C’est une réalité évidente, patente et sans conteste : la France tient le président Ibrahim Boubacar Keïta par la gorge et le trimballe dans la direction voulue... Des actes contre nature posés par le chef de l’Etat malien ainsi que les bribes de scandales révélées par jets sur lui par une certaine presse occidentale, sont des illustrations parfaites de cette soumission (vénération ?) d’IBK à Hollande.
Exemples concrets : la libération humiliante du terroriste Mohamed Ali Ag Wadoussène contre la liberté de l’otage français Serge Lazarevic et les révélations troublantes périodiques et circonstancielles du journal « Le Monde » et du site Mediapart sur les supposés liens entre IBK et le parrain des parrains corse, Michel Tomi, poursuivi par la justice française. IBK n’est pas libre de ses décisions. C’est un président étroitement surveillé. Il est lié par la France, qui entend même lui ôter désormais toute liberté.
La publication récente par Mediapart des écoutes téléphoniques liant IBK à l’homme d’affaires corse, Michel Tomi, est révélatrice du chantage d’Etat que la France exerce sur le président malien chaque fois que celui-ci se refait la cote et surtout de l’évidence que la puissance colonisatrice tient le 6è président du Mali par un lourd secret. Lequel ? Le mystère plane encore sur la nature réelle de cette énigme, mais ce qui est constant, c’est que notre président ne semble plus être maître de ses décisions, de son destin et, malheureusement, de celui même du Mali.
Toutefois, l’affaire dite de Tomi Michel est une carte jaune que la France brandit au président malien chaque fois qu’elle juge que celui-ci a dérapé ou outrepassé ses pouvoirs et ses propos vis-à-vis d’elle. Ses instruments de rappel à l’ordre ne sont autres que les médias français.
L’épisode des écoutes téléphoniques
Lors de la cérémonie de signature de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, le 15 mai dernier au Cicb, le président IBK a tenu un langage dans lequel beaucoup de Maliens se sont reconnus. Il disait ceci : «Avons-nous jamais violé le cessez-le-feu ? Avons-nous jamais violé la cessation des hostilités quand la décision a été prise ? Jamais ! Il serait convenable que Monsieur Ladsous et les représentants du secrétaire général de l’Onu fassent preuve de justice et d’équité à cet égard-là !
Chaque fois qu’il y a violation de cessez-le-feu, violation de cessation des hostilités, nous l’avons signalé, mais rarement nous avons été entendus. Un peu de respect pour notre peuple… Le Mali n’a jamais manqué à ses engagements internationaux et continue de le faire aujourd’hui, pourvu qu’en retour, il soit l’objet d’un minimum de respect…». IBK répliquait ainsi aux propos du secrétaire général adjoint des Nations-Unies chargé des Opérations de maintien de la paix, le Français Hervé Ladsous, qui venait d’affirmer que «toutes les parties ont violé le cessez-le feu».
En s’attaquant aux Nations-Unies, le président IBK touchait à la France et à ses intérêts au Mali. Comment la puissance coloniale allait-elle répliquer ? Nul ne savait, mais tout le monde s’attendait à une réaction venue de l’Hexagone. C’est sur ces entrefaites qu’intervient l’affaire des écoutes téléphoniques. Le lien est vite établi. Et les révélations de Mediapart ont frappé jusqu’au cœur de la République. L’article sur les écoutes téléphoniques est suivi aussitôt d’un second tout aussi accablant : « IBK, un symbole de la politique africaine de Hollande...sous le regard des juges anti-corruption ».
Les conversations incriminées et mettant en lumière les relations de proximité entre le président malien et l’homme d’affaires, remontent à 2013 et 2014. Selon ces écoutes, IBK aurait bénéficié de cadeaux de grande valeur, de facilités médicales et d’aviation de luxe. Avec une extrême précision, les écoutes du 4 octobre 2013, à 20 h 15, révèlent que IBK a reçu un Range Rover « impeccable, impeccable…».
Deux mois après, jour pour jour, le 3 décembre 2013, Tomi assure à IBK un soin médical en France. Extrait d’une conversation relevée par la presse française.
Les mêmes écoutes, transmises à la justice française, révèlent : «IBK aurait profité lors de ses séjours en France, officiels ou non, de nuitées dans les plus beaux palaces de Paris et de Marseille. C’est un proche de Tomi, Valentin Dos Reis, qui réglait les factures et en espèces. Des factures allant de 14 005 € à 32 950 € pour des séjours organisés par Tomi. Pour exemple, le 5 février 2014, Tomi appelle le Sofitel de la cité phocéenne «pour le président Keïta». Il veut «la grande suite, pour lui».
Autres informations de taille tirées des conversations entre IBK et Tomi : la Présidence malienne louerait pour 656 millions de FCFA un jet privé du groupe de Michel Tomi, d’une part. Et d’autre part, celui-ci est également suspecté d’avoir piloté l’acquisition de l’avion présidentiel d’IBK, estimé à 36 millions de dollars.
A toutes ces bombes, Mediapart, jugé très proches des services de renseignements français, greffe d’autres privilèges non moins importants au profit d’IBK: croisières sur un yacht, voyages en jets privés, séjours dans les plus grands palaces parisiens, transport en Limousines, achats de costumes de luxe, de voitures, de lunettes et soins médicaux réglés en espèces.
Pour plonger encore plus IBK, Mediapart dénonce la politique africaine de Hollande dont IBK serait le symbole. Le site en ligne pense que IBK, trop mouillé, ne devrait pas être une référence (de politique étrangère) pour le président français. D’où cette interrogation du confrère: «Aujourd’hui que le contenu d’écoutes entre IBK et Michel Tomi a été rendu public – écoutes dont l’exécutif français devait certainement être au courant – combien de temps Hollande et son gouvernement vont-ils continuer à chanter les louanges d’IBK ? ».
Le Monde et Pierre Péan avant Mediapart
La double sortie de Mediapart est tombée comme une douche froide sur les autorités et surtout les proches d’IBK. Tout comme quand le journal Le Monde avait révélé dans sa parution du 28 mars 2014, pour la première fois, les liens supposés entre IBK et le parrain des parrains corse, Michel Tomi. Cette information avait secoué les milieux politiques, diplomatiques et administratifs maliens jusqu’aux cimes de l’Etat. De quoi s’agissait-il ?
Dans son édition datée du 28 mars, Le Monde révèle que deux juges et des dizaines d'enquêteurs sont, depuis de longs mois, aux trousses de l'homme d'affaires corse Michel Tomi, à la tête d'un empire industriel en Afrique, qui serait le dernier « parrain des parrains » français. Le journal poursuit que « l’'affaire risque même de provoquer de forts remous dans les milieux diplomatiques, avec la mise en cause pour corruption du président malien, Ibrahim Boubacar Keita, dit IBK ».
Selon les informations de Le Monde, depuis le 25 juillet 2013, date de l'ouverture d'une information judiciaire par le parquet de Paris pour « blanchiment aggravé en bande organisée », « abus de biens sociaux » et « faux en écriture privée », les juges Serge Tournaire et Hervé Robert enquêtent en toute discrétion sur Michel Tomi, son groupe industriel Kabi, mais également sur ses réseaux politiques.
L'homme est soupçonné de blanchir en France une partie de l'argent gagné en Afrique. Et de financer des présidents africains. Plusieurs chefs d'Etat seraient impliqués dans le « système Tomi ». Entre autres : IBK, les président gabonais, Ali Bongo, tchadien, Idriss Déby Itno et camerounais, Paul Biya.
Ebruitée de bouche à oreille, puis largement propagée sur la toile, la nouvelle avait pris au Mali les allures d’une affaire d’Etat.
Cette information intervient au moment où l’on apprenait que le président malien venait de s’offrir un avion de commandement, en « bon chef ». L’affaire Tomi venait du coup briser les ailes d’IBK et de son avion.
Mais, le président malien n’en était pas au bout de ses peines. Car, au moment où une certaine accalmie semblait s’installer, Pierre Péan arrive avec son livre : « Nouvelles affaires africaines, mensonges et pillages au Gabon ». Dans ce livre, le journaliste d’investigation français (!!!), enjambe les révélations accablantes sur la famille Bongo au Gabon, pour traîner ses pieds sur les relations d’affaires du président Ibrahim Boubacar Keita avec le parrain corse Michel Tomi, poursuivi par la justice française. Péan écrit : « Il est intéressant de rappeler qu’IBK fut présenté à Michel Tomi par Omar Bongo. Alors qu’IBK venait d’être nommé Premier ministre du Mali, en février 1994, Charles Pasqua et Michel Tomi avaient fait son siège pour obtenir de lui l’ouverture d’un casino. IBK aurait accepté, moyennant récompense. Depuis lors, les deux hommes sont liés. Tomi n’avait d’ailleurs pas oublié IBK pendant sa longue traversée du désert… ».
L’investigateur ajoute que IBK et Tomi sont en affaires depuis plus de vingt ans. Ce que IBK ne reconnait pas. « Je considère Michel Tomi comme un frère. Mais jamais, au grand jamais, il n’a été question d’argent entre nous », confie IBK à Jeune Afrique en mai 2014.
Les révélations de Mediapart de la semaine dernière viennent prouver que dans l’affaire Tomi, la France semble détenir plus de cartouches troublantes contre IBK qu’elle ne le distribue pour le moment.
Ceci pourrait-il expliquer certaines décisions contre nature prises par IBK depuis qu’il est à la tête de l’Etat malien ?
Terroristes libérés
Parmi les décisions les plus controversées figure en tête la libération, en décembre 2014, de quatre djihadistes en échange de l’ex-otage français Serge Lazarevic. En effet, personne comprend encore ce troc déséquilibré et désobligeant convenu entre les autorités françaises et maliennes : la liberté de l’ otage Serge Lazarevic contre celle du quatuor de terroristes et de narcotrafiquants (pensionnaires de la prison centrale de Bamako) que sont les Maliens Mohamed Ali Ag Wadoussène, Haïba Ag Achérif, le Tunisien Oussama Ben Gouzzi, et Habib Ould Mahouloud du Sahara Occidental.
Le cas du premier a particulièrement créé l’émoi au sein de l’opinion nationale et internationale. Wadoussène a été successivement un déserteur de la Garde nationale, un preneur d’otages et le bénéficiaire d’une évasion tragique pour un surveillant de prison, l’adjudant Kola Sofara. En outre, au cours de sa seconde arrestation, sa compagne a perdu la vie dans un raid des services secrets maliens.
Le second est un élément du groupe radical Ançardine dont le nom est cité dans maints coups tordus et sanglants.
Le Sahraoui est un combattant qui fait la navette entre les Katibas du Polisario et les bandes d’Aqmi. Cette libération de Serge Lazarevic contre celle de dangereux terroristes indique fort bien le point culminant de l’hégémonie de la France au Mali. Et surtout de l’influence de Hollande sur IBK. A quand la libération de notre président du joug français?
Sékou Tamboura