Cannes - Absent de la compétition cette année, le fragile cinéma africain peine à exister, mais reste présent à Cannes: deux réalisateurs de génération différente, le vieux routier malien Souleymane Cissé et le jeune Ethiopien Yared Zeleke, sont venus y présenter leurs films.
"Je me sens vraiment reconnaissant, chanceux, et fier de représenter cette partie du monde", confie Yared Zeleke, 36 ans, premier réalisateur éthiopien en sélection officielle à Cannes avec son film "Lamb", projeté mercredi dans la section parallèle "Un Certain regard".
"On fait partie des privilégiés", constate son aîné Souleymane Cissé, 75 ans, qui montre jeudi "Oka" (La maison) hors compétition. Ce film de facture documentaire, très personnelle, est construit autour de l’expulsion, grâce à un juge corrompu, de ses quatre soeurs âgées de la maison familiale à Bamako.
Engagé, le réalisateur malien - prix du Jury à Cannes en 1987 avec "Yeelen" (La lumière)-, a voulu parler de la "corruption des fonctionnaires" de justice dans son pays, qui "conduit à la violence".
Souleymane Cissé espère que sa présence n’est pas liée à son origine africaine. "Nous avons un devoir sacré de faire des films de qualité. Sinon mieux vaut ne pas représenter l’Afrique", dit-t-il.
Il y a deux ans, l’Afrique était présente en compétition à Cannes avec "Grigris" du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, et l’an dernier avec "Timbuktu", éclairage lumineux sur l’islam radical du Mauritanien Abderrahmane Sissako, sacré en France par sept César dont celui du meilleur film.
Mais la production africaine est rare, un phénomène qui s’explique avant tout par la faiblesse des politiques culturelles des pays africains et la disparition des salles de cinéma, dit Souleymane Cissé.
"Il y a vingt ou trente ans, on a liquidé toutes les salles de cinéma du Mali", qui n’en compte plus qu’une, une évolution qui existe dans de nombreux pays africains.
Seul le Nigeria, connu pour ses très nombreuses productions bon marché, les films "Nollywood", tire son épingle du jeu. "Ils font des longs métrages en deux semaines, les diffusent, récupèrent leur argent et recommencent".
- Un cinéma ’très fragile’ -
Le cinéma africain est "très fragile", confirme l’Ethiopien Yared Zeleke, qui a étudié le cinéma aux Etats-Unis, où il a passé vingt ans avant de revenir vivre dans son pays.
Mais, "alors que l’économie se développe, que de plus en plus de gens sont éduqués, il est temps pour nous, Africains, de raconter nos propres histoires", dit-il.
Son film "Lamb" raconte l’histoire d’Ephraim, un enfant de neuf ans qui, après avoir perdu sa mère, est envoyé par son père chez des parents éloignés dans la montagne, accompagné de son inséparable brebis Chuni.
"Comme pour beaucoup de premiers films, il a fallu se battre pour essayer de boucler le financement", d’autant plus qu’il s’agit d’une histoire "avec des enfants et des animaux qui se passe en Afrique", explique le cinéaste, qui a bénéficié du soutien de coproducteurs et distributeurs français.
Dans son pays, "il n’y a pas encore d’institutions ou de financements pour soutenir la croissance du cinéma", ajoute Yared Zeleke, qui a lui-même cofondé une société de production à Addis Abeba, à travers laquelle il veut "aider le secteur du cinéma".
En dehors de ses sélections, Cannes encourage aussi les talents en les invitant en France pour trouver des financements.
C’est le cas du réalisateur malgache Haminiaina Ratovoarivony, 38 ans, lauréat de la sélection 2015 de la Fabrique des Cinémas du monde, qui favorise l’émergence de la création des pays du Sud.
"Il ne reste que deux salles dans la capitale", dit le réalisateur, qui sait qu’il devra négocier dur pour distribuer le film.
Tous peuvent rêver au succès de "Timbuktu" d’Abderrhamane Sissako.
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