On commence à comprendre de mieux en mieux ce que le président de la République entendait par ‘’2014, année de lutte contre la corruption et la délinquance financière.’’ On comprend aussi et surtout pourquoi, malgré les nombreuses accusations de mauvaise gestion des deniers publics dont lui-même et son administration avaient fait l’objet, Ibrahim Boubacar Kéita semblait content de sa personne. Devant le Vérificateur général qui lui présentait ses rapports de vérification couvrant les années 2014 et 2015, il a eu ces mots lourds de sens : la mission du Bureau du Vérificateur général n’est pas la chasse à la délinquance financière. Cette chasse est fermée et ne sera rouverte que lorsque les actuels maitres du pays s’en iront après avoir fini de « dissimuler toute trace de [leur] gestion en emportant même, souvent, avec [eux] des dossiers de référence. » Dès lors, on comprend également que le nouveau pouvoir ait été tenté, un moment, de supprimer ce service de contrôle avant de se raviser, ayant compris qu’un Vérificateur, général ou pas, ne peut l’empêcher d’utiliser l’innovante machine génératrice de « formes nouvelles de fraude » manipulée par des cerveaux à « l’imagination audacieuse et tendancielle. » Au point de creuser un fossé de plus de 153 milliards F Cfa de manque à gagner pour l’Etat et le contribuable. Cela aussi, le chef de l’Etat en a été informé par le Vérificateur général. Qui s’est vu répondre qu’il n’était pas le père fouettard. Certes, Amadou Ousmane Touré a des missions précises : vérifier l’utilisation des ressources publiques et pister les chemins que prend l’argent public. Il n’a aucun pouvoir répressif ni même de poursuites. Cela relève du juge et du procureur. Lesquels semblent ne pas avoir entendu cette déclaration péremptoire d’IBK : « nul ne s’enrichira impunément sur le dos du peuple. » Mais encore, il aurait fallu qu’ils soient saisis, ce qui semble impossible pour l’heure. Parce que dénier au Vérificateur général son rôle de chasseur de délinquants financiers, tend à rendre caduque toute déclaration de lutte contre la corruption et la délinquance financière. C’est ce même Vérificateur général qui, sur injonction du FMI et de la Banque mondiale, a mis à nu de graves irrégularités dans des marchés publics passés par le gouvernement. Cela a valu au Mali d’être mis en quarantaine jusqu’à ce qu’il se débarrasse de ses nombres germes, dont le très connu et nocif virus K, responsable de la kleptomanie.
Soirées bacchanales dans les jardins dionysiaques
La cure a permis au chef de l’Etat de mettre sur la touche de hauts responsables, dont des ministres, présumés impliqués dans les affaires de surfacturations et d’acquisitions douteuses. Nombreux ont été ceux qui ont cru que le président Kéita allait faire ce qu’il a demandé au Vérificateur général, « agir dans le sens de la responsabilité », et se muer, lui, en père fouettard. Plusieurs mois plus tard, ces hauts responsables, au lieu de se justifier devant la justice, ont bénéficié de nouveaux postes d’affectation. L’un deux occupe le stratégique poste de secrétaire général adjoint de la présidence, d’où il conseillerait spécialement le président de la République sur la meilleure manière de ne pas lutter efficacement contre la corruption et la délinquance financière. Mais IBK écoute-t-il ses conseillers ? Certainement pas, car le chef de l’Etat a perdu une bonne occasion de se taire sur ses véritables intentions de ne faire de sa lutte contre la corruption qu’un slogan vain et distractif. Il n’aurait jamais dû dire en public qu’Amadou Ousmane Touré est là pour amuser la galerie et que ses rapports iront désormais beaucoup plus loin que les précédents : dans les oubliettes de l’un des palais présidentiels.
En attendant, les soirées bacchanales dans les jardins dionysiaques, à Koulouba ou à Sébénicoro, continueront entre amis et alliés, et seront financés par les nombreux manques à gagner que le Vérificateur général dénonce depuis des années. La prochaine destination de celui-ci est l’Assemblée nationale, le pendant du gouvernement. Le président de cette institution, Saint-Isaac, qui est en train de se construire une superbe résidence personnelle au Badialan –sur quels fonds ? Le citoyen lambda l’ignore– et ses collègues députés recevront bientôt le rapport du Vérificateur général. Mais les députés, dont la campagne électorale de certains a été financée par ces fameux manques à gagner, diront-ils autre chose que le chef ? Pour eux le Vérificateur général serait-il autre chose que la proie des chasseurs de trésors publics ? Non à ces deux questions, en ce qui concerne les députés de la majorité présidentielle. Mais ceux de l’opposition et l’insaisissable Oumar Mariko, qui semble vouloir grandir maintenant et marcher sans aide, ne devraient-ils pas saisir l’occasion de la présentation du rapport au parlement pour interpeler le Vérificateur général ?
Cheick TANDINA