L’Association malienne des procureurs et poursuivants (Ampp), le Syndicat autonome de la magistrature (Sam), le Syndicat autonome des greffiers (Sag) et la Confédération syndicale des travailleurs du Mali, tous contre le Conseil économique, social et culturel, intentent des recours en annulation pour excès de pouvoir contre des décrets qu’ils qualifient de suspects, dont le décret N° 0024 PRM du 29 janvier 2015 fixant la liste des membres du Conseil économique, social et culturel (Cesc). Pour ces différentes structures, le Cesc n’est ni une société sécrète ni un cercle fermé à des structures reconnues comme ayant droit d’y siéger. Relevant que le décret N°0024 du 29 janvier 2015, déjà manifestement dans l’illégalité, apparaît clairement comme un décret très suspect, de par le flou qui entoure les circonstances de sa publication, ces organisations concluent qu’il n’y a pas lieu à se faire souci par rapport à sa date de sa signature.
En résumé succinct : l’État, premier sujet de droit, devant donner l’exemple du respect dû aux décisions de justice exécutoires, (même celles rendues contre lui) refuse de se soumettre à un arrêt de la Section administrative de la Cour suprême du Mali rendu contre lui (arrêt N°76 du 15 août 2002), arrêt consécutif à un premier arrêt rendu, suite aux recours intentés en 1999, en annulation pour excès de pouvoir, par le Syndicat autonome de la magistrature, le Syndicat autonome des greffiers et la Confédération syndicale des travailleurs du Mali.
Dispositifs des deux arrêts
Arrêt N°30 du 28/09/2000 : «En la forme : reçoit la requête du Syndicat autonome de la magistrature et du Syndicat autonome des greffiers, de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (Cstm)…
Au fond : annule le décret 99-272 pour excès de pouvoir ; ordonne la restitution de la consignation ; met les dépens à la charge du Trésor public…».
Arrêt N°76 du 15/08/2002 : «Statuant publiquement, contradictoirement, en premier et dernier ressort, en matière de recours en révision et après en avoir délibéré conformément à la loi…..reçoit en la forme le recours en révision ; au fond, rétracte l’arrêt N°30 du 28 septembre 2000. Statuant à nouveau : reçoit en la forme la requête du Syndicat autonome de la magistrature et du Syndicat autonome des greffiers, de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali…Au fond : annule le décret 99-272 pour excès de pouvoir dans les dispositions concernant la désignation des douze représentants des salariés du secteur public et privé…».
Comme conséquence logique de la délivrance de la grosse en bonne et due forme de l’arrêt N°76, aucune autre entrave ne devait encore se poser à l’admission du Sam et des autres entités bénéficiaires au sein du Cesc. À ce jour, l’arrêt n’a pu être exécuté et le Sam, le Sag et la Cstm se débattent inlassablement depuis 2002, soit près de 13 ans, sans succès, auprès d’un interlocuteur de mauvaise foi, dont le seul dessein est de les empêcher, vaille que vaille, de siéger au sein du Cesc, pour avoir osé l’attaquer en justice.
Plus que jamais, l’Ampp, le Sam, le Sag et la Cstm dénoncent la composition du Cesc, comme irrégulière, puisque relevant d’un excès de pouvoir caractérisé par un mépris des arrêts successifs rendus par la Section administrative de la Cour suprême du Mali. Il s’agira, cette fois ci, outre des recours en annulation pour excès de pouvoir intentés contre lesdits décrets, d’entreprendre toute action en vue d’empêcher le fonctionnement des structures issues de ces actes pris, en violation flagrante et manifeste de la loi.
Déterminés que nous sommes pour faire triompher le droit et la justice sur l’arbitraire et l’injustice de la puissance publique, il s’agit surtout d’opposer à l’État du Mali les instruments internationaux auxquels il a entièrement souscrit et dont il est tenu au respect. Au cas même où le Cesc du Mali, dans sa composition actuelle entachée de nullités, s’évertuerait à poser des actes, le Sam et l’Ampp se réserveront le droit de saisir le Conseil économique et social des Nations-Unies à travers l’Union internationale des magistrats et l’Organisation internationale de la Francophonie à travers l’Association internationale des procureurs et poursuivants francophones, en vue de sa disqualification à participer aux activités organisées à l’échelle internationale.
À partir du moment où les magistrats et greffiers, membres de l’l’institution judiciaire, gardienne des droits et libertés fondamentaux, subissent eux-mêmes, impuissants depuis des années, les dures et tristes conséquences de l’arbitraire de la puissance publique, l’on est en droit d’admettre cette boutade devenue populaire qu’«au Mali, mieux vaut être avec l’État qu’avec le Droit».
Dans un tel contexte de non-droit, dans un pays censé être engagé sur la voie de la démocratie, la dénonciation des excès apparaît dès lors, non seulement comme un droit, mais surtout comme un devoir pour les associations et syndicats victimes ou ayant intérêt à agir. Se résigner à ce stade en faisant dépendre le sort du bon vouloir ou de l’humeur de l’État, après des années pour gagner un procès, aux prix d’efforts et d’énormes sacrifices, reviendrait à cautionner l’arbitraire et l’injustice de l’État sur le droit et la justice. Ce serait une démission, voire un abandon de la lutte syndicale, par manque de conviction et de courage.
Pour l’Association malienne des procureurs et poursuivants, son intérêt pour agir, qui est sans équivoque, se justifie par rapport à ses objectifs, dont un des volets essentiels porte sur le renforcement de l’État de droit et la consolidation de la démocratie, la défense des droits de l’homme, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et à la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000, qui a été pour l’Organisation internationale de la Francophonie, un symbole fort et un véritable déclic.
En plus de cette logique, la demande adressée au ministre du Travail, de la Fonction publique et des Relations avec les institutions, en date du 27 octobre 2014, par l’Ampp, la conforte pour attaquer ces décrets qui portent gravement atteinte à ses intérêts. Il est à préciser qu’aux termes de l’article 110 du Titre III de la Constitution, traitant du Conseil économique, social et culturel : «Sont membres du Conseil économique, social et culturel : les représentants des syndicats, des associations, des groupements socio-professionnels élus par leurs associations ou groupements d’origine…». Les termes de ces dispositions constitutionnelles étant suffisamment clairs, aucun obstacle ne saurait dès lors être posé à l’admission de l’Ampp au sein de cet organe.
En ce qui concerne le critère de représentation, l’Ampp le remplit sur tous les plans, en tant que seule et unique organisation des procureurs encore existant au Mali. À part le recours à la justice pour la reconnaissance de ses droits, par la puissance publique, un syndicat ou une association ne dispose d’autres moyens. Si gagner contre l’État devient un crime pouvant faire encourir la peine de mort au Mali pour les associations et syndicats, l’Association malienne des procureurs et poursuivants, de par ses objectifs clairement définis, a aujourd’hui des questionnements légitimes sur l’État de santé de la démocratie au Mali.
Tout le crime du Sam, du Sag et de la Cstm, c’est d’avoir eu raison sur le tout-puissant État du Mali, à l’issue d’un contentieux administratif très tendu, qui a débuté en 1999 pour prendre fin en 2002. Les requêtes en recours en annulation pour excès de pouvoir contre le décret 99-272, ayant abouti, la sentence de l’État à l’encontre du Sam, considéré comme instigateur des recours, ne s’est pas fait attendre, comme en témoignent les tentatives multiformes d’affaiblissement, d’étouffement, voire d’élimination entreprise à son encontre, entre autres : des mesures de suspension précipitée avec effet immédiat de toutes subventions de l’État en faveur du Sam, pour empêcher ses participations aux activités du Groupe régional africain et de l’Union internationale des magistrats ; l’incitation continuelle, au soulèvement contre tout un corps de magistrats qui dérange et qui est dépeint à dessein, sous des traits les plus lugubres… ; l’interdiction pour les magistrats de participer aux débats intéressant la vie de la nation ; l’arrêt de toutes aides destinées à la formation et à l’organisation des activités syndicales ; les mesures discriminatoires contre les magistrats dans l’octroi de plusieurs avantages, tels les primes de zone, les primes de responsabilité, les primes d’eau et d’électricité, les primes de téléphone. Ces désagréments n’ont pas épargné les greffiers alliés et collaborateurs directs des magistrats.
À présent, l’État n’entend point démordre. Dans le dessein de ne jamais voir ces structures siéger au sein de cet organe, conformément à sa décision arrêtée de ne point céder devant la justice, il vient encore de prendre en 2015 des actes irréguliers, manifestement illégaux, dans l’esprit du décret 99-272 annulé depuis 2002 pour excès de pouvoir. Encore, en 2015, c’est ce décret annulé N°99-272 du 20 septembre 1999 fixant la liste des membres du Conseil économique, social et culturel, pour excès de pouvoir, qui vient d’être reconduit, dans le fond par le décret N°0024 PRM du 29 janvier 2015 fixant la liste des membres du Conseil économique, social et culturel, un décret suspect à tout point de vue. Ce décret lui-même se trouve en contradiction avec le décret N°94-177/PRM du 5 mai 1994 modifié en son article 3 (décret N°04-333/PRM du 13 août 2004), pris pour base.
Comme argument de refus de faire admettre le Sam et les deux autres structures déjà bénéficiaires d’une décision de justice, le ministère du Travail et de la Fonction publique se prévaut de la modification de l’article 3 du décret d’application de 1994. Or, la modification intervenue dans la rédaction de l’article 3 du décret d’application, dont il est question, n’exclut en rien ces structures de la composition du Cesc, mais bien au contraire. Le ministre, en aucun cas, ne pourrait s’en prévaloir contre elles.
Le décret d’application modifié en son article 3 n’a fait que substituer les termes «les organisations syndicales les plus représentatives» aux termes «l’organisation syndicale la plus représentative». Le décret d’application modifié de la loi élargit plutôt la composition du Cesc aux organisations syndicales les plus représentatives, au lieu de l’enfermer, comme c’était le cas du décret initial, autour de la seule organisation syndicale la plus représentative.
Une simple analyse des deux dispositions (celles de l’article du décret initial et celles de l’article 3 modifié, actuellement en vigueur) permet aisément de relever que les incohérences du ministre du Travail, artisan de tous ces décrets très suspects, en l’occurrence le décret N°0024 du 29 janvier 2015, ne sont fondées que sur la mauvaise foi alimentée par une volonté délibérée de nuire.
L’article 3 du décret N°94-177/PRM du 5 mai 1994 fixant les conditions de désignation des membres du Cesc stipule : «Les douze représentants des salariés du secteur public et du secteur privé sont désignés par l’organisation syndicale la plus représentative». L’article 3 (nouveau) du décret Modificatif N°04-333/P-RM du 13 août, du décret N°94-177/PRM du 5 mai 1994 fixant les conditions de désignation des membres du Cesc, lui, dit : «Les douze représentants des salariés du secteur public et du secteur privé sont désignés par les organisations syndicales les plus représentatives».
Cet article 3 (nouveau), loin d’exclure le Sam, le Sag et la Cstm du Cesc, au contraire, les y intègre, pour avoir été rendu nécessaire suite à leurs recours en annulation pour excès de pouvoir, gagné contre l’État du Mali, à travers le ministère du Travail et de la Fonction publique. Les dispositions nouvelles de l’article 3 du décret d’application modifié sont expressément favorables à l’admission des organisations syndicales les plus représentatives au sein du Cesc.
Le décret N°0024 du 29 janvier 2015, en se fondant sur lesdites nouvelles dispositions, devrait en toute logique inclure les différentes structures au sein de l’organe. S’en servir au contraire pour en exclure le Sam, le Sag et la Cstm, au mépris d’une décision de justice rendue en leur faveur, relève d’une illégalité manifeste et d’un excès de pouvoir. Quoi qu’il en soit, l’arrêt N°76 ayant acquis autorité de la chose jugée, les structures bénéficiaires devraient être remises dans leurs droits considérés comme acquis. L’on ne saurait, sous aucun prétexte ou argument, envisager des mesures n’ayant autre objectif que de faire obstacle à l’exécution d’un arrêt exécutoire rendu contre l’État du Mali.
Le Sam et l’Ampp ne sauraient prendre position contre l’arbitraire et l’injustice commis ailleurs, tout en cautionnant par un silence coupable, les atteintes les plus graves aux droits, savamment orchestrées et perpétrées par l’État du Mali. Le Sam, qui a d’autres combats à mener, aurait évité tout autre contentieux, si l’État n’avait pas excédé ses pouvoirs en méconnaissance des arrêts de la Cour suprême.
Pourtant, c’est plutôt l’État, premier sujet de droit, qui devrait donner l’exemple du respect dû aux décisions de justice devenues exécutoires. Le Sam n’est plus, certes aujourd’hui, l’unique syndicat de magistrats. Il importe cependant de préciser que le syndicalisme au sein de la magistrature est organisé suivant des principes transparents et rationnels acceptés par tous. Il relève surtout du professionnalisme et s’exerce dans le respect de l’autre, puisque tous défendant des intérêts identiques.
Au plan national, les deux syndicats de magistrats, connus à ce jour au Mali, travaillent et collaborent en parfaite entente pour la défense des intérêts communs. Au plan régional et international, chaque pays étant représenté par un seul syndicat, les deux syndicats de magistrats continuent jusque-là d’interagir par le Sam, en tant que représentant de tous les magistrats du pays. Ces éléments suffisent à soutenir que le Sam est en droit d’être membre du Cesc, comme remplissant toutes les conditions exigées par la loi. Ceci a d’ailleurs intelligemment et en toute responsabilité été confirmé par l’arrêt célèbre ci-dessus référencé de la Section administrative du Mali, dont l’exécution devient question d’honneur pour l’État du Mali.
Les différents décrets relatifs au renouvellement des structures du Cesc, aujourd’hui en cause, violent manifestement les droits et intérêts des corps de la justice et de la Cstm. Il va donc de soi, qu’à côté de ces recours en annulation, soient intentées des actions en réparation contre l’État du Mali, pour refus caractérisé de se soumettre à un arrêt de la Section administrative de la Cour suprême, devenu exécutoire depuis 2002.
Cheick Mohamed Chérif KONE
(Président de l’Ampp, vice-président du Sam et porte-parole du Collectif)