La signature du document intitulé «Relevé de conclusions des consultations préparatoires à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger », nous édifie sur toutes les intentions dans la recherche de la paix au Mali. De l’inaction coupable du gouvernement du Mali, à l’agression verbale souvent raciste contre les composantes de notre nation, en passant par des pressions inacceptables sur nos structures sociales y compris par l’achat des consciences, nombre d’intervenants concourent à la création de l’Etat de l’Azawad.
Depuis la première mouture des conclusions issues du processus l’Alger alors intitulée, «Eléments pour un accord pour la paix et la réconciliation au Mali», la médiation algérienne avait signifié que «les amendements ne porteront que sur des virgules». À l’arrivée, elle a tenu parole, non seulement elle n’a rien changé de fondamental de cette mouture, mais elle a en ajouté à l’humiliation des Maliens en érigeant l’entité Azawad face au reste du Mali.
En effet, le chapitre 2, article 5 de l’«Accord pour la paix et la réconciliation au Mali», illustre cette marche du Mali vers son éclatement physique. Le document signé le 5 juin 2015 par le gouvernement et intitulé «Relevé de conclusions des consultations préparatoires à la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger» apparaît, sans le dire, en tout point, comme un protocole additionnel à l’accord d’Alger 2015. Il amende et interprète les dispositions de l’accord du 15 mai 2015. La Médiation élargie, aux points 2, 3, 4 et 11 de l’accord dit de «Relevé de conclusions des consultations préparatoires à la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation…pour déterminer les facteurs et modalités qui favoriseraient sa signature de l’accord», trouve «pertinent, au regard de l’accord…un certain nombre de préoccupations d’ordre politique, économique et sécuritaire». «À ce titre, ces points seront pris en compte par le Comité de suivi dans la mise en œuvre de l’accord» (Pt. 2,3). Il s’agit «plus spécifiquement… de la question de l’Azawad, outre le traitement qui lui est réservé par l’article 5 de l’accord qui évoque la nécessité d’un traitement politique et l’organisation d’un débat approfondi sur les causes profondes de cette question, la Médiation souligne que la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali a valeur d’engagement des parties à faire en sorte que les discussions, dans le cadre de la mise en œuvre dudit accord, aient lieu dans des conditions créant une véritable opportunité de parvenir à un consensus.» (Pt. 4).
Le rappel de la garantie de la communauté internationale sonne comme une mise en garde à l’endroit du Mali : «Enfin, sur la question des garanties, la Médiation considère que les dispositions de l’accord y afférentes sont suffisamment détaillées et étoffées pour répondre aux attentes et préoccupations exprimées. Par ailleurs, la signature de l’accord par tous les membres de la Médiation ainsi que toutes les marques de soutien exprimées par la communauté internationale constituent, en soi, un engagement en faveur de l’accord et une garantie exceptionnelle pour sa mise en œuvre effective» (Pt. 11).
La rébellion touarègue de Kidal a finalement triomphé du Mali sous la gouvernance IBK. Dans ce qui paraît être un protocole additionnel à «l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger», les amendements contenus dans le document intitulé «Relevé de conclusions des consultations préparatoires à la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger» du 2 juin 2015, sonnent comme une première interprétation de l’accord d’Alger 2015 et une prise en charge des revendications exprimées par la rébellion touarègue, le 17 mars dernier à Kidal, d’où la communauté internationale s’était transportée auprès d’elle.
Le document signé se rapporte à une plus grande affirmation de l’existence de l’Azawad en entité politique, la constitution d’une armée ethnique et parallèle à l’armée nationale du Mali, «une plus grande représentativité des ex-combattants de la rébellion touarègue dans les commandements des forces armées et de sécurité», tout ceci étant fermement garanti par la communauté internationale à travers le Comité de suivi. C’est aujourd’hui les conditions remplies pour que la rébellion touarègue triomphante arrive à Bamako, pour la signature du document final.
En retirant la médiation à la Cédéao pour la remettre à l’Algérie, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, savait ce qu’il faisait : le pourrissement de la situation, l’engagement de l’armée dans une opération militaire sans préparation aucune et qui a profondément affaibli et démoralisé la nation, le choix de la médiocrité et de l’option partisane dans la composition de l’équipe de négociation qui ont conduit au résultat que voilà. C’est le choix délibéré de l’affaiblissement de la position du Mali, opéré par les dirigeants de notre pays qui nous vaut la partition en cours et rien d’autre, puisque toute direction nationale et patriotique avait l’obligation d’identifier les intentions et intérêts des autres acteurs de la crise et les intégrer dans une démarche de nature à défendre la nation dans son unité et son intégrité. C’est le contraire qui a été fait et le résultat est là.
On s’attend à ce que le gouvernement, comme à son habitude, fasse le service minimum dans la gesticulation et la propagande dans sa tentative de convaincre les Maliens sur la nécessité d’aller vers la paix en signant des deux mains le présent protocole additionnel. La question du statut politique de l’Azawad et la transformation en armée régionale, les troupes rebelles pour mieux asseoir la nouvelle souveraineté naissante, y figurent en bonne place. Les conditions de conclusion définitive du «modèle d’accord», tel que décrit par le président de la République IBK, lors de sa visite en Algérie, sont enfin réunies, mais également le début pour tous ceux qui en doutent encore de la partition du Mali.
La médiation a déjà fait de l’acceptation de cette entité un des fondements pour le règlement durable du conflit : «L’appellation Azawad recouvre une réalité socio-culturelle, mémorielle et symbolique partagée par différentes populations du Nord Mali, constituant des composantes de la communauté nationale. Une compréhension commune de cette appellation qui reflète également une réalité humaine devra constituer la base du consensus nécessaire, dans le respect du caractère unitaire de l’Etat malien et de son intégrité territoriale». Aussi, fort de cette conviction, l’accord consacre-t-il solennellement l’appellation Azawad comme une des bases du règlement concerté du conflit. On comprendra alors pourquoi l’idée qu’une «Conférence d’entente nationale» aura à prendre en charge, entre autres, la problématique de l’Azawad» est de la poudre aux yeux. L’entité est déjà constituée dans le texte de l’accord. De même son support économique l’est également ainsi que le confirme le texte du «Relevé de conclusions des consultations préparatoires à la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger».
En effet, l’article 33 de l’accord dispose : «Il est créé une Zone de développement des régions du Nord, dotée d’un Conseil consultatif interrégional constitué des représentants des Assemblées régionales concernées et chargé exclusivement de la coordination des efforts de la mutualisation des moyens en vue d’accélérer le développement socio-économique local et d’autres questions connexes». C’est là, une création du président IBK soi-même qui, au détour d’un de ses nombreux voyages en Chine, en aurait vu un exemple adaptable au Mali. Depuis, il ne rêve que de faire de l’Azawad promis, une zone de développement économique propre à faire pâlir le reste du Mali de jalousie.
La fameuse zone économique est une superstructure à même de donner une organisation économique aux «Etats-Régions» promues en Azawad. Pour le reste, la marche de l’Azawad vers le statut d’Etat peut compter sur le pouvoir en place dans l’accompagnement du mouvement, soit par inaction en jouant très fort sur le pourrissement et la stratégie de la tension entretenue, soit par calcul électoraliste et en s’appuyant sur l’expertise des anciens rebelles des années 90 dont le concept politique Azawad est leur invention.
Ainsi que nous l’avons maintes fois signalé, il ne fait aucun doute que l’accord du 15 mai 2015, de même que son protocole additionnel récemment signé, est le pire de tous les accords que nous avons eus à conclure depuis Tamanrasset jusqu’à l’Accord d’Alger 2006, en passant par le Pacte national. Plutôt que de renforcer l’Etat en ce moment historique de notre histoire, l’accord d’Alger 2015 l’affaiblit davantage et menace la nation de déconstruction. Et pour plusieurs raisons : il conduit à la désintégration programmée de notre nation par la reconnaissance d’une entité fictive dénommée l’Azawad comme une entité politique dont l’administration conduira à des affrontements ethniques de grande envergure ; il crée deux citoyennetés dans notre pays selon que l’on soit du Nord ou dans le reste du pays ; il fait de notre armée une juxtaposition de groupe ethnique ; il fait de notre pays de petites entités politiques autonomes ingouvernables...
Face aux critiques, le gouvernement continue son jeu de funambule. Pire, il continue à prendre ses propres incapacités, ses limites et faiblesses comme étant celles du Mali tout entier. Pire, il oriente insidieusement l’énergie créative des Maliens vers des épiphénomènes comme la situation sécuritaire à Ménaka avec la signature d’un «arrangement sécuritaire» qui révolte toute la nation. Mais, il faut croire que la situation de Ménaka sera utilisée et par le pouvoir et la rébellion touarègue pour faire avaler la pilule du protocole additionnel au Mali. Il n’a jamais vu un autre accord possible que celui qu’il a signé et amendé, alors que la rébellion touarègue, en accord avec les terroristes, joue sur la violence et par la terreur pour imposer son accord. Le gouvernement a employé paradoxalement la même méthode en exacerbant le sentiment de peur chez les Maliens pour imposer le même accord. Il ne voit aucune alternative à l’accord actuel et ne prépare le peuple à aucune autre forme d’initiative. Il manque totalement d’esprit national comme ligne de négociation du gouvernement, jamais il n’a entendu les Maliens, ne les a consultés et s’est coupé de leurs aspirations. Conséquence : c’est un pouvoir affaibli qui fait face à une sorte de cartel de narcotrafiquants qui est à la recherche de no man’s land. C’est peut-être le prix que le Mali doit payer pour que le président de la République se réconcilie avec le reste du monde, en particulier les promoteurs de sa candidature et «sa victoire» électorale.
L’Azawad, une escroquerie intellectuelle et politique
La comparaison de l’Azawad avec nos anciennes royautés, provinces ou cantons est une imposture et relève du mensonge et du reniement. L’escroquerie politique commence par dire aux Maliens que le mot Azawad, employé dans cet accord, est égal au nom Mandé, Bélédougou, Khasso, Macina, Kénédougou, Wassoulou…dans la région de Sikasso. Non seulement cela est faux, mais c’est une imposture intellectuelle. Politiquement ou administrativement, le Mali n’a jamais utilisé les noms des anciennes royautés pour désigner une région administrative, à plus forte raison une entité politique. Il a fallu attendre la communalisation du pays pour voir surgir certains anciens noms des cantons. Ces noms qui sont des entités historiques nous rappellent nos luttes communes, nos mémoires collectives, mais elles n’ont jamais su identifier notre commun vouloir vivre ensemble les cinquante dernières années, faute de consensus pour ce faire. Le «Wassoulou», que l’on cite en exemple à tout propos, ne concerne qu’un seul cercle et même pas tout le cercle. Il en est de même d’ailleurs de la plupart de ces anciennes entités historiques. Chacun sait que si d’aventure on donnait à la région de Sikasso la dénomination du Kénédougou ; à la région de Kayes, celle du Khasso ; à la région de Mopti, le nom du Macina ; à la région de Koulikoro, celui du Mandé ou du Bélédougou ou du Banico, le pays ferait face une révolte généralisée. Parce que toutes ces régions sont des assemblages de petites entités historiques qui avaient leurs personnalités historiques, géographiques et socio-culturelles propres et leurs réalités humaines.
Les pères fondateurs ayant compris cela ont jugé bon de prendre le nom de la capitale régionale pour celui de la région. En 54 ans d’existence, cela n’a posé problème à personne surtout pas aux régions de Gao et de Tombouctou qu’aucune tribu touarègue ne peut légitimement revendiquer aussi longtemps qu’on remonte dans l’histoire de nos royaumes et empires. Alors, pourquoi certains voudront, comme dans une camisole de force, imposer le nom d’un pâturage à trois de nos régions dont deux sont des entités historiques qui ont abrité un des empires le plus prestigieux d’Afrique de l’Ouest ? Il n’y a aucune légitimité à revendiquer le nom de l’Azawad pour les régions du Nord. Cette appellation est une création fictive, une appellation politique circonstancielle. Et le gouvernement du Mali trouve cela acceptable !
La réalité humaine que l’accord mentionne est plus une construction politique qu’une réalité humaine, socio-culturelle, géographique ou historique. Plus grave, dans l’esprit du texte de l’accord, le Mali est divisé en deux entités le Nord et le reste du pays. Dans l’esprit de ceux qui poussent dans l’ombre l’évolution de la situation, il était clair que «l’accord de paix d’Alger ne réglera rien» parce qu’il évite «soigneusement la question de l’autonomie des provinces du Nord».
Ainsi, pour les députés français François Loncle (PS) et Pierre Lellouche (UMP), qui ont séjourné dans notre pays en mars 2015 et qui ont été auditionnés à l’Assemblée nationale de leur pays le 31 mars 2015, «le Mali est coupé en deux depuis 60 ans : les musulmans du Nord peuvent-ils être intégrés dans une nation dominée par les bambaras du Sud ? …Le texte ne prévoit ni fédéralisme ni autonomie, simplement une libre-administration. L’Azawad est divisé en trois collectivités locales afin de bien isoler les Touaregs» (Pierre Lellouche cité par Philippe Duval dans La terrible solitude de la France dans la lutte contre le terrorisme en Afrique 23 avril 2015).
Si Alger VI vise à corriger l’accord d’Alger 2015, qui est de loin le pire des accords que nous n’ayons jamais signés sur le Nord de notre pays, alors les Maliens sont informés du combat qui leur reste à mener. Comble de l’absurdité, l’Azawad spécifique est réputé aussi homogène en tout, socio-culturelle, économique et même ethnique. C’est tout le sens des références au mot «ressortissant des régions du Nord» dont probablement la définition nous viendra aussi d’Alger, des Nations-Unies ou de Paris.
Souleymane Tièfolo KONE
Ancien Ambassadeur