IBK rue dans les brancards, les sanctions attendues
Pour la campagne agricole 2015-2016, c’est déjà mal parti avec cette histoire d’engrais et pesticides de mauvaise qualité qui provoquent une grogne du monde paysan. En effet, rien que pour les engrais, il a été démontré que 40% des quantités fournies sont hors normes Cedeao, et constituent une menace pour les rendements et la fertilité du sol. Le président de la République a promis de sévir. Une enquête a été ouverte pour situer les responsabilités. Reste à savoir maintenant si le couperet de la justice tombera finalement sur la mafia des engrais, trop habituée à l’impunité. Effectivement, il y a eu pire avec l’initiative-riz en 2009. D’ores et déjà, c’est à une foire d’accusation mutuelle qu’on assiste, chacun essayant de se soustraire du lot des pourris.
L’achat d’engrais a été confié au GIE UN-Scpc/Cmdt /ohvn présidé par Bakary Togola, en tant que président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (Apcam). C’est ce GIE qui avait lancé trois appels d’offres, respectivement n° 01/2014 relatif à la fourniture d’engrais complexe coton (99 000 tonnes), 02/2014 pour l’engrais complexe céréale (37 000 tonnes) et 03/2014 pour l’urée (73 000 tonnes). Ce qui fait au total un besoin de 209.000 tonnes d’engrais pour couvrir la campagne agricole 2015-2016.
Il y a eu 29 adjudicataires : 16 pour l’engrais complexe coton, 8 pour celui dit complexe céréale et 22 pour l’urée. Les adjudications relatives à ces trois marchés de fourniture d’engrais ont été signées par Bakary Togola, à la date du 04 octobre 2014 à Bamako.
Aussitôt après les adjudications, une querelle a éclaté entre Toguna et certaines sociétés importatrices dont principalement Somadeco, qui a eu des parts de marché assez importantes. Toguna a voulu mettre en avant un principe de protection des industries locales pour, affirme-t-on, sauvegarder les emplois qui y sont offerts. En réaction, les sociétés importatrices vont aller jusqu’à lui dénier son statut d’usine (fabrication) pour attirer l’attention des autorités qu’il ne s’agit que d’une simple unité de mélangeur, donc chargée de faire le dosage de produits finis importés.
Mais en fin 2014, Toguna va plus loin, en faisant analyser des échantillons d’engrais de Somadeco à l’insu de ce fournisseur, pour ensuite divulguer ces résultats jugés négatifs, afin d’en contester la qualité. Toguna a même parlé, dans une correspondance adressée aux autorités, de danger des engrais du concurrent pour les agriculteurs et leurs productions.
Réaction de Somadeco : les résultats de cette analyse ne peuvent qu’être faux, «parce que résultant d’un vol des produits pour lequel nous nous réservons tous les droits de poursuivre les responsables ». Décidément, les coups ont volé bas, très bas, au ras des pâquerettes !
Le contrôle de qualité des engrais, commandité par la Direction nationale de l’Agriculture, a été confié au laboratoire Sol-Eau-Plante du Centre régional de recherche agronomique de Sotuba. Le nombre d’échantillons prélevés pour analyse est de 73 pour le complexe coton, 49 pour le complexe céréale et 41 pour l’urée. Soit un total de 163 échantillons d’engrais pour toutes filiales confondues (Cmdt et Ohvn). Les échantillons, comme précisé dans le rapport technique du Centre régional de recherche agronomique de Sotuba, «ont été envoyés au laboratoire Sol-Eau-Plante, avec des numéros de codes sans aucune mention de noms des fournisseurs, ni des marques…Les analyses chimiques ont été conduites en conformité avec le Manuel d’Analyses des Engrais (Cedeao,2012) pour la détermination de l’azote (N), du phosphore (P2 05 ) et du potassium (K2O)…»
Ces analyses ont abouti aux conclusions suivantes : pour le complexe coton 32 des 73 échantillons sont hors normes, soit 44%. Pour le complexe céréale, 1 échantillon seulement a été détecté comme mauvais sur 49, soit 2% hors normes et attribué entièrement à Toguna Sarl. Pour les échantillons de l’urée, 24 ont été trouvés mauvais sur 41, soit 58%. Notons que la mauvaise qualité des engrais a été confirmée par un laboratoire du Brésil. La synthèse des analyses fait ressortir que 40% des engrais fournis sont de mauvaise qualité. Ce que confirmera le Ministre Tréta. Mais sur le tard.
Ainsi donc, 20 des 29 fournisseurs d’engrais de la campagne 2015-2016 ont été épinglés lors de ce contrôle de qualité. Une quantité de 3 404 tonnes a été mise en cause alors que toutes les quantités adjugées n’ont pas pu être livrées intégralement. Les trois sociétés qui battent le record d’engrais hor normes sont: Toguna avec 27,34% (Toguna Agro 13,39% et Toguna Sarl 13,95%), Somadeco 19,97% et DPA 8,63%. Les autres fournisseurs cités sont : Partenaire agricole 2,46% ; Souad Distribution 5,14% ; Sad 2,76% ; Smias 1,79% ; Sogefert 2,93% ; Sopam 3,55% ; Ciwara 3,43% ; Afrique Auto 2,82% ; Agrotropic 3,61% ; Sangoye 1,88% ; Gdcm 2,14% ; Sté Faso Djigui 3,61% ; Al Farouk 2,82% ; Sté Haïdara et Fils 0,85% ; Sicodit 2,20% et Arc en ciel 0,85%.
Ces rapports d’analyse sont évidemment contestés par des fournisseurs, principalement Toguna et Somadeco qui se trouvent, malgré eux, au centre de la controverse. Et par lettre n° TAI/2015/04/0018 du 14 avril 2015, adressée au ministre du Développement rural, BocaryTréta, Toguna a tenté de se défendre, en apportant des réserves quant à la démarche ainsi que les résultats exposés par les laboratoires.
Pour la démarche, c’est le prélèvement des échantillons qui a été mis en cause car il devait se faire de façon contradictoire sur chaque livraison et cet échantillon devait être divisé en trois parties : une pour le GIE acheteur, une pour le fournisseur qui les gardent sous scellé, et une pour le laboratoire agréé. Ce qui, apparemment, n’a pas été respecté et ouvre la voie à la contestation.
Par ailleurs, au niveau des résultats des analyses, Toguna fait remarquer que des écarts importants apparaissent, selon les laboratoires. Il s’agit de quelques contradictions relevées dans les conclusions des laboratoires commis par la Direction nationale de l’Agriculture et les autres dont celui travaillant pour Toguna. Mais plus cocasse, des sociétés de la place fournies par Toguna ont vu leurs produits déclarés conformes. Il faut comprendre que non seulement Toguna soumissionne doublement au nom de Toguna Agro et Toguna Sarl, mais en plus, près d’une quinzaine de fournisseurs dans le cadre de cette campagne se sont approvisionnés à Toguna. Reste à voir maintenant comment cela s’est passé au niveau des prix pour que ces fournisseurs puissent être dans le coup, en termes d’offres financières.
Rappelons qu’auparavant, le ministre de l’Agriculture de la Côte d’Ivoire attirait l’attention du Ministre Bocary Tréta sur la présence au Port d’Abidjan, d’une quantité importante d’engrais de mauvaise qualité destiné au Mali. Mais aucune action ne sera menée pour empêcher la distribution de ces intrants agricoles au Mali, alors qu’ils étaient importés par des fournisseurs de la campagne agricole 2015-2016. Ils sont connus.
Il faut noter au passage, que la Cmdt et l’Office du Niger se trouent privés de tout contrôle efficace sur le processus d’achat des engrais, parce que noyés dans le GIE Un-scpc où le tout puissant patron de l’Apcam dicte sa loi. Ce qui, naturellement, provoque un malaise au niveau de la Cmdt et de l’Office du Niger embarqués dans une opération qui les échappe.
De toute façon, les enquêtes ouvertes en début de semaine dernière sur instructions du président de la République qui a rué dans les brancards lors de la Journée nationale de l’Agriculture, il y a de cela une dizaine de jours, permettront de déterminer la responsabilité de chacun dans cette affaire qui n’est pas sans rappeler le scandale de l’initiative-riz de 2009, pour laquelle le rapport du Vegal a été tranchant, notamment en termes de constat: «Pour le financement de l’achat d’engrais destinés aux producteurs, un pool bancaire avec comme chef de file la Bnda, a accordé au groupement des sociétés Togouna Agro Industries et Partenaires Agricoles un prêt d’un montant de 12,63 milliards de FCFA garanti par l’Etat et adossé au compte “Subvention Intrants 2008/2009 Initiative Riz”. Ce montage financier a coûté 852,13 millions de FCFA au titre des intérêts payés par le Trésor public…Dans le cadre de l’approvisionnement en engrais des producteurs, l’Etat a conclu, par entente directe, trois contrats avec le Groupement des sociétés Togouna Agro Industries et Partenaire Agricole pour un montant total 12,63 milliards de FCFA… Les prix négociés avec le Groupement ont été supérieurs à ceux appliqués sur le marché au même moment et dans les mêmes zones, occasionnant un surcoût de 2,32 milliards de FCFA. Enfin ces marchés n’ont pas été enregistrés, ce qui a engendré un manque à gagner de 1,14 milliard de FCFA pour le Trésor Public».
Comme on le voit, il y a nécessité d’une moralisation de cette filière qui tend à devenir une véritable mafia où l’impunité s’installe, au détriment de l’économie nationale. Il ne faudrait pas que l’effort de soutien à l’Agriculture qui a poussé IBK à allouer 15% du budget national à ce secteur, soit annihilé par des actes d’opérateurs véreux.Reste maintenant à savoir si la procédure ouverte ira jusqu’à son terme pour appliquer les dispositions de la loi N°08-008 du 28 février 2008 relative au contrôle de qualité des engrais, notamment en son chapitre III consacré aux infractions et des sanctions.
Amadou Bamba NIANG