L’heure n’est pas au dépeçage du Mali sous prétexte de satisfaire aux revendications culturelles d’une ultra-minorité. Mais il est temps de s’attaquer aux graves défaillances de la gouvernance, d’où est résulté l’effondrement de l’Etat : il ne s’agit pas seulement de la gestion désastreuse des finances publiques, mais, bien plus profond encore, du fait qu’une apparente démocratie prive les institutions de toute légitimité dans l’opinion.
Les scores de l’élection présidentielle ne doivent pas faire illusion : la grande inquiétude de la population après l’occupation des deux tiers du territoire et le sinistre épisode du coup d’Etat, d’une part, l’ampleur des moyens mis à la disposition d’un candidat qui promettait beaucoup, d’autre part, expliquent le résultat. Mais on voit bien que le pays n’est pas pour autant gouverné. Ni l’exécutif ni le législatif ne fonctionnent. Un nouveau souffle s’impose, qui pourrait provenir d’une sorte de conférence nationale, où seraient représentées toutes les populations du Mali, et qui serait chargée de redéfinir le contrat social.
La MINUSMA et la gouvernance
L’heure n’est pas au dépeçage du Mali sous prétexte de satisfaire aux revendications culturelles d’une ultra-minorité. Mais il est temps de s’attaquer aux graves défaillances de la gouvernance, d’où est résulté l’effondrement de l’Etat : il ne s’agit pas seulement de la gestion désastreuse des finances publiques, mais, bien plus profond encore, du fait qu’une apparente démocratie prive les institutions de toute légitimité dans l’opinion. Les scores de l’élection présidentielle ne doivent pas faire illusion : la grande inquiétude de la population après l’occupation des deux tiers du territoire et le sinistre épisode du coup d’Etat, d’une part, l’ampleur des moyens mis à la disposition d’un candidat qui promettait beaucoup, d’autre part, expliquent le résultat. Mais on voit bien que le pays n’est pas pour autant gouverné. Ni l’exécutif ni le législatif ne fonctionnent. Un nouveau souffle s’impose, qui pourrait provenir d’une sorte de conférence nationale, où seraient représentées toutes les populations du Mali, et qui serait chargée de redéfinir le contrat social.
Le système démocratique calqué sur les exemples occidentaux a échoué parce que la réalité du pouvoir est restée confinée au niveau national, qui reçoit la totalité de l’aide extérieure, et la gère sans avoir à rendre compte à qui que ce soit : l’Assemblée Nationale ne représente que les caciques désignés par les partis, et les partenaires au développement se satisfont de « décaisser ». Réunir une conférence nationale permettrait que les forces vives, les seuls militants d’organisations indépendantes des subsides publics expriment leurs critiques et proposent des solutions. Une formule inspirée de l’espace d’interpellation démocratique pourrait être retenue : l’administration et le personnel politique seraient d’un côté, des représentants directs de la société civile de l’autre, en nombre égal.
Le lien avec les institutions décentralisées est immédiat. Il faut éviter que la régionalisation soit le mot qui masquera qu’on prépare la partition du Mali, et pour cela il faut créer de nouvelles institutions susceptibles de représenter valablement la population, de décider en son nom, et de promouvoir une gestion responsable des moyens consacrés au développement, tant régional que national. Ni l’Assemblée nationale, ni les assemblées régionales et conseils de cercle ou communaux, ni les groupes armés n’assument ces fonctions. Les collectivités territoriales ne pourront le faire que si l’Etat exerce une tutelle ferme et légitime, en justifiant et expliquant son rôle de péréquation et redistribution entre elles. Cette tutelle suppose que la collusion entre les partis et l’Etat soit rompue, et que les élus retrouvent une responsabilité locale au lieu d’être les délégués locaux de l’exécutif, ce qu’ils sont aujourd’hui. La décentralisation des années 1990 avait permis un relatif renouvellement du personnel politique, il faudrait provoquer aujourd’hui l’accession de beaucoup plus de jeunes aux responsabilités politiques locales et nationales.
La conférence nationale devrait évidemment se saisir aussi de l’autre aspect de la gouvernance : le contrôle par la justice de la gestion des deniers publics et des conflits entre l’Etat et les particuliers, et entre particuliers. Ces problèmes dépassent de loin ce qu’on peut attendre d’une reconnaissance du rôle des cadis, dont le domaine est essentiellement celui du droit de la famille ; en outre, la laïcité de l’Etat, tant qu’elle n’est pas remise en cause, interdit de confier la justice à une juridiction religieuse.
Certains auteurs couvrent de leur autorité la thèse selon laquelle la corruption constitue désormais une réalité des sociétés africaines, une réalité avec laquelle il faudrait vivre. Pourrait-on au moins redonner quelque lustre à la notion d’intérêt collectif, et quelque poids à sa prééminence sur tout intérêt particulier ? Pourrait-on imaginer que, dans le cadre d’un nouveau contrat social soutenu par les forces vives de la Nation, la conférence nationale donne un mandat politique explicite à la Nation de « tolérance zéro » en matière de corruption, trafic d’influence, concussion, escroquerie, détournement, abus de pouvoir, etc. ?
La déliquescence et la corruption des institutions maliennes sont telles que la MINUSMA doit aller très loin dans la recherche de solutions susceptibles de recréer les conditions d’un vivre ensemble soutenu par une large majorité de la population. Elle en a le mandat.
La MINUSMA et la sécurité
La MINUSMA a un mandat indiscuté en matière de sécurité et de rétablissement de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire national. Conformément à la doctrine des Nations-Unies, ce mandat doit être rempli en parfaite coopération, depuis la conception jusqu’à l’exécution, avec le gouvernement du Mali. Cependant, les FAMA sont à reconstruire, et c’est une tâche d’une dizaine d’années : les moyens militaires viennent donc de l’étranger. Barkhane se concentre sur les opérations spéciales de lutte anti-terroriste. Par conséquent, les troupes de la MINUSMA sont en première ligne pour les opérations de sécurité. Elles affrontent des groupes armés qui par ailleurs, pour la plupart participent à des négociations de paix, et qui ont désormais adopté une stratégie de guerilla.[19]
Il est admis que les ressources des mouvements armés proviennent de divers trafics, et donc, au Mali comme ailleurs, le retour à la sécurité dépend de la lutte contre les trafics. Les moyens d’observation dont dispose la MINUSMA sont suffisants pour que, d’après la presse, elle ait pu voir, le 24 décembre 2014, deux convois de drogue roulant à quelques kilomètres l’un de l’autre, dans la région de Gao, l’un escorté par des 4×4 battant pavillon de la Coordination des mouvements de l’Azawad, l’autre par des véhicules portant les couleurs du Gatia ; et qu'elle ait pu également remarquer deux petits avions qui se sont posés, entre les 13 et 15 mars derniers, dans le nord-est du pays, l’un vers Ménaka, à proximité de la frontière nigérienne, l’autre à une soixantaine de kilomètres de Tabankort, chacun d’eux transportant 500 kilos de cocaïne.[20]
Les termes du mandat de la MINUSMA ont été rappelés plus haut. Et donc, si la MINUSMA ne couvre pas un Etat qui s’accommode du trafic de drogue, elle devrait depuis longtemps s’être engagée, aux côtés de cet Etat, dans la lutte contre les trafiquants. Elle en a les moyens, elle affaiblirait par là les groupes armés de tous bords, elle serait parfaitement dans son rôle. Dans ce contexte, n’est-il pas pitoyable d’entendre son porte-parole, RadhiaAchouri, déclarer ingénument : « Nous n’avons pas de mandat spécifique pour lutter contre les trafics ».[21]Une nouvelle fois, le mandat est interprété de façon scandaleusement étriquée, et l’opinion est abreuvée d’arguties qui masquent mal la dérobade de la MINUSMA devant les responsabilités qui lui ont été confiées par le Conseil de sécurité.
La MINUSMA doit aussi se montrer aux côtés du Gouvernement et des FAMA dans la lutte contre les groupes armés qui ont ouvert la porte du pays à des agresseurs étrangers. Comme on ne peut pas imaginer que les FAMA s’attaquent aux milices unionistes, qui sont nées des souffrances que les groupes armés soutenus par l’étranger imposent à la population, la MINUSMA doit intervenir à côté et éventuellement à la place des FAMA contre les groupes armés sécessionnistes. Il convient de rappeler ici que la CEDEAO, lors de son sommet du 19 avril 2015 a clairement pris position sur le sujet : le sommet « déclare que seules les forces de défense et de sécurité du Mali disposent du droit et de la légitimité d’occuper toute localité du territoire dans le cadre de leurs missions régaliennes de protection des frontières, des personnes et de leurs biens ; que toute occupation par les forces irrégulières est illégale ; et exige qu’elle prenne fin. »[22] Dans ces conditions, il faut bien conclure que l’accord du 5 juin entre la CMA et le gouvernement du Mali à propos de Ménaka[23] est une reculade du gouvernement, dans le seul espoir de voir la CMA signer un accord d’Alger dont on sait qu’il n’est pas bon.
Rôle du gouvernement
Le gouvernement du Mali aurait pourtant mieux à faire ! IBK est aux affaires, après l’avoir longtemps désiré et après avoir réuni les soutiens puis les suffrages qui y étaient nécessaires. Il a certainement trouvé auprès de la France des appuis considérables. Il lui incombe aujourd’hui de faire face à la situation, telle qu’elle est analysée par tous les observateurs et aussi par le Conseil de Sécurité, et d’utiliser les moyens mis à la disposition du Mali dans le but de régler certains problèmes de fond.
Pourtant la stratégie actuelle du gouvernement semble être au contraire d’en faire le moins possible : la « communauté internationale » s’est occupée d’apporter un surcroît d’aide au Mali, puis de l’aider à organiser les élections, puis lui a fourni un appui militaire, puis a pris en charge une médiation… Suffisait-il à des dirigeants de se laisser porter par ce grand mouvement de solidarité ? Ne leur revenait-il pas de constater qu’aucune de ces interventions ne s’attaquait aux problèmes de fond relevés par le Conseil de sécurité ? Evidemment, aborder ces problèmes et les solutions envisageables pour y remédier, est risqué, parce que c’est mettre en cause le fonctionnement de l’Etat, tel que le connaissent et le pratiquent avec de grands succès d’enrichissement personnel tant de responsables politiques et syndicaux, tant de fonctionnaires et tant d’entreprises commerciales et industrielles. Mais maintenir envers et contre tout cette armature vermoulue alors que la société craque de toutes parts, et que des groupes armés extérieurs sont prêts à déferler au prochain signe de faiblesse, voilà une stratégie suicidaire.
C’est d’ailleurs tout autre chose que le Président IBK a laissé espérer lorsqu’il était en campagne électorale et dans son discours d’investiture. C’est donc à ces changements risqués mais nécessaires pour assurer l’avenir du Mali qu’il devrait se consacrer maintenant. Peut-on imaginer que le gouvernement et le Président de la République, qui, depuis bientôt deux ans, tout occupés par des conflits de personnes et d’intérêts, ont évité toute initiative politique d’envergure –à la dimension de la situation gravissime où se trouve le pays–, pourraient prendre l’initiative de s’attaquer aux problèmes bien identifiés qui obèrent de vive-ensemble du Mali ? Pourrait-on envisager qu’ils se consacrent à un grand dessein de refondation du Mali du XXI° siècle ? Ou bien le Mali est-il condamné à des attentes toujours déçues –paraphera ? paraphera pas ? signera ? signera pas ?– et à des reculades toujours plus dangereuses, jusqu’à ce que se confirme une scission du pays et une nouvelle implosion ?
En matière de sécurité, le problème de fond est d’engager la MINUSMA dans une stratégie qui ramènera les séparatistes à la raison. Evidemment, il faut pour cela rompre avec la stratégie française qui a conduit à réinstaller le MNLA à Kidal. La France elle-même devrait rapidement comprendre que si le MNLA a bien joué son rôle de supplétif pour Serval, il a été incapable de situer son action dans son contexte géostratégique, de sorte qu’il a été joué par les groupes armés islamistes en 2012[24] et qu’il n’est qu’un pion dans leur jeu. Il ne subsiste maintenant que grâce au soutien intéressé de l’Algérie et à celui, irréfléchi, de la France. Ni le Mali, ni ses voisins, ni ses partenaires au développement n’ont intérêt à laisser durer l’insécurité que le MNLA entretient.
La situation qui prévalait en 2013 justifiait peut-être que le MNLA soit choyé : il avait rendu service à Serval, alors que par ailleurs personne ne pouvait vraiment répondre du comportement de l’armée malienne. Les temps ont changé : désormais le MNLA entretient l’insécurité, et l’armée malienne est à nouveau aux ordres –là est d’ailleurs le seul, mais important, succès d’IBK. Aujourd’hui, la sécurité et l’autorité de l’Etat doivent être rétablies sur tout le territoire, et telle est la tâche prioritaire du gouvernement avec ses moyens propres et avec ceux de la MINUSMA.
Mais comme les groupes armés de l’étranger veillent, rangés sous diverses bannières islamiques, la paix à moyen et long terme exigera que le Mali règle la question de la place de la religion dans ses institutions. Il ne faut pas se cacher que ces groupes armés, du fait de leur affiliation religieuse affichée, bénéficient d’appuis au sud.[25] Ce problème devra être vidé un jour ou l’autre.
Rôle de la France
Que ce soit par intérêt, comme veulent le croire beaucoup de Maliens aujourd’hui, ou par solidarité fraternelle, comme ils le pensaient en masse en janvier 2013, la France est engagée au Mali comme elle ne l’a jamais été depuis cinquante ans. Serval a au moins donné un peu de temps au Mali pour se ressaisir après l’invasion des deux tiers de son territoire. Aujourd’hui Barkhane joue un rôle essentiel en empêchant les groupes armés étrangers de réimplanter au nord caches d’armes, réserves de carburants, refuges, etc. Cet engagement est coûteux et n’est pas forcément bien compris par la population française. Mais l’engagement doit être tenu et mené à son terme, qui sera le rétablissement de la paix des armes et des esprits.
Paix des armes ? En juin 2013, la France avait sans doute ses raisons de stopper l’armée malienne en route vers Kidal. Ces raisons n’ont pas été comprises au Mali ; mais elles ne sont plus d’actualité. Début 2015, l’idée de créer une « zone de sécurité » près de Tabankort a également été perçue comme un appui indu au MNLA et un geste hostile à l’égard des milices d’autodéfense, et c’est le général français Christian Thiebault qui avait signé l’accord au nom de la MINUSMA, dont il était chef d’état-major. Au-delà de ces incidents, il devrait être clair pour la France aujourd’hui que son soutien à des enclaves séparatistes menace la paix.
Paix des esprits ? Chacun peut comprendre que les opérations militaires ne peuvent faire qu’une partie du travail : un dialogue politique national et effectivement inclusif, et la définition d’un nouveau contrat social s’imposent au Mali. Tous les partenaires ont voulu mettre tous leurs espoirs dans le processus d’Alger, mais il a été un échec. Il faut aujourd’hui le terminer et l’oublier. Seul un travail politique approfondi, entre Maliens, sur les véritables problèmes sur lesquels ont achoppé la démocratie et le développement au Mali, permettra de ramener la paix dans les esprits et dans les cœurs : une sorte de conférence nationale. Dans ce domaine, tout reste à faire, la France doit le comprendre et y aider. Elle le peut, puisqu’on dit IBK soucieux de ses bons rapports avec François ; elle le peut puisqu’on la dit écoutée par le Conseil de sécurité lorsqu’il y est question d’Afrique francophone.
Elle le peut, donc elle le doit.
Par Joseph Brunet-Jailly