Excellence Monsieur le Président de la République, nous nous félicitons du temps que vous consacrez à cette Cérémonie solennelle de remise du rapport annuel du Vérificateur Général, marque à laquelle, soyez- en certain, nous sommes tous au sein de cette institution très honorés et nous vous en remercions très chaleureusement.
Je voudrais donc vous exprimer toute notre fierté pour l’occasion que vous nous offrez, dans le cadre de l’application de l’article 18 de la loi instituant le Vérificateur Général de vous remettre solennellement le rapport annuel 2013 qui compte 130 pages et celui de 2014 de 145 pages.
Comme à l’accoutumée, nous accompagnerons cette remise, de nos observations et suggestions, sur la qualité de la gestion des deniers publics, de l’évaluation des actions entreprises par les pouvoirs publics pour améliorer la maitrise et la gestion des risques stratégiques et opérationnels et enfin de la contribution du BVG, dans la mise en œuvre de la politique de lutte contre la corruption et les infractions de délinquance économique et financière.
Excellence, Monsieur le Président de la République, les vérifications de ces deux années ont porté sur des domaines assez variés, de performance, de suivi des recommandations de précédentes missions et enfin, de financière.
Des structures centrales et déconcentrés ont été également concernées ainsi que des programmes de développement et des délégations de service public donnant ainsi une lisibilité raisonnée de l’éventail des dysfonctionnements de notre administration.
Cette diversification des vérifications a révélé un essor considérable d’une gestion publique qui, somme toute, cacherait des formes nouvelles de fraude et traduirait les contours de l’imagination audacieuse et tendancielle de certains gestionnaires, même si, il faut le noter, certaines améliorations ont été constatées au niveau de certains services vérifiés.
De ces insuffisances on dénombre des faiblesses et irrégularités récurrentes dont la non-application à dessein des textes législatifs et réglementaires, la mauvaise gestion des dépenses effectuées au niveau des régies, la multiplication injustifiée des contrats simplifiés pour éviter les appels d’offres, la non-justification et la non-éligibilité de dépenses, la réception de biens non conformes aux commandes, l’octroi d’avantages injustifiés, la fabrication et l’usage de faux documents pour justifier des dépenses fictives, des manipulations des offres par les commissions de dépouillement et d’évaluation dans les opérations de passation des marchés publics, le non-reversement au Trésor Public de ressources collectées, et enfin de la réalité et de l’effectivité de certaines missions administratives.
Ces situations qui concernent pour certains cas, des montants irrécouvrables ont porté un préjudice énorme à l’Etat: 80,21 milliards de FCFA dont 12,28 de fraude et 67,93 milliards de mauvaise gestion, au titre du rapport annuel 2013 et 72,97 milliards de FCFA dont 33,95 de fraude et 39,02 milliards de FCFA de mauvaise gestion, au titre du rapport annuel 2014. Ces montants concernent pour la plupart les exercices de 2010 à 2013.
Excellence Monsieur le Président de la République, la logique de performance qui fonde nos politiques publiques doit exiger une gestion plus orientée par la culture des résultats, par la mise en œuvre des outils et mécanismes modernes de gestion des finances publiques. Il est clair que, le périmètre des missions de l’Etat étant si vaste, seule une optimisation des dépenses publiques peut favoriser l’atteinte des objectifs de développement économique et social.
Ensuite, les vérifications ont démontré que presque seules les périodes administratives et les responsables publics changent, mais les pratiques et les faits accablants de la gestion publique semblent demeurer et se renforcer. Le principe régalien qui fait de l’Administration une continuité, quelle que soit la fréquence dans le changement des titulaires de postes, est presque tombé en désuétude.
Non seulement, le fonctionnaire ou agent de l’Etat sortant fait tout pour dissimuler toute trace de sa gestion en emportant même, souvent avec lui, des dossiers de référence, mais aussi le rentrant a de plus en plus tendance à se permettre de ne répondre de rien au-delà de la date de sa propre prise de fonction.
Pourtant, l’immense opportunité qu’offrent les technologies de l’information et de la communication permet aujourd’hui une dématérialisation sans précédent de l’archivage.
Concernant les régies, un certain immobilisme dans la réalisation en temps opportun des reformes rendues nécessaires par l’accroissement continu des besoins et des ressources des Administrations peut malheureusement pousser à la faute, à leur corps défendant, les gestionnaires publics.
Il y va par exemple du montant dérisoire fixé invariablement pour les régies de dépenses alors que des budgets de plus en plus conséquents sont alloués aux services publics sans que, par ce mécanisme de régie, les règles de leur exécution ne connaissent le moindre assouplissement depuis des décennies.
C’est dire que pour créer les conditions d’une gouvernance vertueuse des finances publiques, il est primordial d’adapter présentement toutes les procédures applicables dans ce domaine à leur environnement socioéconomique et institutionnel.
Excellence Monsieur le Président de la République, cette présentation peu flatteuse de la qualité de la gestion des deniers publics, qui n’est nullement caricaturale ou fantasmatique, devrait dans le cadre d’une politique de lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière, déboucher pour chaque cas, à défaut d’un cumul parfaitement légal, sur au moins, une des situations juridiques suivantes: des sanctions administratives infligées par les autorités de tutelle, des amendes prononcées par les juridictions financières sur la base des infractions à la législation budgétaire et financière, et enfin des poursuites pénales par les procureurs compétents.
Dorénavant, en plus des dénonciations des faits susceptibles de constituer des infractions pénales, et en application de la loi l’instituant, le Vérificateur Général saisira la Section des Comptes de toutes les fautes commises relativement à la législation budgétaire et financière. Philippe Séguin, ancien Président de la Cour des Comptes de France, ne disait-il pas que «la discipline budgétaire et financière apparait comme le complément naturel de la répression pénale et même comme le niveau premier de la lutte contre la corruption».
C’est le lieu de saluer la collaboration étroite entre les autorités judiciaires et le Bureau du Vérificateur Général. Cette collaboration couplée avec la mise en œuvre des recommandations par les entités vérifiées a permis de 2011 à nos jours à verser au Trésor public près de 6 milliards de Francs CFA, en plus des versements spontanément faits en cours des missions de vérification.
Le BVG est parfaitement conscient de ses missions et sera toujours dans cette logique de contrôle administratif externe et indépendant, un des marqueurs ineffaçables de la réussite du contrôle à postériori, ce faisant de la bonne gouvernance. Nous voudrions vous assurer, que nos valeurs et vertus professionnelles resteront toujours des symboles fidèles à notre institution et des réponses parlantes à nos interlocuteurs.
Faisant sien l’adage qui dit qu’«on n’attire pas les mouches avec du vinaigre», la qualité et la valeur ajoutée de nos recommandations constituent une de nos préoccupations majeures, ce qui justifie la séance contradictoire que nous tenons avec chaque entité vérifiée pour discuter de toutes nos constatations point par point.
Aussi, le suivi de ces recommandations, qui faut-il le rappeler, ne sont ni des prescriptions, ni des jugements nous tient-il à cœur pour mesurer notre propre performance mais aussi et surtout, l’engagement des services publics à s’améliorer parce qu’ils y ont adhéré.
Le BVG, n’exerçant ni contrôle policier, ni mission judiciaire ou juridictionnelle, n’a certainement pas atteint l’optimum des citoyens, mais nous pensons que c’est à tort, qu’il lui est fait grief de n’avoir pas depuis sa création, mis fin à la corruption. Aucune autorité, fût-ce-t-elle présidentielle, ne peut à elle seule éradiquer la corruption.
La solution, elle est individuelle et collective, avec bien sûr comme signe d’encouragement l’exemplarité des décideurs politiques et publics.
Excellence Monsieur le Président de la République, comme le prévoit l’article 18 de la loi instituant le Vérificateur Général, je voudrais après cette photographie d’ensemble des vérifications de 2013 et de 2014, faire état de quelques modestes avis et suggestions qui pourraient être utiles à la réflexion qui soutient les décisions nationales.
Excellence Monsieur le Président de la République, l’équilibre institutionnel de nos sociétés modernes repose pour l’essentiel sur la capacité des Etats à maitriser les divers risques liés à la mise en œuvre des politiques publiques de développement.
A ce sujet, seule une vision politique fondée sur une réelle capacité de bâtir une solide et dynamique cartographie des risques liés à la gestion publique, aidera à identifier les zones de risques insuffisamment maitrisées, et permettre de déclencher une saine et rigoureuse réflexion partagée pour mieux les contrôler.
Parce qu’il est aisé de relever que dans toute activité, entre l’économie de décision et l’économie de réalisation, il y a de nombreux et importants risques à identifier, évaluer, gérer et maitriser pour atteindre une économie de rentabilité.
A titre d’illustration, dans le cadre des marchés publics, et en vue d’effectuer des dépenses bien ciblées et exécutées, maintenues au plus bas niveau possible, il est important de s’interroger, si, face à la professionnalisation de plus en plus prononcée des fraudeurs, les contrôles à priori et à postériori en place sont adaptés et capables de détecter et reconnaitre les fraudes.
Permettez-moi d’en douter Mr le Président. Que faire? C’est toute la problématique institutionnelle nouvelle de la commande publique.
Excellence Monsieur le Président de la République, dans tout Etat, quand la corruption est généralisée dans tous les secteurs du corps étatique et tous les compartiments du secteur privé, les réformes pour lutter contre le phénomène, doivent être non seulement systémiques mais holistiques pour englober le politique, l’économique, le judiciaire, le social.
Plus, elle s’enracine et s’élargit à tous les composants de la nation, comme le monde rural, religieux, associatif, qui y sont traditionnellement exclus, plus, ces reformes s’imposent comme une urgente exigence de survie nationale.
De façon généralement admise, les réformes pour endiguer la corruption et toutes les formes d’atteinte à la morale et à la confiance publiques impliquent, la démocratisation du pouvoir politique et de sa représentation – ce qui est un acquis à renforcer – la professionnalisation et la motivation des administrations publiques, l’examen et la refonte des règles et des mécanismes de la gestion publique, l’accroissement de la transparence.
En somme aux réformes d’accroissement des libertés individuelles et d’association acquises depuis 1991 et qui se poursuivent, doivent correspondre d’autres reformes plus fortes et importantes de la gestion publique, de la responsabilité et de la redevabilité.
Cependant, ces réformes pour être véritablement porteuses de signes perceptibles et visibles de changement radical dans la vie de l’Etat et de tous les citoyens, seront douloureuses, pénibles voire sacrificielles ; parce qu’elles pourraient mettre en œuvre, ce qui est à craindre et à éviter absolument, des mesures injustes, inéquitables, inégales donc attentatoires aux droits et libertés constitutionnels.
Par ailleurs, sommes-nous, aujourd’hui dans la situation de paix armée dans laquelle la République du Mali, se trouve, prêts pour conduire ces réformes sur l’ensemble du pays qui constitue le périmètre d’application de la loi
Il est essentiel et particulièrement important de noter, que toutes les réformes qui seront envisagées, doivent se concevoir et mises en œuvre en ayant conscience que le défi majeur de tout changement est l’assurance absolue du maintien de la stabilité et de la cohésion sociales.
Au plan économique et financier, la poursuite et l’approfondissement des réformes économiques nécessaires, dont entre autres l’application continue de politiques budgétaires prudentes, pour réussir une inflation bien maitrisée, un bon taux de croissance etc.
L’une des caractéristiques essentielles de ces programmes de réformes devra consacrer davantage à réduire et à redéfinir le rôle de l’Etat dans l’économie et à instaurer un environnement plus propice à une croissance économique fondée sur les lois du marché et induite par le secteur privé.
Le Mali devra continuer de promouvoir l’émergence d’un secteur privé compétitif à l’échelle internationale, en supprimant les derniers obstacles d’ordre juridique, réglementaire et bureaucratique, susceptibles de retarder davantage son essor.
Excellence Monsieur Le Président, et ce n’est pas à vous que je l’apprends, le concept de démocratie suppose l’égalité en droits pour tous les citoyens. Il revient à l’Etat de mettre tous les citoyens, acteurs du développement sur un pied d’égalité. Pour ce faire, il faut assurer la transparence et l’obligation de rendre compte tant dans le secteur public que dans le secteur privé.
Il est clair qu’aujourd’hui, il existe une nouvelle définition du rôle de l’Etat qui place la bonne gouvernance au cœur du nouveau paradigme. Les gouvernants gagneraient à adapter leurs capacités à cette nouvelle approche.
Toujours sur le plan administratif et économique, il est nécessaire de promouvoir une nouvelle culture de la gestion des affaires publiques dominée par des valeurs et des principes, tels que la transparence, l’éthique, la déontologie, la responsabilité ou l’obligation de rendre compte.
Ainsi, toutes les mesures prises dans le cadre de la bonne gouvernance doivent tendre à réconcilier les populations avec les valeurs cardinales que sont le travail, l’honnêteté et l’intégrité.
De son côté, l’Administration pour demeurer crédible et bénéficier de la confiance des usagers, doit asseoir une véritable culture de service public faite de probité, de sérieux dans le travail et du sens de l’Etat. Et, la lutte contre la corruption qui constitue l’une des composantes de la bonne gouvernance, doit faire l’objet d’une attention particulière et d’un état des lieux objectif et sincère. Parce que l’une des raisons majeures, de l’échec de la lutte contre la corruption, c’est pour beaucoup, l’échec des contrôles administratifs, parlementaires et judiciaires.
Excellence Mr le Président, la corruption est une délinquance à dimension nationale et internationale, recourant aux procédés les plus sophistiqués et complexes. L’opération de corruption est un montage actif, méthodique et bien calculé. Elle implique au moins deux personnes : un corrupteur et un corrompu.
Cependant, il y a une véritable asymétrie dans la présentation et la médiatisation des deux acteurs. On oublie souvent le corrupteur qui est pourtant, la source du problème. Est-il besoin de rappeler, parce qu’étant de toute évidence que derrière chaque corrompu se cache au moins un corrupteur.
C’est pourquoi nous pensons que pour garantir un pilotage plus efficace de la politique de lutte contre la corruption, il convient de rebâtir nos stratégies et nos actions, en maintenant certes, toutes les mesures actuellement en vigueur, mais innover également, en braquant les projecteurs, les pleins feux sur les corrupteurs.
En effet, accumuler des milliards de francs en un temps record sous la dénomination ombrageuse d’homme d’affaires, est une situation qui devrait tout en tenant compte du respect des droits constitutionnels relatifs à la propriété, intéresser les pouvoirs publics.
Toute croisade anticorruption ambitieuse, réaliste, devra en effet être fondée sur les réelles capacités d’agir ensemble sur le contexte local.
Au Mali, nous savons tous qu’il y a des pesanteurs sociologiques héritées de nos cultures et civilisations, qui incitent au pardon, à la tolérance, qui bannissent la haine, la jalousie, l’égoïsme. Ce consensus va-t-il se pérenniser ou créer les conditions d’un dissensus? Les citoyens sont-ils tolérants ou simplement désabusés?
Une réflexion prospective sur notre contexte social, nous fait croire que les générations du 21ème siècle, les enfants de la mondialisation, de la globalisation, des nouvelles technologies de l’information, confrontées au chômage chronique, à la précarité se forgeront à coup sûr, d’autres cultures et civilisations.
Aussi, à l’adresse de toute la nation, nous citons Francis Blanche qui dit «il vaut mieux penser les changements que changer les pansements» Que Dieu nous en garde, mais commençons ou continuons à réfléchir sur les solutions idoines à apporter.
Ceci nous interpelle sur nos attentes par rapport à la règlementation communautaire mais également sur la primauté de nos instruments et mécanismes nationaux en matière de lutte contre la corruption. Si les îles Maurice, le Rwanda, le Botswana et tout près de nous le Cap Vert, sont cités comme des références en matière de bonne gouvernance avec un taux résiduel de corruption, c’est moins leur appartenance à des ensembles communautaires, que leur propre volonté et rigueur à circonscrire le fléau.
Excellence Monsieur le Président de la République, de nombreux analystes de la scène politique s’accordent pour établir une corrélation entre gouvernance, paix et sécurité d’autant plus que la valeur positive d’une gouvernance se mesure à l’aune d’un cadre juridique solide régissant institutions et procédures. Ainsi, les améliorations de la gouvernance influent forcément sur la paix et la stabilité.
Le Bureau du Vérificateur Général voudrait vous assurer de son soutien dans la recherche d’une résolution pacifique du problème du Nord, et, vous rassurer que depuis le début de cette tragique situation imposée à notre pays, toutes les conduites, les démarches et pensées des hommes et des femmes œuvrant au BVG, sont invariablement dictées par la volonté de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité dans tout le Mali.
Excellence Monsieur le Président de la République, avant de terminer permettez-moi de saluer la Coopération Canadienne qui a toujours soutenu les activités du Bureau du Vérificateur Général, celle de l’Union Européenne qui a nous manifesté sa confiance et tous les autres partenaires nationaux et étrangers notamment ceux avec lesquels des partenariats stratégiques sont établis.
Au bénéfice de cette dynamique, le Bureau du Vérificateur Général compte poursuivre ses vérifications dans le strict respect de ses valeurs cardinales de professionnalisme, de respect, d’intégrité et d’objectivité.
C’est dans cette perspective que j’ai l’insigne honneur et l’agréable plaisir de vous demander qu’il vous plaise de bien vouloir recevoir le rapport annuel 2013 et le rapport annuel 2014 du Vérificateur Général. Je vous remercie de votre aimable attention.