Le «Vieux père» du blues voire de la musique malienne est de retour avec un sublime album, «Mbalimaou», «Mes Parents ou Mes frères» (label Lusafrica). Un opus bien accueilli par les critiques malgré une place importante faite à des expériences et sonorités nouvelles. L’un des rôles des griots, donc des artistes, c’est de réconcilier les cœurs, réconcilier les époux, les familles, les communautés, les villages voire les royaumes. On comprend alors aisément que malgré la crise que le Mali traverse depuis 2012, les artistes maliens ne soient jamais devenus «aphones».
Ils se sont fait entendre et continuent à élever la voix à l’image du «Papy» Boubacar Traoré alias Kar-Kar dont le nouvel opus ne régale pas moins que les précédents. Mbalimaou (Mes Parents ou Mes Frères) est un appel à la fraternité, à l’unité nationale, donc à la réconciliation de tous les Maliens. D’ailleurs, cet album avait été précédé par «Mali Denhou» (Maliens) en 2011. Et comme toujours, le doyen du blues malien cultive sa notoriété avec l’élégance de «ses chansons aux essences si puissantes». Ce délicieux opus, produit sous le label Lusafrica, a été coréalisé par le virtuose de la kora, notre compatriote Ballaké Sissoko. Un autre monstre sacré réputé sur les scènes internationales qui a produit l’album en collaboration avec Christian Mousset.
Enregistré au studio Bogolan de Bamako, Mbalimaou est bien accueilli par les critiques comme «un nouveau jalon» dans le fabuleux et atypique parcours de Kar-Kar, le prodige de Kayes, un artiste bercé au rythme du Dansa kayésien, mais dont le romantisme et les expériences de la vie l’ont poussé vers les mélodies du blues. Un genre qui convient à la personnalité de l’artiste le plus souvent décrit comme un solitaire. Une solitude qui se ressent dans son atypique jeu de guitare et la poésie qui baigne ses chansons dont l’originalité s’est affinée au fil des ans.
«Imprégné de nostalgie et de mélancolie, Mbalimaou est un disque profond, l’un des plus beaux enregistrés dans la longue carrière de cet artiste hors norme», commente un critique français. Pouvait-il en être autrement d’un album métissé concocté par un duo de rêve ? La version acoustique de «Mariama» (notre coup de cœur) donne à elle seule à cet opus toutes sa sensualité et toute sa saveur.
«Quand j’avais enregistré Mariama pour la première fois, c’était seulement avec la guitare et la voix. Actuellement, je l’ai un peu modernisé, avec d’autres instruments : la kora, l’harmonica, la calebasse», confie l’artiste à nos confrères de «Rfi-musique». Beaucoup plus en retrait sur le précédent disque, Vincent Bucher revient en force et semble «arracher à son harmonica des lamentations de cow-boy blessé», notamment la poignante reprise de Mariama, le légendaire tube de Boubacar. «Jamais les rythmes khassonké n'ont autant sonné aussi proches du swing du Mississippi...», s’enthousiasme un confrère. Mais, les mélomanes auront certainement le choix difficile entre les 12 titres (Dounia Djanjo, Hona, Sanio Moni, Bembalisso, Mbalimaou, Mariama, Bougoudanin, Kolon Tigi, Saya Tèmokoto, Fogniana Kouma, Africa et Sina Mousso Djougou) qui sont aussi enivrants les uns que les autres.
À 72 ans (né à Kayes en 1942) Kar-Kar leur offre un nouveau disque avec des chansons toujours pleines de mélancolie et qui, cette fois, prennent de nouvelles couleurs avec des instruments inhabituels pour lui. Ce pionnier de la musique mandingue moderne, connu pour son twist à l'indépendance (1960), continue «d'abreuver de ses ballades lyriques des années d'ombre et de lumière». Néanmoins, dit un critique, «la belle voix chaude» de Kar-Kar y renoue avec une «certaine véhémence». Respecté de tous, Boubacar Traoré prouve sur cet album qu’il demeure l'un des derniers grands musiciens à avoir fait ses débuts dans le Mali indépendant.
Au fil des années, l’enfant de Kayes et le sage de Lafiabougou-Bougoudanin a su entretenir et enrichir tout ce qui caractérise son style et son univers musical qui est d’une «grande élégance, une belle simplicité, une sérénité…». Bref, d’un dépouillement que, comme le disent les critiques, l'on ne trouve que chez les grands artistes. Et ce serait une lapalissade de dire que Boubacar Traoré en est un. Un monstre sacré du blues, une légende de la musique malienne et africaine. Une légende de la musique !
Moussa BOLLY