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La mode en Afrique: S’émanciper des complexes pour conquérir sa part du marché
Publié le samedi 30 mai 2015  |  Le Reporter




Comme dans la musique avec le terme «World music» ou musique du monde, la tendance a été de confiner les stylistes du continent dans un concept pas forcément discriminatoire de «Mode africaine». Même si celle-ci n’était pas très connue à l’échelle mondiale, des références à l’Afrique sont apparues dans des collections haute-couture sur les podiums de mode les plus prestigieux d’Europe et d’Amérique du Nord ces cinq dernières années. Et notre compatriote Mariétou Mariette Dicko en est une.

«Pourquoi utiliser le terme de mode africaine alors qu’on ne parle jamais de mode européenne ?», s’interrogeait la grande styliste Tina Lobondi. Une juste interrogation pour qui sait que ce genre de classification se fait le plus souvent à partir des clichés, de préjugés discriminatoires ! Sauf que dans ce pays, il s’agit beaucoup plus d’un concept se basant sur une certaine authenticité pour mieux promouvoir la mode en Afrique.

Depuis quand parle-t-on de la mode africaine ? Nous savons que dès 1950, certains créateurs ont fait référence à l’Afrique en utilisant le pagne. Mais, soulignent nos confrères du magazine «Voix d’Afrique», il faut attendre le début des années 90 pour que des journalistes s’ouvrent à la créativité black. C’est ainsi qu’en 1998, dans le désert de Tiguidit au Niger, a eu lieu le premier Festival International de la Mode Africaine (FIMA). Une initiative du célèbre créateur de mode nigérien, Alphadi.

Le festival s’est toujours voulu une manifestation culturelle et économique d’envergure internationale axée sur la «mode africaine» en lien avec la «mode occidentale». Par leur présence, les Yves Saint-Laurent, Kenzo ou Jean-Paul Gautier… ont montré l’importance de cette célébration mondiale de la mode. Toutefois, Malgré la multiplication des «Fashion weeks» sur le continent africain et les yeux doux que lui font de grands couturiers occidentaux en l’intégrant dans leurs collections, cette mode africaine reste encore souvent méconnue. «Les Africains eux-mêmes n’achètent pas les produits africains. Ceux de la diaspora refusent de porter les œuvres de créateurs qu’ils disent inconnus… Nos créations sont peu prisées ici, en Afrique», se plaignait récemment une styliste rencontrée en début d’année à «Bamako Fashion Week».

Pour nos confrères de «Voix d’Afrique», dont le N°100 lui a consacré un dossier, «la mode est plurielle car elle est le fruit de plusieurs créateurs, même si l’instauration de tendances permet d’orienter leur créativité». Il est évident que l’Afrique n’est pas un seul pays et que la mode éthiopienne n’est pas forcément la même que la mode nigériane, somalienne ou ghanéenne, voire malienne ou sénégalaise.

Les Africains n’ont pas naturellement les mêmes traditions vestimentaires dont s’inspirent aujourd’hui des créateurs de la mode moderne. N’empêche que des dénominateurs communs existent, comme le goût pour les couleurs et sont utilisés pour mettre en exergue cette spécificité africaine. «Beaucoup jugent les couleurs africaines trop criardes. Mais il faut dire que les couleurs de nos pagnes actuels ont été imposées par les colons européens, ce ne sont pas les couleurs de l’Afrique… L’Afrique, c’est le bogolan avec deux couleurs maximum, dont l’ocre, l’indigo, le noir ou le blanc par exemple», défendait récemment Alphadi.

Pour des stylistes célèbres comme Mariétou Mariette Dicko, ce qui est essentiel dans la création africaine, c’est sa diversité. Il s’agit de montrer que l’on peut être Africain et moderne, que la mode de l’Afrique ne se limite pas au pagne et au boubou. Par ailleurs, la majorité des designers africains ont fait leurs classes en Europe, leur regard sur la mode ne se limite pas aux racines africaines, au traditionnel. Ils essaient d’éduquer le regard que les gens portent sur ce continent : on est en phase avec cette époque. «Nous ne pouvons pas rester coincés dans le passé... Le monde a évolué, les tendances ont évolué», défend le créateur sud-africain, David Tlale. Sa collection de prêt-à-porter propose des coupes simples, de la minijupe à la robe très longue, sans motifs traditionnels.

Visiblement, les femmes qui travaillent, constituent la cible privilégiée des stylistes africains. Ils essayent donc de séduire cette frange par des coupes résolument modernes pour répondre aux besoins et souvent aux «caprices» de cette clientèle de base. Aujourd’hui, les collections de la nouvelle génération de créateurs africains sont omniprésentes dans la rue, dans les magasins, dans des défilés de mode, sur le continent et dans le reste du monde.

S’adapter au Nord et conquérir la classe moyenne africaine

Mais, pour de nombreux observateurs, «la mode africaine doit encore opérer une autre mutation» : s’adapter au climat d’ailleurs ! Qui dit mode africaine, dit celle d’été, parce qu’elle se calque sur le climat d’Afrique. Mais elle doit encore tenir compte des saisons du Nord pour trouver de nouveaux acheteurs. N’empêche que quelques créateurs africains ont ouvert des enseignes à Paris. Mais, déplore «Voix d’Afrique», entre méventes et charges fiscales, ils se sont retrouvés incapables d’honorer leurs créances. Leurs moyens de production sont limités et rares sont ceux qui sont prêts à les soutenir. Aussi, beaucoup de créateurs concentrent-ils leurs efforts sur le continent. «Le vrai défi, aujourd’hui, c’est de s’imposer sur nos marchés. Nous devons montrer aux Africains ce dont nous sommes capables et les amener à consommer local», pense la Sénégalaise Collé Sow Ardo.

Il faut surtout se focaliser sur ce que les économistes appellent «classe moyenne» qui émerge aujourd’hui un peu partout sur le continent. Cela suppose faire face à la concurrence du «Made in China» qui s’étale sur des kilomètres dans les marchés subsahariens. En cette période de crise, il est difficile de débourser au moins 35 000 Fcfa (53 euros) pour une chemise d’un grand créateur africain, quand 1 000 Fcfa suffisent pour acheter une chemise chinoise. Sans compter les petits tailleurs de quartier qui reproduisent, avec un talent parfois discutable, les modèles qu’ils voient dans les grands magazines ou lors des défilés des créateurs. «Rien qu’en Côte d’Ivoire, dans les années 2006-2007, ils étaient 50 000», indique une source proche du milieu du mode-business.

Les faibles revenus des populations et la profusion d’étoffes sur les marchés contribuent au succès de ces tailleurs. Au début des années 2000, rien qu’en Afrique de l’Ouest, on estimait que chaque année 1,5 million de mètres de pagne wax étaient disponibles sur les marchés. Aujourd’hui, chaque année, 1,5 milliard de mètres de pagne en provenance d’Asie sont distribués sur les mêmes marchés. Et à des prix modestes. Quant à la clientèle aisée, elle est souvent difficile à convaincre. Surtout que les Africains nourrissent toujours le complexe que la qualité vient toujours de l’étranger.

Des étoffes de qualité convoitées par les grands couturiers du monde

Le Mali, le Burkina Faso, le Togo et le Sénégal produisent une partie importante du coton mondial, alors que les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest sont parmi les plus pauvres du monde. Cela vient de la chute des prix depuis la libéralisation du coton sur le marché mondial. Une situation que pouvait corriger les créations africaines, si elles étaient prisées par les Africains. À commencer par les cadres et les intellectuels toujours en costumes-cravates aux dépens de nos créations originales comme les chemises de Pathé O ou les sublimes robes ou chemises de Mariétou Dicko. Surtout que beaucoup de tissus du continent commencent à acquérir une renommée mondiale.

À l’image du bazin malien (hélas fabriqué en Allemagne et en Autriche), un tissu damassé aux motifs multicolores, teinté à la main et utilisé pour confectionner vêtements de luxe et du linge de maison.

C’est aussi le cas du bogolan, le plus connu des tissus africains traditionnels tissés en bandelettes, utilisé par les communautés d’Afrique de l’ouest (Mali, Burkina-Faso, Sénégal…). Les batiks aux couleurs chaleureuses teintées au Togo et le kenté ashanti du Ghana, le plus royal des tissus africains, parviennent aussi à attirer les stylistes en dehors du continent. On les connaît, mais on ne les achète pas ou pas assez ! C’est la tendance qu’il faut inverser pour que la mode africaine émerge sur le continent et soit un réel tremplin du développement économique et culturel.

Le défi pour les stylistes africains, c’est de trouver les arguments pour bien convaincre la clientèle locale afin de prouver que la création peut être rentable en Afrique. Les experts du développement ne cachent plus leur conviction que la «mode peut devenir un acteur essentiel de développement durable, créatrice d’emplois dans le textile, la confection, la bijouterie et la maroquinerie».

Pour changer les mentalités, les créateurs ont déjà fait des efforts sur la qualité avec des finitions plus soignées et des coupes qui s’adaptent aux besoins de la vie urbaine. Il leur reste maintenant aussi à faire face au manque de financement qui est également un obstacle majeur à l’épanouissement du secteur. «Pour les banques, la mode n’est toujours pas un investissement sûr», s’inquiète Khady Diallo. Aujourd’hui, l’Afrique revient à la mode. Mais, il faut une prise de conscience générale et surtout une forte implication des autorités publiques et du secteur privé bancaire pour que cette mode soit réellement une vitrine culturelle et une chance de développement pour l’Afrique !

Moussa BOLLY
(Avec Voix d’Afrique…)
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