A force de dilemme et de polémique sur la forme, l’accord issu du processus d’Alger perd considérablement de sa substance et sa réelle teneur. Tout le monde en discute plus comme d’un pari sur un rendez-vous que d’un instrument porteur de la paix durable tant recherchée et pour laquelle tant d’efforts et d’assistance ont été mobilisés autour de la question malienne.
Il faut une signature à tout prix comme si l’acte de signer constituait la panacée contre la menace de disparition qui guette la nation malienne. C’est cette logique très peu fructueuse qui commande l’orientation des efforts, depuis que le processus d’Alger a achoppé sur le refus des mouvements séparatistes d’adhérer au document final, dont le paraphe a été par ailleurs conditionné à une réouverture des négociations.
Motif évoqué par la Cma : la prise en compte d’une kyrielle de réserves en rapport, entre autres, avec le statut institutionnel des régions du Nord-Mali, leur représentativité dans les départements de souveraineté (défense, sécurité, diplomatie, etc.), ainsi que l’action des milices d’auto-défense sur le terrain. Les mouvements rebelles sont tout aussi intransigeants sur les conditions d’exploitation et de répartition des ressources naturelles du Septentrion, les proportions de casernement et d’insertion des anciens combattants, etc. La liste n’est pas exhaustive.
Cette avalanche d’amendements est considérée comme nulle et de nul effet par une partie gouvernementale à bout de concessions à contre-courant de son opinion et qui estime pour sa part que le temps des pourparlers est révolu et doit faire place à celui des engagements. Même son de cloche du côté de la médiation et de la communauté internationale, du moins avant que l’épisode de Ménaka et ses répercussions sur le cessez-le-feu ne viennent brouiller les schémas. Quant aux frustrations que les concessions ont occasionnées dans la rue, elles n’ont été maîtrisées qu’à coup d’ingénieuses stratégies de communication en direction de ses différentes sensibilités.
Quoi qu’il en soit, l’agenda de la signature de l’accord reste inchangé. L’ultime équivoque sur la question a été levée par le chef de l’Etat en personne qui, de retour d’un récent voyage européen, a publiquement rassuré que le processus ne va pas capoter nonobstant les derniers soubresauts vraisemblablement suscités pour compromettre le rendez-vous du 15 Mai prochain. Ce n’est pas tout.
Joignant l’acte à la parole -et comme pour donner plus d’assurance- le ban et l’arrière-ban sont mobilisés, depuis quelques temps, dans le cadre des préparatifs d’une cérémonie solennelle de signature à Bamako, en vertu notamment du calendrier arrêté d’accord partie dès la feuille de route du processus d’Alger. Le ministre des Affaires étrangères et chef de file de la délégation malienne aux pourparlers, Abdoulaye Diop, devrait s’être déjà acquitté de la tâche à lui confiée par le président de la République de converger vers la capitale malienne les délégations de pairs de la sous-région et d’ailleurs auxquels une invitation a été personnellement adressée par leur homologie malien.
Si tout indique, somme toute, que la date du 15 Mai tient bon, rien n’est indicatif, en revanche, de la configuration des protagonistes à la signature. A moins d’un revirement de dernière heure, les composantes de la Cma, non seulement ne se démènent pas avec autant d’ardeur mais demeurent également sourdes à toutes les sirènes émanant d’une communauté internationale quelque peu confuse et de toutes les bonnes volontés mises à contribution pour la paix au Mali.
Si bien que par-delà leur entrain, les hautes autorités de Bamako n’écartent elles-mêmes pas le scénario d’une cérémonie de signature sans les acteurs centraux du processus d’Alger. Ce faisant, on aura certainement gagné le pari formel de respecter un rendez-vous mais sans la substance à laquelle allusion est pourtant faite sous tous les toits depuis le début des pourparlers : parvenir à un règlement durable et définitif de la problématique du Nord-Mali.
Les choses n’auraient pas évolué dans un sens inverse si la Cma acceptait de signer ‘’l’Accord pour la paix et la réconciliation’’, au regard de l’atmosphère d’hostilité et de méfiance ayant émaillé le déroulement des pourparlers.
C’est pourquoi, nombre d’observateurs réalistes s’interrogent de plus en plus sur l’opportunité de dépenser fortune et énergie pour la formalisation d’engagements susceptibles de voler en éclats à la première occasion propice. D’autant qu’une signature sous contrainte ne fait qu’ajourner les intentions au détriment desquels elle intervient, se pose la question non moins substantielle d’efficacité de l’approche ayant consisté à confiner la médiation dans un rôle d’extincteur de feux et de transmetteur d’un dialogue de sourds, là où il fallait peut-être lever les barrières entre fils d’un même pays.
Faute de quoi, le processus d’Alger aura eu le tort d’avoir plus concouru à poser les jalons de l’hostilité qu’à baliser le terrain de la paix. Car, une signature sans une partie est tout simplement assimilable à la guerre ouverte qu’on a voulu éviter en s’engageant dans des pourparlers dits du dialogue inclusif inter-malien.
Abdrahmane KÉÏTA