Ce jour-là, les Maliens ont retrouvé l’IBK qu’ils avaient en tête au moment du choix décisif, pour lequel ils avaient voté massivement et qu’ils ne retrouvaient plus depuis. Ce jour-là, l’histoire retiendra qu’il a rompu avec les thèmes classiques passés pour laisser parler son cœur. Et celui des Maliens.
En effet, il a décidé ce vendredi de rompre avec les pratiques de ses prédécesseurs et de sortir un nouveau langage. Il a joué et il a gagné – par-dessus tout le hourra de son peuple.
Le serpent a peur. Celui qui veut tuer le serpent a peur. Mais acculés, la chèvre finit par mordre et le mouton s’enrage et attaque. Le Mali n’a affaire ni aux rebelles Touareg ou arabes ni aux islamistes d’ici ou venus d’ailleurs. Le Mali a affaire à un système. Une hydre à mille têtes qui est partout et nulle part –qui a d’ailleurs des multiples démembrements ici sur place et dont certains non soupçonnés. C’est ce système qui, depuis 1990, travaille à faire du nain un terrible géant et du géant un nain vaincu, misérable et méprisé. C’est ce système qui, depuis janvier 2012, a déclenché cette terrible et avilissante crise qui expose le Mali, sa dignité et son devenir sur le plateau de la honte devant le monde ahuri. Paul Kagamé n’était jamais venu au Mali, le vendredi dernier il était au Cicb – où la cérémonie de signature de l’accord d’Alger a eu lieu. Robert Mugabé qui approche les 100 ans et qui habite à l’autre bout de l’Afrique a tenu à braver la distance pour être avec le Mali et vider son cœur. Car le président de l’Afrique australe en avait gros sur le cœur de voir le pays dont il avait la plus haute idée bafoué par une poignée de pieds nickelés. Ils étaient dix chefs d’Etat à venir soutenir le Mali dans cette épreuve qui humilie au-delà des frontières.
Cela faisait tellement longtemps que ce système – qui a aidé à libérer Tombouctou et Gao mais livré Kidal comme aux rebelles et aux islamistes associés – menait le Mali sur les rivages de la défaite, de la honte et de l’avilissement. Le système avait organisé, en 2013, le retour du Mnla et des autres à Kidal pour pouvoir maintenir les Maliens dans l’insécurité. Faire de Kidal une base de lancement pour permettre aux ennemis du Mali de continuer à maintenir les Maliens et leur dignité dans la honte, l’insécurité et l’incapacité de se défendre qui pousse à demander de l’aide à ceux qui se présentent comme des amis alors qu’ils travaillent pour un système qui a ses visées. Cette aide forcée qui balance celui qui la « sollicite » dans la poubelle de l’asservissement. Et c’est ce qui est arrivé au Mali depuis des décennies et c’est cela qui énerve au-delà de nos frontières certaines âmes éprises de respect et d’indépendance.
On peut dire aussi que c’est cela qui a énervé IBK et qui a boosté ses récriminations contre l’attitude de « son » ami, son camarade de ‘’religion’’ politique et son compagnon de l’International socialiste François Hollande qui lui a fait faux bond. Le français venait juste de le trimballer sur dix mille kilomètres aux larges des océans pour aller inaugurer un magasin de vente de la mémoire des esclaves noirs d’Afrique – appelé « musée » – aux badauds nostalgiques ou aux naïfs à côté de la plaque. Soit Hollande avait promis à IBK d’être là pour la signature, soit il l’avait laissé entendre (une habitude chez lui) ou alors IBK s’était mis tout seul dans la tête qu’une fois qu’il avait fait le voyage de la Gouadeloupe, entre autres considérations, Hollande ne pouvait que rendre la politesse et venir à Bamako. Mais non le corrézien battu aux dernières élections locales chez lui n’est pas venu. Et en plus il n’a trouvé, pour se faire représenter, qu’une inconnue et insignifiante personne qui n’a que le rang de Secrétaire d’Etat. Plus le IBK regardait cette bonne femme dans la salle en face de lui, plus il devait bouillir et enrager.
Et en plus il allait subir les discours méprisants et avilissants de blancs-becs venus chez lui, devant ses paires – dont Mugabé et Kagamé !- et devant son peuple pour le traiter en traînée. Les orateurs de l’enfer étaient allés jusqu’à mettre le Mali en garde : ça n’est pas parce que vous venez de signer un accord de paix qu’il faut en profiter pour violer le cessez le feu et commettre des exactions contre les Touareg et autres. Ce langage de faux jeton tordu a dû blesser IBK dans son profond et dans son orgueil et c’est à cela qu’il avait répondu : « nous ne sommes pas des gueux ! ».
Improvisation sur thème et riposte vigoureuse
On avait écrit un discours pour IBK – qu’il avait découvert et approuvé semble-t-il – et il est permis de penser que la sortie qu’IBK a faite n’était pas préméditée. Mieux encore, on peut penser qu’il était monté au pupitre juste par politesse pour saluer les uns et les autres et remercier avant de lever la séance. C’est pour cela qu’il n’a même pas touché au discours écri et qu’il s’est mis à improviser. Il faisait nuit et les gens étaient sur place depuis 14 heures. IBK a donc tenu, en résumé, à peu près les propos suivants : il fait tard et tout le monde est fatigué. Alors vous comprendrez que je ne lise pas un discours et que je sois bref. Pour cette raison (faire court) vous me permettrez de ne pas saluer chacun nommément et un à un mais avec une seule formule : « en vos rangs et grades… ». IBK ne voulait donc pas s’étendre en longueur mais de fil en aiguille, et sans violence ni précipitation, IBK va se laisser à parler. Et à parler encore presque une heure d’horloge pour s’exprimer, répondre. Sans passion et sans véhémence. Mais en mettant sur tous les « i » leur point. Et au fur et à mesure qu’il avançait, il devenait plus incisif dans ses tacles.
Et au fur et à mesure, des choses devaient l’énerver, le chauffer et le rendre plus mordant. Des tronches dans la salle, des pensées sur le passé, certaines paroles blessantes etc. ont fait durer son intervention en durcissant ses termes. C’est le Mali qui respectait tout et sacrifiait ses soldats et ses populations sur l’autel du respect des engagements, mais avec tout ça c’est le Mali qu’on mettait en garde, qu’on soupçonnait et qu’on traitait avec mesquinerie.
La vue (particulièrement) de cette secrétaire d’Etat venue de la France en lieu et place de François Hollande le « faux frère », la face grasse de bulldog de Hervé Ladsous qui venait de lui lancer des piques avilissantes devant dieu et les Hommes et les airs moqueurs de Hamdi Mongi le patron de la Minusma à qui il venait de révéler qu’il l’avait sollicité à mainte reprise pour lui signaler les manquements de la Cma sans aucune suite devaient le faire bouillir intérieurement. De leur part, des propos inamicaux et inacceptables avaient été tenus. Et l’un mis dans l’autre, IBK a cheminé comme un moteur diesel – tout doucement au début mais de plus en plus mordant. On peut dire qu’il a donné coup pour coup en se lâchant au fur et à mesure qu’il se souvient des tas de couleuvres barbelées avalées depuis très longtemps. Depuis trop longtemps. En s’attaquant aux hommes qui incarnent des institutions, c’est à un système qu’IBK s’attaquait pour réclamer l’impartialité, la justice dans le traitement et la responsabilité face à son rôle. Et au-dessus de tout, du respect et de la dignité – « nous ne sommes pas des gueux », « un peu de respect pour le peuple malien », « nous ne réclamons que notre dû »…
Ce vendredi noir pour « nos » amis étrangers, IBK s’est attaqué au système. Et en l’espace d’un après-midi, il a vaincu le système. Plus petite et plus médiocre la Minusma a aussitôt réagi avec un communiqué. Qui n’a eu aucune suite notable. S’inspirant de ce flop, l’adjoint du Secrétaire général des Nations unies en charge du maintien de la paix a préféré, lui, faire un saut à Koulouba. Assurément, les coups d’IBK ont porté sur les adversaires partiaux.
En parlant comme il l’a fait vendredi, IBK a parlé avec le cœur des Maliens. Cette langue qu’ils commençaient à oublier et qu’en la retrouvant sur la langue de leur chef, ils ont retrouvé du coup ce chef perdu. Cette idée d’exercice du pouvoir pour laquelle ils ont massivement voté en 2013 mais qu’ils ne reconnaissaient plus. En sortant le cœur des Maliens comme il l’a fait vendredi, IBK vient de signer un nouveau bail avec ses concitoyens. Reste à savoir combien de temps cela va durer, car avec le Kankélé tigui, on ne sait jamais.
Amadou Tall