L’horizon d’un dénouement à la fois rapide et heureux de la crise malienne s’assombrit de jour en jour. Lorsque le processus de normalisation à la tête duquel a été porté l’ancien président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, faisait du surplace, l’on se permettait encore d’espérer sur un changement prometteur. Mais les choses sont en train de se corser davantage avec l’échec des négociations entre la junte malienne et les médiateurs de la CEDEAO.
Ce vendredi 11 mai à Bamako, la chaleur était suffocante et le ciel était couvert de gros nuages. Les habitants avaient les nerfs à fleur de peau car en plus de la canicule, la situation sociopolitique s’est corsée depuis le 22 mars, jour du coup d’Etat. Dans un hôtel de la capitale où les émissaires burkinabè et ivoirien, Djibril Bassolet et Adama Bictogo, avaient pris leur quartier, on plie les bagages pour l’aéroport de Bamako-Sénou. Mais en dépit du calme olympien affiché par les deux personnalités, elles sont à bout, excédées par une junte qui, malgré l’Accord-cadre du 6 avril, régente en réalité le pays, du moins Bamako et ses environs et, pire, exige de diriger la transition après l’échéance constitutionnelle du 22 mai. Et jusque-là, la médiation n’a pas abouti.
Le Capitaine Sanogo jure-t-il par la transition ?
La CEDEAO se trouve ainsi confronté à un grave problème : le président du CNRDRE veut tout simplement devenir le Président de la transition après les 40 jours dévolus à Dioncounda Traoré et même (pourquoi pas) se faire légitimer ensuite par les urnes. Au camp de la 3è région militaire de Kati où le Capitaine Sanogo a son poste de commandement, c’est un défilé permanent d’hommes politiques, de commerçants, de membres de la confrérie des griots, de simples citoyens… C’est la preuve que le pouvoir se trouve bel et bien à Kati et non à Koulouba où le Président intérimaire, Dioncounda Traoré, a posé ses pénates. Les patrouilles militaires, la nuit à Bamako, prouvent d’ailleurs que le pouvoir est bien « kaki » et non civil. Pourtant, dès la signature de l’Accord-cadre, on avait espéré que ce Capitaine de l’infanterie originaire de Ségou allait rallonger la liste des « militaires putschistes démocrates », même si, au Mali, on ne pouvait pas parler d’absence de démocratie. Enfin, beaucoup de gens s’étaient laissé convaincre que Sanogo endosserait les habits des ATT, Ely Ould Vall, Salou Djibo, même s’il est vrai que les contextes sont différents. Le rythme de l’évolution de la médiation dans la crise malienne ressemble fort à celui du n tango : il y a plus de bonds en arrière que de pas en avant. Et tous les ingrédients semblent réunis pour qu’on retourne à la case départ. Le Capitaine Sanogo a beau essayé de convaincre de sa bonne foi en « chantonnant » à tout va qu’il ne garde aucune dent contre la personne du Président intérimaire, ses dires et faits prouvent le contraire. Sinon pourquoi affiche-t-il un refus catégorique de voir l’intérimaire constitutionnel poursuivre ce qu’il a entamé s’il n’est pas à priori contre l’existence d’un Président de la transition? A moins que Dioncounda se soit rendu coupable d’une gestion de nature à entraver la bonne marche de la transition, ce qui est loin d’être fondé…
Le même Accord-cadre auquel le président du CNRDRE se réfère comme à une Bible ne contredit cependant pas la proposition faite par la médiation, loin s’en faut ! Autant la Constitution prévoit la possibilité d’une prorogation de la période de transition en cas de nécessité, autant le « bréviaire » du CNRDRE le permet. Et le point d’achoppement qui constitue le choix de la personne ne devait logiquement pas exister dans la mesure où l’actuel intérimaire a été choisi de façon consensuelle et constitutionnelle. Pourquoi ne pas gagner en régularité, en expérience et en temps en gardant le même plutôt que rechercher une autre personne ? En réalité, les militaires réunis au sein du CNRDRE se préoccupent plus de la façon dont ils auront le contrôle sur la transition que de sa bonne marche dont dépend la normalisation de la situation du pays. Pourquoi un militaire qui s’est emparé du pouvoir suprême au péril de sa vi le remettrait-il à quelqu’un d’autre ? Ne dit-on pas que la tête du roi appartient à celui qui n’a pas peur de perdre la sienne ? Les militaires qui restituent le pouvoir méritent reconnaissance et respect. Apparemment, le Capitaine Sanogo n’est pas de ceux-là. Surfant sur une vague de soutiens intéressés et de ceux de Maliens sincères qui en avaient marre du régime d’ATT, le Capitaine Sanogo aurait pu faire partie du cercle très sélect de ces vertueux militaires ci-dessus cités. Mais hélas, engoncé dans ses certitudes « messianiques » qui ont d’ailleurs fait « flop », puisque le Nord reste toujours occupé pr les rebelles, il dérape petit à petit vers le clan des Robert Guéi et Moussa Daddis Camara, et mène dangereusement le Mali vers un précipice. Attention à ne pas trop tirer sur la corde !
La crédibilité de la CEDEAO en jeu
Au rythme où vont les choses, la seule solution consiste à faire comprendre au Capitaine qu’il n’est pas indiqué qu’il conduise cette transition, quitte à ce que la CEDEAO accède à cette contrepartie qui ne dit pas son nom : le bombarder Général pour qu’il s’éclipse. En effet, le Capitaine de 39 ans exige de porter trois étoiles, pas moins ! Une requête rejetée par la CEDEAO (le contraire serait plutôt inattendu) qui devrait pourtant y donner une suite favorable si c’est le prix à payer pour que le Mali sorte de l’impasse. Trois étoiles de Général pour un retrait de Sanogo, c’est jouable ! Le Mali vaut bien un grade de Général. Sous d’autres cieux comme en Côte d’Ivoire, c’est ainsi qu’on a résolu des cas similaires pour tempérer certaines velléités guerrières. Le seul problème reste le sort des « gars » de Sanogo, les « sans grade » du CNRDRE qui ont cru à l’aventure du 22 mars 2012 et qui n’entendent pas « laisser filer » Sanogo sans que leur sort à eux soit réglé. On l’avait dit : l’Accord-cadre doit être revu pour solutionner définitivement la question du rôle et de la place de la junte dans la transition, ou plutôt de la double hiérarchie au niveau de l’Exécutif. Si la CEDEAO continue donc de traiter son vis-à-vis (le Capitaine) avec autant de complaisance, elle court le risque de s’humilier pour la énième fois. Et c’est sa crédibilité et son autorité, déjà entamées, qui risquent d’en prendre un coup fatal.
En Guinée Bissau, les auteurs du coup d’Etat semblent d’ailleurs avoir assimilé l’expérience de ce qui se passe actuellement au Mali : ils ont réussi à imposer leur Président de transition. C’est le manque de logique et de rigueur dans la démarche adoptée par la CEDEAO, au début de la crise malienne, qui explique ses difficultés actuelles à faire plier l’échine aux pouvoirs irréguliers. Ses chances de reprendre les choses en main par le dialogue semblent donc s’amenuiser. Cependant, il lui reste peut-être deux options raisonnables. La première pourrait consister à accepter la poursuite de la transition avec un autre Président qui ne serait ni Dioncounda, ni un militaire, encore moins le Capitaine Sanogo. Comme le Premier ministre de transition, ce nouveau Président de transition, à défaut d’avoir une régularité constitutionnelle, devrait avoir au moins une certaine légitimité sociale. Il doit donc être politiquement vierge pour inspirer confiance aux forces en place. La seconde option à laquelle la CEDEAO pourrait recourir serait l’engagement d’un véritable bras de fer contre la junte qui, jusque-là, est restée sereine et imperturbable. Un sentiment de suffisance et d’orgueil assurément suscité par sa conviction que l’institution sous-régionale n’a pas l’audace nécessaire pour « bander les muscles » au point de l’inquiéter. Cependant, quelle que soit la voie qui à emprunter par la CEDEAO pour rebondir, elle devrait éviter le retour total de la bande à Sanogo aux commandes de l’Etat malien. Mais le pourra-t-elle ? A une semaine de la date fatidique de la fin des 40 jours de la transition (22 mai), la junte semble plus forte que jamais et en mesure d’imposer sa loi.