Le 11 juin 2015, c’est à l’invitation de Paris Global Forum (PGF) et Alternego, dans l’un des élégants salons de l’Hôtel d’Aubusson, dans le 5ème arrondissement de Paris, que Pierre Buyoya, ancien président du Burundi et actuel Haut représentant de l'Union africaine pour le Mali et le Sahel, a tenu une conférence pour «parler de l’accord pour la paix au Mali» qui, selon David Gakunzi, président du PGF, «vient d’être conclu».
Pierre Buyoya. Chatham House/Wikimedia.org
Pierre Buyoya.
Pierre Buyoya allait donc «parler du cheminement qui a amené à cet accord, en détailler les obstacles et problèmes rencontrés et surtout, en expliquer la mise en œuvre». Ce discours d’ouverture en a étonné plus d’un puisqu’on parlait déjà de mise en œuvre, alors que l’accord n’a pas encore été signé par les belligérants et que les 72 heures accordées dans le texte de l’ «Arrangement sécuritaire pour une cessation des hostilités», signé à Alger le 5 juin 2015, venaient d’expirer. Cette rencontre a été intégralement filmée par Le Reporter, mais les images ont été empêchées de diffusion par les organisateurs.
Pierre Buyoya est d’abord revenu sur certaines étapes de la crise malienne qu’il a qualifiée de «à la fois politique et sécuritaire». «La crise sécuritaire», a-t-il précisé, «a commencé en 2012, à Aguelhok, par l’attaque perpétrée par les éléments qui venaient de Libye, avant de s’étendre aux 3 régions de Tombouctou, Gao et Kidal. Assez rapidement, après le coup d’Etat du 22 mars qui avait renversé les institutions, l’intervention de la Cédéao et de l’Union africaine a, en mai 2012, rétabli l’ordre constitutionnel au Mali avec un gouvernement de transition qui a pu organiser l’élection présidentielle en août 2013, puis les législatives, ce qui a clôturé la crise institutionnelle».
Pierre Buyoya a rappelé le questionnement qui divisait l’opinion en 2012 pour résoudre la crise sécuritaire : Fallait-il «y aller avec la force ou avec la négociation ?». «La communauté internationale penchait fortement pour la négociation», indique-t-il. Sans entrer dans les détails, Pierre Buyoya a dit que «le Mnla et Ançardine avaient accepté de s’asseoir dès début décembre 2012 à Ouagadougou (Burkina Faso), sous la médiation de Blaise Compaoré qui agissait au nom de la Cédéao. La participation d’Ançardine était remise en question, puisque ce mouvement était considéré comme terroriste, tout comme l’étaient le Mujao et Aqmi». Il a précisé que si «l’Opération Serval, lancée le 11 janvier 2013 avait repoussé les 3 groupes terroristes en question, elle avait épargné le Mnla car il était dit que ce groupe avait des revendications politiques et légitimes».
Pour faciliter la compréhension, Pierre Buyoya a rappelé que «Ançardine avait ensuite muté en Hcua (Haut conseil pour l’unité de l’Azawad), groupe regardé comme non-terroriste, qui se trouve à Kidal avec le Mnla». En mai 2013, les négociations ont repris dans la capitale burkinabè pour aboutir à l’accord préliminaire, signé le 18 juin par le Mali et les groupes armés. Outre le cessez-le-feu, le texte prévoyait, 3 mois après l’établissement du nouveau gouvernement issu de la présidentielle, la tenue des pourparlers inclusifs pour résoudre le conflit au Nord du Mali, et établissait la liste des points qui y seraient débattus.
Pierre Buyoya a admis que «les violations de cessez-le-feu diverses, les affrontements tragiques lors de la visite du Premier ministre Moussa Mara à Kidal en mai 201 et le peu de volonté politique de toutes les parties signataires de cet accord préliminaire ont rendu le démarrage des pourparlers inclusifs très difficile». Il a expliqué que «choisir Alger plutôt que Ouaga avait été tout un débat. En janvier 2014, le président IBK est allé demander à son homologue algérien de prendre les choses en main et de convaincre les groupes armés, ce qu’il a accepté».
Buyoya a pris le temps de détailler qui avait participé au processus d’Alger. «Le gouvernement malien, bien sûr, et les mouvements armés répartis en deux groupes. D’une part, la Coordination des mouvements de l’Azawad (Cma avec Mnla, Hcua, Cpa et Maa dissident), radicalement opposée au gouvernement, et d’autre part, la Plateforme (Maa et Cmfpr, composé des Ganda Koy et Ganda Izo)». Il a précisé que «la Plate-forme est composée de groupes armés, proches du gouvernement et pour l’unité du Mali, mais qu’ils disent avoir des revendications comme nordistes. Le Gatia a rejoint la Plate-forme au cours des pourparlers». Il a ajouté que quoique «les composantes de la Plate-forme n’aient pas négocié l’accord préliminaire du 18 juin 2013 à Ouagadougou, elles ont déclaré qu’elles y adhéraient».
«À ces parties présentes à Alger, vient s’ajouter la médiation internationale, composée du Burkina, de la Mauritanie, du Niger, du Tchad, de l’Onu, l’UA, la Cédéao et l’OCI. Cinq rounds et 8 mois ont été nécessaires aux 4 groupes thématiques pour arriver au document définitif qui a été paraphé, le 1er mars 2015, par le gouvernement, la Plate-forme et les médiateurs». Pierre Buyoya a ajouté que «le 14 mai, la Cma a paraphé, à condition de pouvoir rediscuter de certaines choses, avant de signer. Le gouvernement malien a dû accepter sur les conseils et la pression de la communauté internationale, afin de rassurer la Cma sur le suivi de la mise en œuvre de l’accord».
Buyoya a conclu la première partie de la rencontre en expliquant que «la Cma voulait imposer sa réalité Azawad, ce que la médiation ne pouvait accepter. Cela aurait provoqué une guerre civile au Nord puisque la Coordination est minoritaire par rapport à l’ensemble des populations et aussi par rapport à leurs propres groupes culturels. Accepter les revendications de la Cma aurait également créé un précédent sous-régional, étant donné que les mêmes situations existent au Niger, en Algérie et en Mauritanie. L’accord prévoit donc, au Nord comme au Sud du Mali, une régionalisation avancée et une décentralisation des moyens».
Répondant aux questions posées, Pierre Buyoya a reconnu que la mise en application ne serait pas facile. «L’Onu, l’UA et la Cédéao sont les garants politiques et moraux de l’accord, ce qui veut dire que la médiation, sous la forme du Comité de suivi, veillera à sa mise en œuvre. Si une des parties viole l’accord, et que c’est attesté, des sanctions seront proposées par l’UA au Conseil des Nations-Unies. La sécurité revient au Mali qui peut évidemment demander, si nécessaire, un appui aux forces internationales déjà présentes qui ont chacune leur mission, mais pas à l’UA qui est une organisation politique qui n’a pas de moyens militaires».
Pierre Buyoya estime que la régionalisation avancée respecte les lignes rouges tracées par IBK. Il demande donc aux Maliennes et aux Maliens de «ne pas se focaliser sur les mots, mais de se focaliser sur le contenu» de l’accord. Il estime qu’étant donné la superficie du Mali, «un pouvoir centralisé à outrance n’est pas ce qu’il faut. L’Etat doit garder certaines prérogatives, mais c’est aux régions de se gérer. Si la mise en œuvre de ce point nécessite une modification institutionnelle, une révision constitutionnelle est prévue dans l’accord». Il a expliqué que «le Comité de suivi sera composé de plusieurs Commissions qui devront continuer à négocier certains points dont les détails n’ont pas encore été abordés. Par exemple, la Commission chargée de l’intégration des mouvements rebelles devra négocier : comment ? qui ? sur quels critères ? et combien ? Il avoue qu’il «aurait fallu plusieurs années pour trancher tout cela à Alger».
Pierre Buyoya a annoncé «qu’il est prévu deux ans pour normaliser la situation sécuritaire au Mali, mais il a ajouté : «Est-ce qu’on réussira ? Cela est une autre chose». Le développement prendra beaucoup plus de temps. Il a rappelé qu’il «existe au Mali, comme presque partout en Afrique, beaucoup de frustrations au sein des populations et que seule la bonne gouvernance pourra les atténuer».
Il a reconnu que «dans les négociations, beaucoup de questions, comme celle des trafics, n’ont pas été abordées parce que personne ne les a posées». «Pourtant», a-t-il dit, «on sait que le contrôle de ces trafics est au cœur du conflit armé en général et du conflit inter-communautaire en particulier, sans oublier le rôle qu’il joue dans le terrorisme».
Concernant Ménaka, Le Reporter a demandé «pourquoi en bas de l’Arrangement sécuritaire du 5 juin, les signatures de la France et de l’Union européenne sont-elles précédées des mots ‘ayant assisté’ ?». Pierre Buyoya a précisé que «la France ne faisait pas partie de la médiation, mais de la médiation élargie, au même titre que les USA». Il «pense que le gouvernement français a ainsi voulu montrer que ce que les Maliens la soupçonnent de faire auprès de certains groupes n’était pas vrai». Il a ajouté : «Vous pouvez juger ce que tout cela signifie».
Après avoir expliqué dans son exposé de la situation que grâce à l’Arrangement sécuritaire signé le 5 juin, «la question de Ménaka était résolue», Pierre Buyoya est entré dans les détails après les questions posées par Le Reporter et par André Bourgeot. Il a dit que «de façon unanime, la médiation a estimé que l’entrée du Gatia dans Ménaka est une violation de l’accord de cessation des hostilités précédent. Ce groupe doit donc évacuer la ville. La médiation ne regarde pas le soutien exprimé par les populations car elles peuvent être mobilisées par ceux qui ont violé le cessez-le-feu. Elle s’en tient à faire respecter les accords». Selon lui, «la Plate-forme a dit qu’elle attendait que la Cma signe l’accord le 20 juin pour se retirer». Il estime que «c’est une autre forme de pression». Il a ajouté que «la Plate-forme va s’en aller, car elle n’a pas le choix, puisque cet arrangement est sous supervision du Conseil de sécurité». Plutôt que d’expliquer pourquoi la médiation exigeait certaines choses de la Plate-forme à Ménaka et rien du Mnla à Kidal, Pierre Buyoya a préféré balayer ce point d’un revers de manche en disant «que cette question est une autre affaire. Elle relève de l’accord de Ouagadougou qui ne demandait pas à la Coordination de quitter».
À la question d’André Bourgeot, «comment des groupes ultra-minoritaires qui n’ont aucune assise sociale ou politique ont-ils pu orienter les négociations pendant plus de 8 mois ?», Buyoya a répondu que «le Mali a dû s’asseoir avec ce groupe ultra-minoritaire parce que c’est lui qui a occupé par la force le Nord du Mali. Si on ne peut pas chasser son occupant, on est obligé de s’asseoir avec lui». Il a à nouveau rappelé que «le Mnla avait commencé à négocier à Ouaga en décembre 2012», mais n’a pas voulu «entrer dans certains détails». Il a reconnu que les forces onusiennes «où qu’elles soient positionnées, rencontrent des problèmes, car chacun voudrait qu’elles soient de son côté, alors que ces forces sont au milieu».
Pour clôturer la rencontre, et en s’appuyant sur la contribution de Mariam Thiam qui avait dit la richesse du tissu socio-culturel malien et lu le texte de l’hymne national du Mali, Pierre Buyoya a appelé celles et ceux de la diaspora à contribuer de toutes leurs forces à l’application de l’Accord.
Françoise WASSERVOGEL