BINTAGOUNGOU - Seuls les plus pauvres, les vieux et les malades survivent, terrés chez eux, tremblant au moindre bruit, à Bintagoungou dans le nord du Mali.
Ce gros village du Sahel, à l'ouest de Tombouctou (nord-ouest), a été trois fois au cours des derniers mois attaqué par des bandes d'hommes armés venus du Nord qui ont tué, pillé et sont repartis dans le désert. Personne ne les a pourchassés.
Ceux qui pouvaient payer les 100.000 FCFA (152 euros) demandés pour s'accrocher à l'arrière d'un pick-up surchargé et rallier la ville de Goundam, à 40 km plus au sud, l'ont fait. Les autres attendent et tremblent.
La seule autorité encore au village est le vieux chef traditionnel Hamad Mamadou. Il est aveugle, marche à grand-peine et a besoin d'un interprète pour parler au capitaine malien et aux deux officiers français venus passer quelques heures à Bintagoungou.
Il s'assied sous un auvent, remercie et se lamente. "Presque tous ont fui, à cause de la peur", dit-il. "On ne dort jamais, ni le jour, ni la nuit. Au moindre véhicule qui approche, on se cache dans les maisons."
"Rester ici, c'est très dangereux. Surtout aujourd'hui, jour de marché. C'est souvent là qu'ils viennent. Aujourd'hui, ils n'oseront pas, parce que vous êtes là. Mais quand vous allez repartir, ce sera pire. Les bandits vont venir pour savoir ce que vous avez dit, ce que vous voulez faire...",
ajoute-t-il.
Quand on lui demande s'il sait qui sont ces "bandits", le patriarche Hamad Mamadou répond : "Pas du tout. Ils viennent du Sahara, la nuit en Toyota. Ils ont des armes, des turbans couvrent leurs visages. Ceux qui osent regarder ne voient que leurs yeux".
A la mi-journée, sous un soleil de feu, les rues de sable et de détritus ne voient âme qui vive. L'école est fermée. Les infirmiers du poste de santé ont déserté. Sur la place du marché, où autrefois il était le jeudi difficile de se croiser, la plupart des stands sont vides.
"Il n'y a aucune sécurité, ni le jour, ni la nuit", confie à l'AFP le boucher Assibit Yattara en découpant en petits carrés un morceau de chèvre. "Dès que j'ai réuni assez d'argent, j'emmène ma famille loin d'ici."
- 'Les voleurs pires que les terroristes' -
Réfugié à Goundam, le maire de Bintagoungou, Hama Abacrine, a une idée précise de qui sont les assaillants : "Ce ne sont pas des étrangers. Ce sont des Maliens. Des Arabes, des Tamachek (Touareg). Il y a même des Noirs parmi eux. On les connaît, certains étaient nos voisins. Ce sont des voleurs, des brigands. Le banditisme ne connaît pas d'ethnie".
Il a fui voilà trois semaines, persuadé que rester lui aurait coûté la vie. "C'est simple, le terrain a été abandonné aux voleurs. C'est pour ça que les deux tiers de mes administrés sont ici", dit-il. "Si vous vous défendez contre eux, ils reviennent à cent et brûlent tout. Ils volent l'argent, les
véhicules, les provisions, le matériel."
"Résultat : les gens disent qu'ils regrettent le temps où Bintagoungou était, comme toute la région, aux mains des islamistes. Parce qu'ils maintenaient l'ordre, empêchaient les vols. Pour la population, les voleurs sont pires que les terroristes", poursuit le responsable municipal.
Le nord du Mali a été pendant près de dix mois, entre 2012 et début 2013, sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda. Ils en ont été en grande partie chassés par une intervention militaire déclenchée en janvier 2013 à l'initiative de la France et toujours en cours. Cependant, des zones entières échappent encore au contrôle des autorités maliennes.
Aminatou Bourri, 34 ans, a elle aussi fui Bintagoungou pour se réfugier avec ses enfants à Goundam, dont elle est originaire.
"J'aurais fait la distance à pied s'il avait fallu", assure-t-elle. "Les rebelles, les terroristes, les voleurs, les Tamachek à +peau rouge+ (peau claire) - je ne sais pas exactement qui ils sont - ils prennent tout : la nourriture, les animaux, jusqu'aux vêtements des enfants. Moi, j'ai de la
chance, ma famille est ici. Ceux qui n'ont personne campent près du fleuve
Niger."
Selon son maire, Bintagoungou a été attaquée le 30 avril, "30 minutes après le départ du contingent de l'armée malienne qui était chez nous. Ce qu'il faut, c'est que l'armée revienne. Au bout de deux semaines, les voleurs auront compris, iront attaquer ailleurs". Le capitaine Cheikh Bayala, qui vient d'être nommé à Goundam, le regarde d'un air gêné, baisse les yeux, ne fait aucune promesse.
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