Dans un document dont nous avons reçu copie, le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) réagit avec véhémence au » blocage injustifié du projet de reforme de la Cour Suprême par l’Assemblée Nationale du Mali « . A travers son vice-président Cheick Mohamed Chérif Koné, non moins rapporteur de l’Union Internationale des Magistrats et président de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants, le SAM fustige le traitement réservé audit projet de loi par l’Assemblée Nationale du Mali, accusée de s’être transformée en » un lieu de règlements de comptes personnels, de confondre la gestion des affaires publiques à la sauvegarde d’intérêts personnels sur fond d’arrangements insolites « .
C’est dire que l’on s’achemine, si rien n’est entrepris dans le sens de l’examen dudit projet de loi dans les brefs délais, vers une crise institutionnelle qui risquera d’éclabousser certaines personnalités, au premier rang desquelles l’honorable Issiaka Sidibé, beau-père d’IBK et président de l’Assemblée Nationale. Selon certaines sources, ce dernier aurait des dents contre l’institution judiciaire au motif que celle-ci aurait libéré un suspect que le douanier Issiaka Sidibé accuse de lui avoir escroqué la bagatelle de plus de 200 millions F CFA. Devant cette situation, l’on pourrait s’acheminer également vers une grève de l’institution judiciaire qui ne manquera pas sûrement de mettre à rude épreuve la République ou ce qu’il en reste.
Considérés parfois comme des privilégiés, les membres de la Cour Suprême vivent dans un dénuement qui frise le mépris eu égard au rôle constitutionnel qui est le leur. En effet, c’est devant les magistrats de la plus haute juridiction que le président de la République prête serment. De même l’article 81 de la Constitution stipule clairement que » le pouvoir judiciaire…s’exerce par la Cour Suprême et les autres Cours et Tribunaux « . C’est donc compte tenu des missions de la plus haute importance qui lui sont dévolues que la Cour Suprême a émis le vœu auprès des hautes autorités pour une amélioration des conditions de vie et de travail de ses membres. Un cri de cœur qui n’est point tombé dans l’oreille d’un sourd.
Ainsi, un projet de réforme a été élaboré dans ce sens et soumis au Gouvernement qui, après analyse et approbation, a transmis ledit projet à l’Assemblée Nationale en vue de son adoption. Malgré les sessions qui se succèdent, ledit projet n’a toujours pas été examiné (en fait il a même été retiré de l’ordre du jour) comme s’il ne constituait pas un dossier important aux yeux de nos honorables députés.
Le vice-président du syndicat autonome de la magistrature (SAM) de s’interroger : « Comment peut-on accepter d’un côté que des sessions, sous la forme de référé parlementaire, soient spécialement organisées pour faire adopter des propositions de lois, mêmes injustes, s’agissant des intérêts des parlementaires et, de l’autre, cautionner que le sort des projets de lois allant dans le sens de l’intérêt général soit tributaire de l’humeur ou du bon vouloir de quelques parlementaires envahissants, à la recherche de prestiges personnels ? »
Pour le SAM, » la reforme de la Cour Suprême est depuis longtemps perçue comme une priorité « à même de « permettre à l’Institution de jouer efficacement ses missions définies par la Constitution « . En effet, pour des raisons que le puissant syndicat juge » inadmissibles et inacceptables « , ce projet de reforme, qui venait de franchir toutes les étapes d’élaboration de la loi, » a été délibérément bloqué « .
Le président Issiaka Sidibé soupçonné de bloquer l’examen du texte
D’où cette sortie du syndicat à travers son vice-président Cheick Mohamed Chérif Koné. En effet, d’après ce dernier, se fondant sur des propos recueillis auprès de certains élus, » il ressort que c’est uniquement sur fond de règlement de comptes et par esprit revanchard que ce blocage a été décidé aux seuls motifs que la dignité, l’orgueil ou l’égo de quelques parlementaires auraient été écorchés par la justice « .
Selon lui, comme cause du blocage, » les députés en désaccord avec la gestion personnalisée de ce document » ont des révélations dignes d’intérêt. Il y aurait, en effet, trois contentieux qui existeraient entre l’Assemblée Nationale et l’institution judiciaire.
Primo : l’incident survenu entre le juge de Ouélessébougou et un député dans le bureau du juge, marqué par l’emprisonnement de l’élu sur une courte période et une poursuite à son encontre pour » offense à magistrat dans l’exercice de ses fonctions « .
Secundo : il est fait grief à la Cour Suprême d’avoir ordonné la mise en liberté d’un citoyen opposé au président de l’Assemblée Nationale dans le cadre d’une procédure judiciaire relative à une prétendue escroquerie portant sur plus de 200 millions F CFA au préjudice de Issiaka Sidibé, alors haut cadre de douane, comme chacun le sait. Faute de preuve, ledit citoyen qui avait alors pour mission de fructifier les affaires à ce dernier, avait été libéré par la justice. Au grand dam du sieur Issiaka Sidibé.
Tertio : le fameux dossier de poursuite judiciaire contre l’ancien président de la République Amadou Toumani Touré. Au moment où la juridiction ultime accuse les députés de bloquer son projet de reforme, ceux-ci, à leur tour, imputeraient la responsabilité du blocage de la procédure judiciaire annoncée contre l’ancien président ATT pour « haute trahison « . Aux décideurs à l’Assemblée Nationale qui évoquent une mauvaise foi de l’institution judiciaire « pour son manque de coopération « dans ce dossier, celle-ci retorque que » la justice malienne ne se trouve mêlée ni de près, ni de loin dans aucune procédure concernant le président ATT« .
Mieux : pour le SAM, » les juges ne sont à ce stade que des observateurs, à l’instar des autres citoyens « . La Constitution n’ayant pas confié la mise en accusation d’un président de la République aux juges, comment peut-on, s’interroge Cheick Mohamed Chérif Koné, soutenir une quelconque incohérence, si ce n’est une fuite de responsabilité ?
D’après le SAM, la représentation nationale avait sollicité l’institution judiciaire afin qu’elle produise des preuves à même de permettre à la Haute Cour de Justice – une émanation de l’Assemblée Nationale- la mise en accusation de l’ancien président ATT. Pour le syndicat, dans ce dossier » la balle est dans le camp de l’Assemblée Nationale qui cherche désespérément une caution ou une couverture que la justice ne saurait lui donner« . Si l’Assemblée Nationale estime détenir des éléments suffisants lui permettant de prononcer la mise en accusation du président ATT, qu’elle agisse en toute responsabilité de la mise en accusation dans ce cas précis. Dans le cas contraire, qu’elle cesse « de se ridiculiser ou de nous agacer » ajoute le SAM.
Des menaces à prendre au sérieux
Pour le vice-président Cheick Mohamed Chérif Koné, tous les seuils étant aujourd’hui franchis, le syndicat entreprendra toutes démarches légales appropriées pour faire instaurer l’équilibre nécessaire entre les institutions sur la base du principe sacro-saint de la Séparation des Pouvoirs.
Comment peut-on justifier, s’interroge ce haut magistrat, que « l’ensemble des avantages cumulés du Procureur Général et du président de la Cour Suprême soient inférieurs au vingtième des seuls avantages pécuniaires accordés au président de l’Assemblée Nationale ? » De même, poursuit-il, est-il logique que la dotation en carburant d’un magistrat de la Cour Suprême soit moins de 2 litres par jour contre 20 litres par jour pour un député?
Pour le syndicat, la Cour Suprême, incarnation du pouvoir judiciaire, n’est ni une roue de secours de la démocratie, ni une institution de second rang par rapport à l’Assemblée Nationale.
En conclusion, le SAM exige un examen objectif et immédiat du projet de reforme de la Cour Suprême qui n’a que, sans raison, trop duré. D’autre part, devant le silence de l’Exécutif, pourtant initiateur du projet de loi bloqué, le SAM déclare qu’il dénoncera ces faits au parlement de la CEDEAO et à l’Union internationale des Parlementaires.
Toutefois, le syndicat se dit optimiste et confiant quant au succès de ses actions au point de solliciter le président de la République « d’user de ses prérogatives constitutionnelles à l’égard de cette équipe parlementaire « .
La grève étant un moyen légal, le SAM pourrait en user si nécessaire pour l’atteinte de ses objectifs et cela en collaboration avec toutes les composantes de l’institution judiciaire, à commencer par les avocats. Il sait pouvoir compter aussi sur le soutien de » syndicats amis« .
Mamadou FOFANA
Titre original :
Face au blocage du projet de reforme de la Cour Suprême déposé par le Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée Nationale :
Le Syndicat Autonome de la Magistrature accuse l’institution législative de se « transformer en un lieu de règlement de comptes personnels «