C’est ce qu’ont laissé transparaître certaines séquences de la marche du 26 mai. Et c’est que doivent aider à dépasser les rencontres d’Alger
De profondes inquiétudes sur le proche avenir, des préjugés tenaces créés par les circonstances et que seuls dissiperont un patient travail de persuasion et surtout l’amélioration de la situation au Nord du Mali, un attachement extrêmement fort à la préservation de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale. Voilà les indications parfois contradictoires qui peuvent être tirées de la manifestation de la semaine dernière, organisée à l’appel de la Plateforme des associations de la société civile. En l’absence de sondages réguliers sur l’humeur générale du pays, les marcheurs du 26 mai ont fait office de baromètre et ont restitué de manière plutôt fiable l’état d’esprit de l’opinion nationale, une dizaine de jours après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation.
Les inquiétudes des participants se rapportaient tout logiquement à l’intensification des attaques au Septentrion. A dire vrai, la décision de la Coordination de se limiter au seul paraphe du document du 15 mai en attendant l’ouverture de discussions avec le gouvernement et la Médiation ainsi que l’obstination du MNLA à récupérer la ville de Ménaka avaient éloigné dans tous les esprits la perspective d’une accalmie significative. Mais l’opinion ne s’attendait certainement pas à une telle multiplication des agressions perpétrées contre les populations de modestes localités ou des attaques lancées contre des postes militaires de moindre importance. Les indices les plus récents fournis par les opérations menées sur le terrain par la Coordination incitaient donc le Malien moyen à un optimisme tout juste prudent quant à l’issue des discussions d’Alger.
Les préjugés, eux, ont trait à ce que nos compatriotes persistent – malgré toutes les explications données par les autorités – à déceler comme partialité dans les positions de la MINUSMA et de la France. Lorsqu’on examine la situation en se soustrayant de la chape émotionnelle qui l’enveloppe aujourd’hui, on s’aperçoit que pour leur part, les troupes onusiennes paient un double tribut aux interprétations divergentes des limites de leur mandat et à la multiplication de maladresses commises par certains de leurs responsables. Maladresses amplifiées de surcroît par une communication quasi autiste et experte dans l’usage des formules qui fâchent. La Mission a répété à suffisance qu’elle n’était pas au Mali pour livrer bataille aux rebelles et aux terroristes. Son mandat ne la destine pas à cette entreprise dans laquelle ni ses effectifs, ni son équipement ne lui permettent de se lancer. Le problème est que dans le même temps la MINUSMA a, et cela depuis ses débuts, presque tout aussi abondamment affirmé que l’une de ses missions essentielles était la protection des populations civiles.
LA MALADRESSE LA PLUS RETENTISSANTE.
Or, à quels dangers sont exposées singulièrement les populations du Nord de notre pays au cours des deux dernières années si ce ne sont les agressions des pillards qui bloquent la reprise des activités économiques basiques dans le Septentrion ; les exactions des bandes de nervis qui agissant sous la bannière de groupes armés rançonnent à loisir les habitants de localités privées de toute protection ; ou encore les opérations d’intimidation et de représailles menées par les terroristes ?
L’armée malienne se trouvant cantonnée, la Mission n’a pu contenir la progression d’aucun de ces trois périls qui ont paralysé l’amorce de la reprise d’une vie normale. Elle dispose certainement d’arguments suffisants pour faire admettre ses limites. Mais son plaidoyer, malheureusement pour elle, reste inaudible pour le commun des Maliens. Tout simplement parce que la MINUSMA donne trop fréquemment et depuis trop longtemps à nos compatriotes résidant au Septentrion l’impression qu’elle ne s’investit jamais autant qu’elle l’aurait pu. Les populations locales évoquent à cet égard certaines situations connues de tous (comme l’insécurité sur l’axe Tombouctou-Goundam ou encore l’arbitraire exercé par le MNLA sur les populations de Ménaka) et qui auraient dû amener une intervention minimale des troupes onusiennes.
Comme nous le disions précédemment, la Mission ne s’est pas épargné non plus d’énormes maladresses, la plus retentissante étant l’accord pour l’établissement d’une zone temporaire de sécurité passé entre un des responsables militaires de la MINUSMA, le général Thibault, et le chef de la branche armée du MNLA, Mohamed Ag Najim. L’initiative mal venue à tous points de vue et totalement inacceptable sur le plan politique, a notamment eu pour conséquence de provoquer une désastreuse rupture de confiance entre la mission onusienne et les populations de Gao. Rupture encore accentuée par le décès de quatre manifestants lors de la marche de protestation organisée le 27 janvier dernier dans la Cité des Askia.
La MINUSMA a donc du mal à se débarrasser du poids de ces appréciations défavorables. D’autant plus qu’elle-même continue jusqu’à présent de charger la barque sans se rendre compte de l’expression inappropriée de certaines de ses initiatives. Comme l’injonction faite dans un premier temps au GATIA de quitter immédiatement Ménaka alors que les populations s’opposaient démonstrativement à tout retour du MNLA. Ou plus récemment l’information d’une enquête sur les événements de Tin-Hamma dans lesquels la Coordination a accusé l’Armée malienne d’avoir exécuté des civils. Sur ce second point, l’opinion s’est immédiatement enflammée, rappelant le silence observé par la Mission sur le lourd tribut en vies innocentes payé aux différents raids de représailles de la CMA après la perte par elle de Ménaka.
Le recensement de tous ces faits conduit à une conclusion évidente : il y a pour la MINUSMA une nécessité pressante de réparer son image dégradée. Mais cette entreprise n’aboutira qu’au prix de deux évolutions majeures. La première ne dépend pas de la Mission elle-même. Le Conseil de sécurité de l’ONU qui doit, ce mois-ci, prolonger le mandat de la force onusienne adaptera certainement les moyens d’action de celle-ci à la conjoncture actuelle. Comme l’a fait très justement remarquer chez notre confrère « Le journal du Mali » Hamdi Mongi, le Représentant spécial du Secrétaire général, il n’y a aucune chance pour que la Mission se mue en force anti-terroriste. Mais il est probable que le mandat soit renforcé selon le vœu exprimé depuis l’an passé par notre pays. La conjoncture présente et la montée des menaces qui va se poursuivre incitent à cette évolution. Tout indique en effet que les terroristes amplifieront dans les mois à venir leurs attaques contre la MINUSMA qu’ils jugent moins prompte à la réaction et moins déterminée dans l’engagement que les forces maliennes.
GUATEMALTÈQUES OU KIRGHIZES.
Les indices patents ne manquent pas à cet égard. L’action avortée contre la résidence de hauts gradés militaires de la Mission à Faso Kanu et la tentative d’élimination des chefs militaire et de la sécurité du contingent des Casques bleus symbolisent bien l’orientation que prendront les actions djihadistes dans le proche avenir. D’un côté, la poursuite du harcèlement des Casques bleus ; et de l’autre, la perpétration d’attentats à grand retentissement médiatique et symbolisant la capacité des terroristes à frapper au cœur de ce qu’ils considèrent comme le système ennemi. En 2013, l’ONU, en établissant le mandat de la MINUSMA, avait la conviction que Serval avait fait l’essentiel du travail de pacification et qu’il restait au contingent onusien à accompagner le retour à la normale. Aujourd’hui, elle doit admettre que les Casques bleus affrontent une pression accrue des groupes armés et se trouvent clairement ciblés par les terroristes.
La future réponse des Nations unies devrait en principe prendre en compte ces tendances qui émergeaient déjà l’an passé, mais dont la gravité – pourtant soulignée par le Mali – n’avait pas été totalement mesurée par le Conseil de sécurité. D’autre part, celui-ci, pour demeurer en cohérence avec les mises en garde que lui-même a faites, doit déjà envisager les sanctions réservées aux irréductibles et aux extrémistes qui n’auront pas accepté d’adhérer à l’Accord de paix et de réconciliation.
La seconde évolution à faire dépend entièrement de la MINUSMA elle-même. En relisant le script de la conférence de presse de Hervé Ladsous donnée le 16 mai dernier à Bamako, en décortiquant les deux communiqués consécutifs au discours du président Keïta du 15 mai et en lisant la très instructive interview accordée par Hamdi Mongi à notre consoeur du « Journal du Mali », l’on mesure l’énorme fossé qui sépare le ressenti des responsables onusiens de celui de la population malienne sur les mêmes événements et sur les mêmes phénomènes.
Lorsque les premiers parlent des acquis apportés par eux dans la restauration de l’autorité de l’Etat, la seconde fait remarquer que les infrastructures restaurées et destinées à l’Administration publique restent largement inoccupées du fait de la persistance de l’insécurité. Lorsque les premiers mettent en avant la promotion réussie des droits de l’Homme, la seconde ne perçoit dans les actions identifiées que de très classiques sessions de formation pour certaines corporations. Lorsque les premiers font remarquer que 90% des effectifs militaires ont été déployés sur 12 sites dans les trois Régions du Nord et que 24.000 patrouilles ont été effectuées depuis l’établissement de la Mission, la seconde insistera sur le fait qu’aucune collectivité n’a encore admis avoir vu la sécurité de ses membres améliorée grâce aux Casques bleus.
Ce hiatus dans la perception des résultats de la Mission est en bonne partie dû à une communication onusienne particulièrement stéréotypée et qui assène ses vérités dans une effarante ignorance du pays réel. La MINUSMA se rendrait service en conseillant à ses communicants de fendre l’armure bureaucratique, de se défaire de leurs intonations professorales et d’aller au vrai contact plutôt que de se contenter de rencontres calibrées dont le contenu aurait pu tout aussi bien convenir à des interlocuteurs guatémaltèques ou kirghizes.
UN DOUTE QUI S’EST SÉDIMENTÉ.
Ce mode de fonctionnement convient sans doute aux partenaires institutionnels de la Mission. Mais il est totalement improductif lorsqu’il s’agit de créer un minimum d’interactivité avec la presse ou les populations. De cela, les responsables onusiens de la communication ont dû s’en apercevoir s’ils n’ont pas cherché à biaiser les enseignements à tirer du feu roulant de critiques déclenché par les médias maliens, toutes sensibilités confondues, contre les deux communiqués évoqués plus haut. L’accueil d’une équipe de reportage de l’Essor dans les patrouilles des Casques bleus (il importe de préciser que cette ouverture est antérieure au 15 mai) constitue un modeste pas en avant. Il faut maintenant souhaiter que cette initiative représente un vrai infléchissement, et non une faveur de circonstance.
Quant au reproche fait par de nombreux Maliens à la France pour le prétendu parti pris de celle-ci en faveur de la Coordination, il constitue une incroyable ironie de l’Histoire. Il suffit en effet d’opposer la sourde grogne actuelle à la ferveur exceptionnelle dans laquelle avait été accueilli le président Hollande en février 2013 pour s’étonner de l’ampleur du revirement populaire. A l’origine de celui-ci se trouve, bien sûr, le traitement du cas de Kidal. A une époque, certains « services » avaient certainement estimé qu’il était pertinent de préserver la carte MNLA. Pour ces spécialistes, le Mouvement représentait un allié non négligeable dans l’atteinte de trois objectifs : repérer et libérer les otages français encore aux mains des djihadistes, assister les éléments de Serval dans la traque des terroristes dans l’Adrar et assurer la sécurité de la zone de Kidal (abusivement) considérée comme le fief du Mouvement.
Ces considérations, commentées plus tard dans le détail par des responsables du MNLA eux-mêmes, expliquent le sort particulier réservé à la capitale de la 8ème Région dans laquelle le Mouvement avait pu se réinstaller avant que l’armée malienne n’obtienne la possibilité de faire, à son tour, une entrée sous conditions. Au fil des mois, les rebelles ont clairement démontré qu’ils n’étaient ni une organisation politique vraiment structurée, ni une force militaire décisive. N’ayant contribué ni à la libération des otages, ni à la sécurisation de Kidal, ils ont assez rapidement privé les milieux qui les supportaient d’arguments en faveur de la perpétuation d’une prise en compte particulière.
En toute objectivité, il faut donc surtout retenir que la France a constamment réaffirmé son attachement sans ambiguïté à la préservation de l’intégrité territoriale de notre pays et du caractère unitaire de l’Etat malien. Et qu’elle a vigoureusement incité la CMA à signer l’Accord du 15 mai. Malheureusement, le doute instillé dans l’opinion malienne par la question kidaloise s’est sédimenté au fil des difficultés rencontrées dans la conclusion de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Il s’est aussi exacerbé du fait des faveurs médiatiques accordées à la CMA sur une antenne internationale. Au point que lors de la marche de la semaine passée certaines pancartes opposaient la prétendue tiédeur française au soutien résolu manifesté par des pays comme l’Allemagne, les Etats-Unis ou la Russie.
Il est donc grand temps que la marche vers la paix sorte de l’incertain. Le retard dans la décantation de la situation ne fait en effet qu’attiser les tensions, empirer la situation sur le terrain, approfondir les malentendus, accentuer les malaises et compliquer les rapprochements. Il fait aussi naître dans de larges pans de l’opinion nationale des animosités illogiques et installe une relecture passionnelle des événements. Pour interrompre la montée des phénomènes négatifs, il s’avère indispensable que les discussions ouvertes à Alger débouchent sur une vraie clarification des positions de la CMA. Pour que s’enclenche enfin le cercle vertueux espéré de nos populations. Et que soient exorcisés les démons de l’incompréhension.
G. DRABO