Le lot du jour n’est pas fameux, il faut en convenir surtout comparé aux dividendes que le pays aurait déjà engrangés s’il avait mis l’accord de Ouaga en œuvre dans la foulée de sa signature ou s’il était épargné l’aventure de Kidal en mai 2014. Voici, il est vrai qu’un an plus tard, le gouvernement court toujours derrière un accord avec les séparatistes de l’Azawad, cherchant simple signature alors que la nation aurait dû être dans les premières moissons de l’après-Ouaga. L’insécurité s’étend. Pour preuve : les attaques perpétrées depuis le début de 2015 dans le District de Bamako ainsi que dans les Régions de Ségou et Mopti.
QUI EST QUI ?
Cette dernière région devient d’ailleurs anxiogène au fil des mois, avec les forfaits prêtés au Mouvement pour la Renaissance du Macina, mouvement jihadiste peu connu et forcément mal apprécié. Actes crapuleux, règlements de compte individuels ou communautaires : le crime porte les mêmes les turbans et les mêmes cagoules que les séparatistes et les salafistes. Entre Bamako et ses plus importants partenaires sur le Nord -France, Onu- la lune de miel de 2013 a vécu.
Et tout cela, au moment où le pays entame son quatrième hivernage avec des dizaines de milliers de nos compatriotes vivant dans les camps de réfugiés au Niger, au Burkina Faso, en Mauritanie et en Algérie. Et Kidal boucle la quatrième année blanche pour les scolaires et les scolarisables, c’est à dire la matière première potentielle du crime organisé dans une région où la kalach est devenue le plus grand employeur. A cette plaie classique s’est ajoutée la nouvelle angoisse des écoles fermées et des administrations fermées dans nombre de localités de Tombouctou, Gao, Mopti et Ségou.
EN DENTS DE SCIE MAIS VERS LE CAP
Le tableau peu reluisant est bien entendu la rançon de nos erreurs et de nos errements. Mais il est absolument juste de dire que l’aune de l’évaluation, c’est où se trouve le pays depuis Konna 2013. C'est-à-dire entre le 9 juin où les jihadistes avaient hissé leur pavillon sur notre défaite et le 11 juin où la force Serval a fait reculer le péril, donnant le point de départ d’une chasse au salafiste qui détruira, en quelques mois, le dangereux potentiel d’Aqmi. Il y eut bien sûr, l’exception Kidal, où l’armée malienne ne fut pas admise alors qu’elle a évolué avec les Français tout au long de la campagne de libération du Nord. C’est comme si les Américains, en libérant la France en 1945, avaient laissé les Allemands en Alsace et contraint De Gaule de négocier avec eux!
Le parallèle est un peu osé certes : les nazis avaient envahi un Etat qui n’était pas le leur, or le Mnla, si fauteur de paix fût-il, était une rébellion intérieure. Mais le parallèle exprime le ressenti profond des Maliens. Ce n’est pas rien, car le sentiment nourrit tous les procès contre Paris, Bruxelles et New-York. Mais nous y reviendrons. Le propos ici est d’affirmer qu’en dépit des crispations et des états d’âme, qu’en deux ans, c’est vers la stabilisation du Nord malien que nous tendons. Pas l’inverse. La rechute est possible. Elle est même probable sans la communauté internationale. Car notre outil de défense qui a montré ses limites dans un passé récent devrait être en reconstruction. En attendant, ce ne sont ni l’héroïsme de clavier ni la force des chants patriotiques qui aideront nos soldats sur le terrain, mais le recrutement par le mérite, les moyens, la formation et la fibre nationale. En attendant enfin, il faut espérer que l’accord de paix, objet des débats actuels d’Alger, sera signé par les mouvements de l’Azawad. Mais les architectes du séparatisme ne peuvent pas prospérer dans l’évocation des filiations douteuses.
ILS N’ONT PAS ENTENDU LES OUEDS CHANTER
Car en 2012, la violence du Mnla était récusable parce que le Mali démocratique avait signé le pacte national et que les voies du dialogue n’étaient pas bouchées. Ensuite, ce mouvement a quand même recouru au partenariat avec les jihadistes qui se révélèrent les vrais maîtres du terrain par la suite, eux qui avaient fait du Mali un entrepôt d’otages occidentaux. Des rebelles ont fait tonner le fusil. Ceux-ci ont-il jamais entendu l’Inchawag chanter en août ? Avaient-ils jamais vu cette fascinante embouchure d’oueds, dispatcher l’eau c’est à dire la vie (Aman iman comme disent les Kel Tamasheq) sur des terres que chaque petite rayon de soleil peut brûler mais heureusement que la plus petite bruine peut reverdir ? Nombre ne sont des enfants du terroir.
Grandis ou nés sur les routes de l’exil, en Libye pour la plupart, les nouveaux fusiliers de l’Azawad connaissent plus Sebha en Libye qu’Anefis au Mali
Certes, tout le monde peut déplorer à commencer par les citoyens ordinaires, que le Nord fût un sanctuaire du crime organisé que cette partie du pays était devenue. Certes les représailles, les exactions, les crimes du passé pouvant nourrir les ressentiments du futur, le travail de mémoire reste à faire et l’Etat admette ses responsabilités sur les fautes commises au Nord. Mais aujourd’hui personne ne porte plus préjudice au Nord que les groupes armés, quelque soit leur bord. Car c’est au Nord que le statu quo nuit le plus. Il est déjà très vulnérable en temps de paix. Il doit simplement être invivable en temps d’insécurité.
NECESSAIRE DECONSTRUCTION
Or, il y vit des êtres de chair et de sang, qui vivent honnêtement de la sueur de leur front et qu’il ne faut pas confondre avec les porteurs de kalach. Ces braves producteurs sont d’ailleurs l’écrasante majorité de la population de Gao, Tombouctou et Kidal, qu’elle soit sédentaire ou nomade. L’amalgame Touareg égale rebelle, Arabe égale narcotrafic subsiste dans des milieux surtout sudistes. Il est dangereux et doit être combattu. D’ailleurs, il reflète plus l’ignorance qu’autre chose. Il est nettement moins dangereux que l’angle de l’intelligence économique de plus en plus répandu et qu’incarne, entre autres le chercheur Tunisien Mehdi Taje. La thèse est attrayante : l’Azawad croule sous les ressources naturelles.
Et il est en turbulence parce qu’il serait riche de son uranium, de son pétrole et de son or. Interrogé lui-même par l’Ortm en 2007 sur la puissance pétrolière que promettait d’être le Mali, Ibk lui-même a eu cette petite phrase que les observateurs ont retenue : « je ne fais pas de politique-fiction ». Et données à l’appui, Tiebilé Dramé également candidat et interrogé sur le même point a démontré, données à l’appui, que rien ne permettait de dire que le Mali était à la veille d’être membre de l’Opep. Quelle donnée nouvelle conforte la légende de l’Azawad eldorado minier ou celle du pétrole synclinal malien gênant l’Algérie ? Si elle existe, pourquoi allons-nous à Alger ? Mythes, gros mensonges, semi-vérités, silences et manip peuplent la théorie du Nord. Une théorie dont la déconstruction est nécessaire pour construire un Mali durable.
Adam Thiam