Ce fut l’une des expériences « les plus intenses » de sa carrière militaire, écrit-il dans le livre qu’il vient de publier. Le général français Bernard Barrera a commandé l’opération Serval visant à débarrasser le Mali des djihadistes qui gagnaient du territoire. Deux ans plus tard, peut-on dire mission accomplie ? La Presse lui a posé la question lors de son passage à Montréal, hier.
Près d’un an après la fin de l’opération Serval, le nord du Mali est toujours instable. Quel bilan faites-vous de l’intervention militaire de la France ?
Je mitigerais un petit peu ce constat, puisque l’objectif de l’opération Serval était de libérer le pays, ensuite de détruire les katibas – donc les compagnies sahéliennes djihadistes – et ensuite de permettre un retour à un processus démocratique. C’était le triple objectif donné par le pouvoir politique et ces trois objectifs ont été atteints en l’espace de sept mois, puisque le président [malien] a été élu le 11 août, donc 7 mois jour pour jour après le début de l’opération. Donc, on peut considérer que l’opération a été réussie. […] Maintenant, si vous me parlez de la situation deux ans après, nous sommes dans une situation de transition, une situation de stabilisation, qui induit une poursuite des combats, mais qui n’a rien à voir avec ce que nous avons connu. Des centaines de djihadistes ont été détruits. Il reste des petits groupes, qui ne tiennent pas le terrain, qui ne tiennent pas le pays, mais qui imposent de temps en temps des actions de terreur. Mais rien à voir avec [la situation avant] Serval, où la moitié du pays était occupée par des djihadistes.
Comment expliquez-vous que l'opération militaire sous l'égide de l'ONU en Libye voisine n'ait pas connu le même succès ?
L’opération Serval, c’est une opération aéroterrestre qui a débouché sur un processus de transition démocratique. [...] Le pays s’est remis debout même s’il y a encore des difficultés. En Libye, on a un problème politique avant tout, parce qu’il n’y a pas de gouvernance aussi bien définie qu’au Mali. Je ne porterai pas de jugement sur l’opération en Libye, sur le choix d’une opération à distance pour renverser Kadhafi. Au Mali, l’opération aéroterrestre, donc aviation et armée de terre combinées, a permis de libérer le pays et de chasser les terroristes. Est-ce qu’il faut en faire une généralité ? Ça, ce n’est pas à un militaire de le dire.
Vous évoquez dans votre livre la Bosnie, un conflit que vous avez vécu. Comment les opérations militaires ont-elles évolué en 20 ans ?
Je les trouve peut-être plus dures. Il y a 20 ans, lorsque nous étions dans le cadre des Nations unies, même si c’était dur, nous étions en interposition, parfois en observation. Maintenant, nous sommes directement engagés dans des opérations de guerre, que ce soit en Afghanistan comme vous [le Canada], ou que ce soit dans certains pays africains. Parce que nous sommes face à des unités terroristes et djihadistes. Des djihadistes durs. […] Donc, il ne faut pas considérer qu’on est face à des petites rébellions africaines ou à des combats d’anciens types. On est face à des gens qui sont bien organisés, qui ont de l’argent et surtout, qui sont fanatisés et qui sont prêts à sacrifier la population, voire à instrumentaliser des enfants, ce qui est le plus dur à accepter sur place.
Vous en parlez, des enfants soldats dans votre livre. Est-ce que c’était une nouvelle réalité pour vous ?
Je pense que c’est une nouvelle réalité de la guerre. C’est-à-dire que nous ne sommes plus face à un ennemi conventionnel qui respecte un code d’honneur comme nous. […] Je disais souvent à mes soldats : « Ils sont courageux parce qu’ils se battent bien en face de nous, mais nous n’avons pas les mêmes valeurs. » Quand on voit des enfants avec des obus d’artillerie dans le dos, des détonateurs ou des systèmes explosifs, ou des kamikazes qui sont des gamins qu’on envoie sur nos lignes, on n’a pas les mêmes valeurs. On a récupéré des gamins qui portaient les munitions ou que les djihadistes envoyaient dans les vallées entre les lignes pour remplir leurs gourdes et qui étaient sacrifiés.
Et qu’est-ce que vous en faites, de ces enfants-là ?
Tous ceux qu’on a pu attraper, certains blessés, au cours des combats, on les a [remis] à un programme de l’ONU pour pouvoir ensuite les réadapter à la vie normale et les rendre à leurs parents.
Vous terminez votre livre en évoquant les attentats de janvier, à Paris. La menace djihadiste n’est plus qu’à l’extérieur de vos frontières ?
Non, il y a un vrai continuum entre la défense et la sécurité intérieure. Jusqu’à présent, on arrivait à tenir l’ennemi au bout du jardin, avec nos opérations extérieures en Afrique, au Proche-Orient. Mais de temps en temps, certains entrent dans la cuisine et agressent votre famille. […] On ne peut pas regarder ce qui se passe dans le monde en disant « ça ne nous regarde pas », puisqu’on est maintenant tous tributaires de ce qui se passe dans les pays qui sont touchés par le terrorisme.
Jean-Thomas Léveillé
La Presse