En remettant les rapports 2013 et 2014, au chef de l’Etat, le Vérificateur général, Amadou Ousmane Touré, a affirmé que la diversification des vérifications a révélé un essor considérable d’une gestion publique qui, somme toute, cacherait des formes nouvelles de fraude et traduirait les contours de l’imagination audacieuse et tendancielle de certains gestionnaires, même si certaines améliorations ont été constatées au niveau de certains services vérifiés. En clair, il ressort de ces deux rapports un manque à gagner pour l’Etat de plus de 153 milliards F Cfa.
Dans le cadre de l’application de l’article 18 de la loi instituant le Vérificateur Général, le Président de la République Ibrahim Boubacar Keita a reçu, lundi 4 mai 2015, à Koulouba, les rapports 2013 et 2014 du vérificateur général Amadou Ousmane Touré.
Les vérifications de ces deux années ont porté sur des domaines assez variés de performance, de suivi des recommandations de précédentes missions, a expliqué Amadou Ousmane Touré. A cela s’ajoutent des structures centrales et déconcentrées qui ont été également concernées ainsi que des programmes de développement et des délégations de service public donnant ainsi une lisibilité raisonnée de l’éventail des dysfonctionnements de notre administration.
Comme à l’accoutumée, le Vérificateur Général accompagne la remise de son rapport, d’observations et suggestions, sur la qualité de la gestion des deniers publics, de l’évaluation des actions entreprises par les pouvoirs publics pour améliorer la maitrise et la gestion des risques stratégiques et opérationnels et enfin de la contribution du BVG dans la mise en œuvre de la politique de lutte contre la corruption et les infractions de délinquance économique et financière.
Par rapport aux insuffisances constatées, Amadou Ousmane Touré dira que sa structure a dénombré entre autres des faiblesses et irrégularités récurrentes dont la non-application à dessein des textes législatifs et réglementaires, la mauvaise gestion des dépenses effectuées au niveau des régies, la multiplication injustifiée des contrats simplifiés pour éviter les appels d’offres, la non-justification et la non-éligibilité de dépenses, la réception de biens non conformes aux commandes, l’octroi d’avantages injustifiés, la fabrication et l’usage de faux documents pour justifier des dépenses fictives, des manipulations des offres par les commissions de dépouillement et d’évaluation dans les opérations de passation des marchés publics, le non-reversement au Trésor public de ressources collectées, et enfin de la réalité et de l’effectivité de certaines missions administratives.
De son point de vue, ces situations qui concernent, pour certains cas, des montants irrécouvrables ont porté un préjudice énorme à l’Etat : 80,21 milliards de FCFA dont 12,28 de fraude et 67,93 milliards de mauvaise gestion, au titre du rapport annuel 2013 et 72,97 milliards de FCFA dont 33,95 de fraude et 39,02 milliards de FCFA de mauvaise gestion, au titre du rapport annuel 2014.Ces montants concernent pour la plupart les exercices de 2010 à 2013.
«La logique de performance qui fonde nos politiques publiques doit exiger une gestion plus orientée par la culture des résultats, par la mise en œuvre des outils et mécanismes modernes de gestion des finances publiques. Il est clair que le périmètre des missions de l’Etat étant si vaste, seule une optimisation des dépenses publiques peut favoriser l’atteinte des objectifs de développement économique et social», informe le vérificateur général.
Dissimulation de preuve des agents de toute trace de gestion.
La remise du rapport annuel 2013 et 2014, qui compte respectivement 130 pages et 145 pages, a permis au Vérificateur général de faire le point sur certaines manœuvres des fonctionnaires ou agents de l’Etat. Selon lui, les vérifications ont démontré que presque seules les périodes administratives et les responsables publics changent, mais les pratiques et les faits accablants de la gestion publique semblent demeurer et se renforcer.
« Non seulement, le fonctionnaire ou agent de l’Etat sortant fait tout pour dissimuler toute trace de sa gestion en emportant même, souvent, avec lui des dossiers de référence, mais aussi le rentrant a de plus en plus tendance à se permettre de ne répondre de rien au-delà de la date de sa propre prise de fonction », regrette t-il. Face à ce triste constat, Amadou Ousmane Touré affirme que dorénavant, en plus des dénonciations des faits susceptibles de constituer des infractions pénales, et en application de la loi l’instituant, le Vérificateur Général saisira la Section des Comptes de toutes les fautes commises relativement à la législation budgétaire et financière.
Le justificatif, selon lui, en est que la collaboration étroite entre les autorités judiciaires et le Bureau du Vérificateur Général avec la mise en œuvre des recommandations par les entités vérifiées a permis, de 2011 à nos jours, au Trésor public de recouvrer près de 6 milliards de Francs CFA, en plus des versements spontanément faits en cours des missions de vérification.
Ce qu’il faut revoir.
La corruption, selon le Vgal, est une délinquance à dimension nationale et internationale, recourant aux procédés les plus sophistiqués et complexes. L’opération de corruption est un montage actif, méthodique et bien calculé. Elle implique au moins deux personnes : un corrupteur et un corrompu. Cependant, il affirme qu’il y a une véritable asymétrie dans la présentation et la médiatisation des deux acteurs. « On oublie souvent le corrupteur qui est pourtant, la source du problème. » Est-il besoin de rappeler que de toute évidence, derrière chaque corrompu se cache au moins un corrupteur.
C’est pourquoi le Bureau du Vérificateur général pense que pour garantir un pilotage plus efficace de la politique de lutte contre la corruption, il convient de rebâtir les stratégies et actions, en maintenant certes toutes les mesures actuellement en vigueur, mais innover également en braquant les projecteurs, les pleins feux sur les corrupteurs. En effet, accumuler des milliards de francs en un temps record sous la dénomination ombrageuse d’homme d’affaires est une situation qui devrait, tout en tenant compte du respect des droits constitutionnels relatifs à la propriété, intéresser les pouvoirs publics.
De son côté, l’Administration, pour demeurer crédible et bénéficier de la confiance des usagers, doit asseoir une véritable culture de service public faite de probité, de sérieux dans le travail et du sens de l’Etat. Et la lutte contre la corruption qui constitue l’une des composantes de la bonne gouvernance doit faire l’objet d’une attention particulière et d’un état des lieux objectif et sincère. Parce que l’une des raisons majeures de l’échec de la lutte contre la corruption, c’est, pour beaucoup, l’échec des contrôles administratifs, parlementaires et judiciaires.
IBK rassure.
En réponse, le président de la République Ibrahim Boubacar Keita a promis que le rapport ne dormira pas dans les tiroirs. Dépassé par les faits du rapport, surtout dont les pratiques ont été commises à une période où le Mali connaissait une crise sans précédant, IBK s’est posé la question de savoir comment on peut imaginer que des agents de l’Etat puissent s’adonner à une telle pratique pendant que notre pays touchait le fond. «La lutte contre la corruption doit interpeller chaque citoyen à se poser la question, à se mettre en cause.
Bien sûr que l’Etat est aussi concerné. Quiconque mis en cause par les juridictions compétentes répondra des obligations de redevabilité, de reddition de comptes, de responsabilité de la gestion publique sans aucune interférence de leur statut particulier», a rassuré Ibrahim Boubacar Keita tout en remerciant le Vérificateur général et son équipe. Pour terminer, il dira que la mission du vérificateur général n’est pas la chasse à la délinquance financière. Le vérificateur général n’est pas non plus le père fouettard, mais il doit agir dans le sens de la responsabilité.
Ibrahim M.GUEYE