FMI affirme sans sourire que le Mali a enregistré un taux de croissance réel du Produit Intérieur Brut (PIB) de 7,2 % en 2014. Au delà du débat bien connu sur la validité du PIB comme mesure du développement économique et du fait qu’il s’agit largement d’un simple rebond statistique – autrement dit, un ‘’statistical artefact’’- dû à la faible base de 2013, il convient de souligner que les statistiques économiques – y compris celles relatives à la production agricole – dans la plupart des pays africains, y compris le Mali, sont rarement fiables et à jour. Ensuite, compte tenu de l’importance des investissements directs ou indirects étrangers dans des secteurs et branches-clé de l’économie (mines, banques et assurances, commerce, transports, téléphonie cellulaire, etc…) il y a fort à parier qu’une bonne partie de la richesse nouvelle ainsi créée en 2014 est allée à des non-résidents.
Alors cette croissance, cette richesse supposée n’est pas perceptible par les populations ?
Pour ne rien arranger, les inégalités sociales persistantes font que ce taux de croissance a peu d’impact sur la réduction de la pauvreté et l’amélioration du niveau de vie des couches urbaines et rurales. Pour tout dire, en dépit des déclarations du FMI, il est indéniable que les conséquences de la crise politico-sécuritaire et l’absence de toute initiative majeure de la part du Gouvernement pour renflouer et relancer l’économie et engager des réformes structurelles profondes, aggravées par le sentiment perceptible de déception des couches populaires qui ont largement porté l’actuel régime au pouvoir en 2013 font que la situation sociale reste très fragile et volatile.
Les pouvoirs publics, s’emmurant dans une sorte de tour d’ivoire, continuent à faire preuve de réticence à l’égard de tout dialogue politique ou social sur les grands enjeux de la nation, y compris la crise qui secoue le Mali notamment dans ses régions nord. Pendant ce temps, nos sœurs et frères résidant dans les régions Nord se sentent abandonnés, voire trahis par l’Etat et dupés par la communauté internationale alors qu’un peu partout, à travers le pays, une colère de plus en plus audible et véhémente gronde contre l’insécurité, l’injustice, les difficultés de la vie quotidienne, la corruption ainsi que contre les carences de l’Administration et des services sociaux de base.
Que proposez-vous pour sortir de l’impasse ?
La CNAS-Faso Hèrè renouvelle donc son appel à la convocation d’un véritable Congrès Extraordinaire du Peuple malien qui aborde les grandes questions relatives à la refondation démocratique de l’Etat, à la crise du Nord, au renforcement de l’unité et de la concorde nationales, à la transformation de l’économie de traite et de rente actuelle en une véritable économie moderne bénéficiant d’abord au Peuple malien, particulièrement les couches laborieuses et les investisseurs nationaux, à la mise en chantier de réformes sociales qui libèrent la femme du joug obscurantiste et le génie créateur de la jeunesse, à la refondation de l’école, à la revalorisation de nos valeurs culturelles et sociétales positives, à la justice sociale et à la lutte contre la corruption, à la professionnalisation de notre Administration, au renforcement de l’outil de défense nationale au service de l’intégrité territoriale et de la restauration pleine et entière de la souveraineté nationale et internationale du Mali, à la sécurité des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire national et à la prise en compte du changement climatique pour le bien-être des générations d’aujourd’hui et de demain.
Le centenaire de la naissance du Président Modibo Keïta, ce grand patriote intègre, grand panafricaniste et grand champion de l’unité africaine et de l’affirmation de la dignité de l’homme africain qui a dédié toute sa vie à la construction nationale ainsi qu’au renforcement de l’unité nationale, doit être mis à profit par le Président de la République pour convoquer ce Congrès Extraordinaire du Peuple Malien au courant de cette année 2015.
Quelle place réserver à Iyad Ag Ghaly dans le processus de paix ?
Iyad Ag Ghaly a été l’instigateur et l’initiateur de toutes les rébellions armées qui ont secoué et continuent de secouer le Mali depuis 1989/1990. Voilà quelqu’un qui veut être Chef alors que, selon les règles de la communauté très hiérarchisée des Ifoghas, il ne peut pas être Aménokal. Pour assouvir ses desseins mégalomaniaques, il n’a pas hésité cette fois-ci à se jeter corps et âme dans les bras des terroristes et autres narcotrafiquants et preneurs d’otages d’AQMI. C’est à juste titre qu’après l’attaque de Konna en janvier 2013, il a été inscrit sur la liste des terroristes alors même qu’il aurait dû y figurer depuis les massacres commis à Aguelhock en janvier 2012.
Mais voilà quelqu’un qui semble fortement soutenu et manipulé par le Qatar et les services spéciaux du pays chef de file de la Médiation internationale et a même réussi à faire accepter ses lieutenants à Ouagadougou en juin 2013 ainsi qu’aux pourparlers d’Alger sous l’appellation changeante de MIA (Mouvement Islamiste de l’Azawad), HCA et, aujourd’hui, de HCUA (Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad). Ce professionnel de la rébellion armée fait partie du problème et pas de la solution. La paix ne saurait se construire sur l’impunité pour les auteurs et commanditaires de graves crimes de guerre et autres crimes contre l’Humanité.
Propos Recueillis M K Diakité, B. Daou
A suivre