Pourquoi le principe de la laïcité fait-il l’objet de moult déconstructions par certains de l’élite politique ayant occupé des hautes fonctions dans la sphère de l’Etat du Mali ? Quelles sont entre autres utilisations faites de la laïcité par le peuple et les élites politique, intellectuelle, socio-culturelle du Mali ?
seydou cisse
seydou cissé
Pour sa part, l’élite politique d’une manière générale se départirait difficilement de ses visées électorales voire électoralistes pour appréhender et expliquer, avec objectivité intellectuelle ou scientifique, le concept de la laïcité au peuple, un concept socio-politique et juridique majeur toujours porteur d’enjeux nationaux et internationaux.
En effet, l’analyse de M. Moussa MARA du concept laïcité ne peut faire exception à cette remarque qui se fonde sur l’illocution de communication politique. La connaissance du caractère illocutoire du discours politique permet de comprendre que toute entreprise de communication sur un quelconque sujet d’intérêt national et international offre l’opportunité au locuteur politique de tenter à orienterson auditoire ou public-cible vers ses visées électorales qui s’y cachent.
De ce constat, nous pouvons comprendre aisément l’intention principale mais jamais avouée qui se cache derrière l’article en question de l’homme politique, M. Moussa MARA, ancien Premier Ministre. Il a voulu, de bonne guerre peut-être, mais pas avec les meilleurs arguments, certes, à se présenter comme le seul soucieux de la laïcité « made in Mali » intégrant le fait religieux dans les dispositions organisationnelles de l’Etat démocratique qui restent à clarifier…A cet effet, M, Moussa MARA , au lieu de se préoccuper d’informer son public-cible à la faveur d’un discours performatif, il s’est plutôt focalisé sur la séduction de celui-ci à travers un discours essentiellement populiste qui étale , heureusement, au grand jour les effarantes contradictions entre son dire ( homme politique ou intellectuel) et son faire( homme d’Etat ou d’action). Par la publication de sa tribune intitulée ‘’Laïcité : Comprenons-là pour mieux l’utiliser ? ‘’, parue dans le journal L’Indépendant du Mercredi 03 Juin 2015, se proposant volontiers d’éclaircir le tableau de la laïcité pour une meilleure lisibilité citoyenne de celui-ci, il a malheureusement contribué à le noircir davantage pour les citoyens maliens ayant en partage toutes les croyances et religions confondues. Après avoir fait le contraire de toutes les pratiques qu’il a énumérées devant être appropriées par l’élite politique pour un bon ancrage de la laïcité dans l’opinion nationale, M. MARA a raté l’occasion de convaincre les citoyens par l’action , en liant sa théorie et son action. Pour illustrer, le propos précédent on peut citer quelques exemples tirés de ladite communication dans laquelle il a égrené entre autres pistes vers une laïcité comprise :
« Le Malien cherche un leader qui résout ses problèmes que ce leader soit barbu ou non ! Le Malien est à la quête d’un leader qui l’écoute, qui ne vole pas, qui ne ment pas, qui le sécurise, le soigne, l’aide à trouver un emploi que ce leader fréquente la mosquée ou pas est secondaire ! »
Les allégations relatives au prix et à l’état technique du second avion présidentiel faites par M. Moussa MARA, Premier Ministre d’alors, à l’Assemblée Nationale, tranchent carrément avec le leader véridique souhaité par le Malien. Aussi, la visite au forceps, de M. le Premier Ministre Moussa MARA à Kidal au mois de Mai 2014, a-t-elle contribué à sécuriser les membres de sa délégation, le personnel militaire et civil et les populations kidaloises restées fidèles à la République du Mali, quand nous savons tous la suite –série noire pour ceux-ci et toute la nation malienne ?
Au regard de ces quelques exemples, on peut se demander si M. Moussa MARA se souvient de tout ce que le peuple et d’autres observateurs de la scène politique malienne se souviendront toujours de son passage bref mais dévastateur des acquis stratégiques de l’Etat du Mali dans la question du Nord dont la résolution préoccupe encore le Mali et tous ses amis.
Mieux, il nous parait utile que l’élite politique malienne se rende à l’évidence qu’à la faveur de son choix de la responsabilité publique, le peuple et d’autres l’observent et interprètent tout ce qu’elle entreprend car elle ne fait rien à leur total insu. Pour ce faire, elle doit savoir que sa vocation politique comporte plus d’exigences et de privations que de délices. Au Mali il est moins question de l’engagement politique des religieux que de l’incapacité de privation des hommes et femmes d’Etat à poser des actes populistes , rébarbatifs et électoralistes aux conséquences périlleuses pour la démocratisation de la marche historique de notre pays. En la matière les pratiques faites du principe de la laïcité sont plus déviantes les unes que les autres et cela du deuxième régime à nos jours par nos hommes et femmes d’Etat. En effet, l’on se souvient encore que le deuxième régimea posé des actes qui tranchaient totalement avec la laïcité à savoir le fait de montrer à la télévision nationale et cela régulièrement le Président de la République le général Moussa TRAORE accomplissant sa prière du Vendredi, au motif simpliste que les musulmans représentaient l’écrasante majorité de la population du pays. Cet acte de foi relève strictement de la sphère privée du Président de la République donc il est purement privé mais qui a occupé le paysage médiatique public du pays, créant ainsi une confusion ou ambigüité autour du principe de la laïcité dans l’opinion nationale. En foulant aux pieds la normale, l’anormale a fini par être considérée comme bonne par ce milieu musulman courtisé par le régime en quête d’ancrage social-politique véritable. Aussi sous le même régime kaki, les bars et autres lieux de divertissement étaient-ils fermés pendant le mois de carême, une telle pratique n’était pas de nature à laisser transparaitre une image d’homme d’Etat, du général Moussa TRAORE, Président de la République et premier magistrat d’alors, respectueux du principe de la laïcité.
Décrié et combattu vigoureusement depuis ses premières heures par les milieux scolaire et universitaire de l’époque, le régime kaki s’est rabattu sur un certain milieu religieux musulman qui lui a manifesté un soutien sans faille se manifestant publiquement par l’organisation des prières spécialement dans certaines mosquées pour le régime et son président.
Voilà entre autres pratiques, traduisant la longue noce entre un certain milieu religieux musulman et le deuxième régime, qui sont en même temps des preuves de la violation allègre du principe de la laïcité par Moussa Traoré et ses compagnons. L’habitude se muant en seconde nature chez ce milieu religieux musulman, il a fini par revendiquer ouvertement la fermeture des lieux de divertissement et de constater l’absence de la première institution à la prière du Vendredi saint même après le régime à l’origine de celles-ci.
Depuis lors, la laïcité au Mali est devenue cette demoiselle qui, une fois violée par le deuxième régime, devrait l’être à l’infini par des hommes et femmes appartenant tous à l’élite politique et cela sous les différents régimes démocratiques censés faire la promotion de celle-ci car elle est fondatrice de la démocratie dont ils ne cessent de se réclamer. A cet effet, la compétition démocratique pour la conquête et l’exercice du pouvoir politique par les démocrates n’a épargné aucun moyen : la ruse, la démagogie, le syncrétisme, l’achat de consciences, mensonges d’Etat, déni de réalité, la gabegie, le népotisme, la corruption, l’intimidation des cadres, des journalistes, cabale journalistico-judiciaire, les compromissions avec des milieux financiers pas crédibles et que sait –on encore.. ! Les hommes politiques qui, en choisissant le réalisme immoral ou populiste, se sont inscrits dans la logique de la victoire électorale et le maintien au pouvoir par tous les moyens. En conséquence, le tableau ci-dessus dressé, sans être exhaustif, relate quelques-unes des pratiques mortifères pour la démocratisation et la laïcisation de la vie publique au Mali. Tout homme d’Etat dans la conduite des affaires publiques qui n’a pas pu éviter ces pratiques , hélas, constatées et constables encore au Mali est raisonnablement très mal placé pour se poser en promoteur de la laïcisation ou la démocratisation de notre pays. Au Mali ce qui a fait défaut ce sont des hommes d’Etat capables de: assumer toute la responsabilité des décisions à travers lesquelles ils engagent l’Etat ; respecter et de faire respecter par tous les citoyens les principes, les lois et les deniers de la République ; être loyaux et dévoués pour l’épanouissement du peuple qui attend d’eux le changement souhaité sinon il finira par les en imposer à l’image de la métaphore nietzschéenne,
Pour ce qui concerne les utilisations faites par le peuple malien du principe de la laïcité, on peut se réjouir du fait qu’elles sont celles d’une vieille nation concevant dialectiquement la vie en communauté et agissant sans cesse pour la recherche permanente de l’équilibre ou de l’harmonie sociale indispensable au vivre ensemble sur la base de la multitude de croyances et de religions en présence dans la société. Comme exemple illustratif de ce propos nous pouvons citer le fait que les populations du Mali célèbrent toutes les fêtes religieuses sans exception ; elles fréquentent les mêmes écoles, les mêmes centres de santé et font les mêmes activités économiques, elles ont globalement les mêmes intérêts.
Les partis politiques également d’hier comme ceux d’aujourd’hui sont exclusivement animés par des Maliens qui sont foncièrement des adeptes des différentes religions et croyances présentes en République du Mali, toute chose qui prouve à merveille que la dimension religieuse est partie intégrante de l’homme politique malien. Quand on intègre ce fait déjà vieux comme la politique sous nos tropiques dans nos analyses du principe de la laïcité, on évitera d’ériger une muraille de Chine entre le politique et le religieux, d’ailleurs, qui ne font qu’un au Mali. Pour être plus performatif dans notre argumentaire, nous pouvons citer l’exemple relatif à l’élection législative partielle de la commune V du district de Bamako, lors de laquelle trois candidats ont émergé du lot comme suit : Mme Jacqueline Marie Nana du RPM en tête avec un taux de 29,71% suivie de M. Boubou DIALLO de l’URD et M. Mahamadou KIMBIRI du RJP respectivement avec des taux de 22,46% et de 17,43%. Au regard de ce classement, nous sommes à mesure de dire que les partis et les électeurs de cette circonscription électorale, une fois de plus, ont fait preuve de bonne pratique du principe de la laïcité. La candidate du RPM est de confession religieuse chrétienne, son parti fut plébiscité par une frange importante du milieu religieux musulman cela voudrait dire que les électeurs de la commune V n’ont pas voté exclusivement en fonction de leurs fois religieuses, si tel était le cas les candidats DIALLO et KIMBIRI l’auraient emporté puisqu’ils seraient préférés par leurs coreligionnaires de l’islam naturellement majoritaires dans ladite commune à celle du RPM de croyance chrétienne. De cette remarque, nous pouvons nous interroger légitimement sur les motivations réelles des électeurs au Mali ?
Il serait téméraire de notre part de vouloir évoquer ici et maintenant toutes les motivations de ceux-ci ; mais nous pouvons empiriquement dire qu’elles sont multiples ou variées mais pas fondamentalement anti-laïques.
Par ailleurs, nous pouvons convenir qu’en cette ère de démocratisation du pays, les déviations intervenues et entravant substantiellement celle -ci interpellent, en des degrés différents, tous ceux qui ont occupé des postes de décisions importants dans les sphères de l’Etat de1992 à nos jours. Cette même réalité-interpellatrice de l’histoire de notre pays doit et peut s’étendre aussi aux responsables de la société civile de tout acabit car rien de décisif ou de déterminant n’y a été fait sans totalement eux.
Ces hommes et femmes d’Etat, malgré tout ce qu’on leur reproche comme forfaitures ou maladresses, ils ne méritent pas qu’on assassine en eux leur être ou dimension religieuse, on doit concevoir leur défaillance comme celle des hommes et femmes tout court c’est-à-dire aux dimensions multiples religieuse, intellectuelle, technocratique, culturelle. Aussi devons –nous intégrer dans notre analyse des dérives d’Etat que l’ensemble de ces hommes et femmes d’Etat ont eu constamment le quitus d’une certaine société civile en parfaite osmose avec les milieux politiques ou étatiques décisionnels. Il serait une grave erreur de notre part, à l’heure actuelle et à ce niveau du débat sur le principe de la laïcité, à conférer exclusivement le monopole de la morale et de la vérité aux croyances et religions ou en la seule dimension religieuse des hommes et femmes politiques. A la faveur des recherches philosophiques et scientifiques, nous savons désormais qu’il existe des vérités et des morales rationnelles.
Grosso modo nous retenons que le principe de la laïcité consubstantiel à la démocratie est déconstruit plus, au Mali, à cause des comportements déviants de certaines élites socio-politique et culturelle que d’une quelconque inadaptation objective avec nos réalités socio-culturelles.
Comme perspective pour la recherche et le maintien durable du fonctionnement harmonieux ou laïc des institutions de la République du Mali, nous pensons qu’il est utile pour la nation malienne que les titres et grades administratifs, militaires et sociaux aient tout leur sens en théorie comme en pratique. Cela peut nous inviter à faire ce que fut proposé par le sage Chinois CONFICIUS à savoir : la rectification des noms c’est-à-dire que le père soit véritablement le père, le Ministre soit véritablement le Ministre, le Président de la République soit véritablement le Président de la République… Pour que cela puisse être une réalité au Mali il faut que : les Secrétaires généraux des Syndicats, les élites politique, militaire, intellectuelle et culturelle , les Présidents des différentes institutions et organisations religieuses, le Maire , le Député , les Présidents des Institutions en leur tête le Président de la République accomplissent à hauteur de souhait , en leurs qualités et rangs dus à leurs fonctions respectives, les responsabilités républicaines qui sont les leurs sans dérobade ni laxisme.
Seydou CISSE,
Professeur Assistant de Philosophie
A l’ENSup
Faculté des Sciences Humaines
et Sciences de l’Education (FSHSE)
Cell. +223 79131986
E-mail : cseydou44@yahoo.fr