Le président de la République ne semble plus réellement être maître de ses propos quand il parle de la Minusma, ou, tout moins, Ibrahim Boubacar Kéïta ne dit pas ce qu’il pense en son for intérieur de la mission de l’institution onusienne au Mali, ou, enfin, le chef de l’Etat n’assume pas ses convictions, mêmes fondées, vis-à-vis de cette Mission. Nous n’en doutons d’autant plus que le chef de l’Etat et son gouvernement se donnent assez (trop ?) de peine pour recadrer son intervention endiablée (appréciée du peuple !) du 15 mai contre l’Onu et les dérapages des marcheurs du 26 mai. Dernière amende honorable d’IBK : mardi dernier, lors du lancement de la campagne agricole 2015, à Samanko : «…que personne ne s’y méprenne, le rôle de la Minusma est un rôle délicat. Certains pensent que la Minusma est là pour lutter contre les rebelles, non !... Elle est là pour nous aider à stabiliser et à réconcilier le pays…».
Pour un chef d’Etat, qui avait exigé des Nations unies, une semaine plus tôt, que « le Mali…soit l’objet d’un minimum de respect… », le revirement est de nature à décevoir tout un peuple et, au-delà, à ternir l’image du pays. IBK doit choisir : se taire ou assumer !
Ce n’était certes pas une humiliation nationale ; mais le virage à 190° d’Ibrahim Boubacar Kéïta, le mardi 26 mai dernier, à l’occasion de la Journée du paysan, à Samanko, avait les allures extrêmement gênantes d’un repentir dont le président de la République se serait bien passé, pour l’honneur du Mali. Ce jour-là, en présence de hautes personnalités du pays et accrédités au Mali, le président de la République a profité du temps de son discours pour faire une digression et s’appesantir sur son contentieux avec les Nations unies. Il a tenu un langage inattendu dans lequel il fait carrément amende honorable. Extrait : «Je…profite de cette journée pour dire encore la reconnaissance du Mali à l’endroit de tous les pays amis du monde entier qui ont aidé à nous retrouver, singulièrement nos frères africains voisins, mais au-delà, l’Europe, au-delà, la Russie, au-delà la Chine…Je ne voudrais pas que nous nous trompions ; que personne ne s’y méprenne, le rôle de la Minusma est un rôle important, est un rôle difficile, est un rôle délicat. Certains pensent que la Minusma est là pour lutter contre les rebelles, non ! Telle n’est pas sa mission, telle n’est pas son mandat. Elle est là pour nous aider à stabiliser et à réconcilier le pays. C’est donc une mission difficile …Dans l’histoire des Nations Unies, je ne connais aucun théâtre sur lequel, les forces des Nations Unies, les Casques bleus ont perdu autant d’hommes et ont subi autant d’agressions. Vous avez vu ces bombes placées, ces pièges d’un autre âge pour des hommes qui sont venus pour aider à la paix dans notre pays, ils ont été victimes. Donc, ne nous trompons pas, la Minusma n’est pas l’ennemi du Mali, elle n’est pas l’ennemi du Mali. Il faut qu’on le comprenne et que nous aidions ces fils d’Afrique, d’Europe et du monde entier venus pour nous aider…Je le dis encore une fois, n’écoutez pas les gens qui pourraient vous dire, ce sont ceux-là nos ennemis ; ce n’est pas vrai, ils sont là pour nous aider à avoir la paix entre nous ici, à nous réconcilier et c’est leur devoir, c’est leur mission…».
On aurait rien reproché à ce discours (qui aurait même été applaudi et bien accueilli) s’il n’était pas intervenu dans un contexte de brouille dans les relations entre Ibrahim Boubacar Kéïta et les Nations unies.
Deuxièmement, depuis le début de cette affaire IBK-ONU, le chef de l’Etat et le gouvernement n’ont manqué aucune occasion pour « présenter leurs excuses ». Tous les termes et expressions utilisés dans les différents communiqués du gouvernement, qui contredisent le discours historique du 15 mai d’IBK, s’apparentent effectivement à des excuses présentées aux Nations unies. Mais, ne dit-on pas que l’excès de tout est nuisible.
Tout est parti du discours du président de la République lors de la cérémonie de signature de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, le 15 mai dernier au Cicb. Répliquant aux propos du secrétaire général adjoint des Nations-Unies chargé des Opérations de maintien de la paix, le Français Hervé Ladsous, qui affirme que «toutes les parties ont violé le cessez-le feu», le président IBK a parlé avec le…cœur. Ce 15 mai, IBK a dit, entre autres vérités: «…Avons-nous jamais violé le cessez-le-feu ? Avons-nous jamais violé la cessation des hostilités quand la décision a été prise ? Jamais ! Il serait convenable que Monsieur Ladsous et les représentants du secrétaire général de l’Onu fassent preuve de justice et d’équité à cet égard-là ! Chaque fois qu’il y a violation de cessez-le-feu, violation de cessation des hostilités, nous l’avons signalé, mais rarement nous avons été entendus. Un peu de respect pour notre peuple… Le Mali n’a jamais manqué à ses engagements internationaux, et continue de le faire aujourd’hui, pourvu qu’en retour, il soit l’objet d’un minimum de respect…Nous demandons aux missions des nations unies à faire un peu de respect pour notre peuple. Nous les invitons à faire en sorte que le jeu soit transparent. Nous comptons sur Ladsous, pour avoir notre dû et pas plus…». Visiblement très à l’aise devant un parterre de chefs d’Etat et de gouvernement africains et de hautes personnalités venus du monde entier, IBK était dans la peau du citoyen Malien. Pas celui d’un chef d’Etat d’un pays désormais sous coupe réglée de l’ONU.
Des propos « sortis » de leur contexte
Mais, ce sentiment de fierté fut de très courte durée. Car, le surlendemain, 17 mai, IBK revenait sur ses paroles, via le ministre porte-parole du gouvernement, Choguel Kokalla Maïga. En effet, dans le journal télévisée du soir, le ministre de l’économie numérique, de l’information et de la communication venait sur le plateau pour recadrer les propos du président, « sortis » de leur contexte. Pour Choguel, le président de la République n’a fait qu’exprimer le ressenti des Maliens. A l’appui de cette justification, le gouvernement publie un communiqué dans lequel il « rejette tout amalgame quant à sa position et celle du peuple malien sur les actions remarquables des Nations unies et de tous les pays amis dans la résolution de la crise depuis 2012 ». L’hommage rendu par le chef de l’Etat à la Communauté internationale lors de la cérémonie solennelle du 15 mai 2015 l’atteste éloquemment, poursuit le communiqué. Qui rappelle par ailleurs, que la nation malienne, à chaque fois que cela a été nécessaire, a rendu l’hommage qui sied au sacrifice des soldats de la paix venus de différents horizons et s’incline de nouveau sur la mémoire de ceux qui ont consenti le sacrifice ultime sur le sol malien.
Cette sortie-média du porte-parole du gouvernement fait suite à un communiqué de la Minusma aussitôt après la cérémonie de signature de l’Accord et les « vérités d’IBK », ponctuée d’une conférence de presse de Ladsous (l’un des deux principaux indexés par IBK, avec Hamdi Mongi) le lendemain 16 mai.
Marche &Dérapages
« Depuis son déploiement, la Minusma a toujours été aux côtés de tous les maliens, et n’a épargné aucun effort, au prix de trop nombreuses vies humaines, en vue d’aider à la stabilisation du pays. La Minusma a grandement contribué à l’avancée du processus de paix qui a mené à la signature de l’Accord aujourd’hui », précise le communiqué de la Minusma. La Mission onusienne regrette, dans ces conditions, que « son impartialité soit régulièrement mise en cause et que ni sa contribution, ni ses sacrifices ne soient reconnus à leur juste valeur ». Tels sont, entre autres, les termes du communiqué qui a mis en émoi le président IBK et le gouvernement qui ont pris en otage la télévision nationale et le peuple malien qui ont dû patienter trente minutes pour voir la tête du présentateur du JT de 20h.
Après cet épisode, intervient la marche de soutien à l’Accord d’Alger (donc au gouvernement) des organisations de la société civile, le mardi 26 mai. A l’occasion, il y a eu des dérapages. Des manifestants s’élevaient contre la Minusma et la France, allant jusqu’à brûler le drapeau Bleu-blanc-rouge. Comme pour coller au discours d’IBK du 15 mai, il y a eu des critiques sévères des marcheurs contre la mission de l’Onu au Mali.
La nuit, le gouvernement se fend d’un communiqué (lu au JT du soir) pour soutenir la marche, mais se désolidariser des attaques des marcheurs contre les intérêts des Nations unies et de pays amis du Mali.
Déjà dans l’après-midi, IBK, depuis Samanko où il devait lancer la campagne agricole, s’était senti obligé de se repentir de sa sortie du 15 mai et de corriger les faux pas des marcheurs du 26 mai. Vous connaissez le contenu de sa confession.
Ce n’est pas. Samedi, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale des Casques Bleus, le gouvernement met plus de sel « onusien » qu’il n’en faut dans son communiqué.
« Le Gouvernement adresse ses vives félicitations à l’ensemble des Casques Bleus de l’Onu à travers le monde et singulièrement ceux de la Minusma dont les interventions diverses et multiformes s’inscrivent au chapitre de la restauration de la paix et de la sécurité dans notre pays. Le gouvernement renouvelle sa reconnaissance à toutes les forces armées présentes dans notre pays et qui, malgré le lourd tribut payé en vies humaines, poursuivent résolument leur difficile et délicate mission de stabilisation du pays et pour la réconciliation nationale », dit en substance le texte. Qui va sans doute en appeler d’autres. Et ce, jusqu’au jour où le président IBK saura qu’il doit assumer tous ses actes. Pour l’honneur du Mali. Pour le bonheur des Maliens.
Sékou Tamboura