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MACINA: Le récit de la tentative d’assassinat du juge
Publié le mercredi 17 juin 2015  |  Delta News




L’on se rappelle que le dimanche 31 mai 2015, une foule surexcitée a tenté de tuer le juge de paix de Macina, Mahmoud Dicko. La foule a pris d'assaut le domicile du juge et mis le feu au hangar construit dans la cour. Aujourd'hui, nos investigations nous permettent de donner d’amples détails sur cette affaire rocambolesque.
Les ennemis du juge
Arrivé à Macina le 4 octobre 2012, Dicko est vite confronté aux litiges qui opposent traditionnellement les agriculteurs aux éleveurs. Les premiers se plaignent régulièrement de ce que leurs champs sont envahis par les troupeaux des seconds. Ces conflits sont si récurrents et si dangereux pour l'ordre public que l'Etat a institué une loi dénommée ‘’charte pastorale’’. Aux termes de cette loi, dès qu'approche l'hivernage, une réunion de concertation doit se tenir entre les éleveurs, les agriculteurs, les autorités communales et préfectorales en vue de fixer les dates de sortie des animaux du casier rizicole, c'est-à-dire des champs de riz loués aux agriculteurs par l'Office du Niger. En 2012, Dicko trouve en vigueur un Arrêté du maire de Macina qui fixe la date de sortie des animaux au 20 juin de chaque année. Cette date est respectée par tous en 2012 comme en 2013. Le 5 juin 2014, Bekaye Samaké, 1er adjoint au maire, fait ramener, par Arrêté, la date du 20 au 5 juin. Le maire, Karim Tangara, s'oppose à la décision dans un premier temps, exigeant un temps d'information et de sensibilisation des populations; mais il finit, sous la pression de certains paysans, par prendre un Arrêté confirmant la date du 5 juin. L'Arrêté du maire n'ayant fait l'objet d'aucun recours juridictionnel en annulation, il sort ses pleins et entiers effets. C'est pourquoi les contrevenants sont déférés chez le juge Dicko par le maire pour « opposition à l'autorité légitime ».
Le juge les place sous mandat de dépôt et les condamne en toute logique. Le hic, c'est que d'autres contrevenants, sur plainte du maire et de plusieurs éleveurs, sont appréhendés par le juge qui, pour faire bonne mesure, place leur bétail en fourrière. C'est alors qu'une forte délégation de notables débarque chez le juge: les visiteurs lui demandent un "traitement particulier" pour les derniers prévenus au motif qu'ils sont autochtones de Macina. Le refus du juge d'accepter cette discrimination lui vaut le courroux desdits notables, donc d'une bonne frange de la population.
Les malheurs du juge s'aggravent quand il se plaint au maire de la présence, dans le casier rizicole, de certains animaux dont les propriétaires ne font curieusement l'objet d'aucune plainte de la mairie. Les éleveurs concernés en garderont une dent contre le magistrat.
Autre ennemi juré du magistrat: Oumar Kinta. Cet ex-greffier au tribunal de Macina ne digère pas que Dicko ait refusé de libérer un voleur récidiviste du nom de Hamadi Bah.
L'étincelle
Jeudi 28 mai 2015, Mamadou Traoré, secrétaire général de la jeunesse de Macina et qui exploite 5 ha dans le casier rizicole, tient une réunion avec un grand nombre de cultivateurs. Ils décident de ne plus observer la date du 5 juin fixée par l'Arrêté municipal et exigent la sortie des animaux du casier rizicole dans les 72 heures. Le juge qui participe à l'inauguration d'une mosquée dans le village de Titama (80 km de Macina) apprend, vendredi, que la tension monte à Macina entre éleveurs et agriculteurs. Dimanche 31 mai, à 9 heures, le juge, de retour à Macina, est informé qu'un groupe de jeunes menés par Mamadou Traoré projette une descente musclée à sa résidence. Les jeunes lui reprocheraient d'être Peulh et par conséquent proche des éleveurs de Macina. A midi, le magistrat est informé que Mamadou Traoré et ses compagnons ont sorti de force les animaux (un millier) du casier rizicole pour les parquer au stade municipal.
Détail important : Mamadou Traoré et autres sont, à l'instar des éleveurs armés de fusils et d'armes blanches. Le conflit menace de dégénérer en affrontement généralisé. L'adjoint du maire, Adama Dienta, vient solliciter le concours du juge afin de prévenir le pire. Le magistrat, dans les 20 minutes suivantes, convoque une réunion à sa résidence, en présence de Dienta, les représentants du groupe de Mamadou Traoré et les éleveurs ainsi que les notables comme le président de la Chambre régionale d'Agriculture de Ségou, Kola Diallo.
Les différents orateurs font remarquer que Mamadou Traoré a tort de violer la date fixée par l'Arrêté municipal, d'autant que les animaux n'ont causé aucun dégât. Mamadou Traoré et ses proches acceptent leur tort et présentent des excuses. Pendant ce temps, une foule de 300 personnes attend, au stade municipal, le retour de Mamadou Traoré et autres. Membre de la délégation de Traoré, le nommé Adama Mallé annonce à la foule que le juge a déclaré que les animaux étaient préférables aux agriculteurs. La foule hurle de colère; elle repousse Dienta, l'adjoint du maire, qui tente vainement de démentir les propos de Mallé. Il était midi. A 14 h, le chef de village et ses conseillers se présentent chez le juge auquel ils demandent de prendre des mesures pour faire sortir tous les animaux du casier rizicole, promettant de les restituer à leurs propriétaires. Le juge n'a pas le temps de réagir car à 15 heures déjà, un jeune homme vient lui annoncer qu'une foule hostile converge vers sa résidence. 5 minutes plus tard, la foule arrive, armée de gourdins, de pierres et de machettes. Le juge sort courageusement à la rencontre des manifestants qui, quelque peu subjugués, s'arrêtent net. Le face à face dure 4 à 5 mn. Le juge remarque dans le lot des manifestants l'ex-greffier Oumar Kinta. Déboulant en catastrophe, Baba Ousmane Maiga, le garde de corps du juge, tire celui-ci par le bras en direction du hangar situé dans la cour de sa résidence.
C’est le moment que choisit Issa Samaké, enseignant et frère cadet de l'adjoint au maire, pour mettre le feu au hangar à l'aide d'une allumette. Les pierres commencent à pleuvoir de tous côtés. Le garde conduit le juge à 30 mètres de la résidence, chez le commandant de la brigade de gendarmerie. La foule se disperse à l'arrivée d'un contingent de gendarmes. Sans demander son reste, le juge fonce sur Bamako à bord de sa propre voiture, de marque Mercedes, qui a miraculeusement échappé au feu.
Interrogations
Les agresseurs du juge sont dirigés par un groupe de 8 agitateurs qui se proposent de s'en prendre bientôt à la brigade de gendarmerie, au service des Eaux et Forêts et à l'antenne locale du ministère de l'Elevage. Malgré l'attentat commis le 31 mai, aucun d'eux n'a fait l'objet d'interpellation. Après le départ du juge Dicko, Macina se retrouve sans autorité judiciaire. Pas d’autorité tout court car, les gendarmes, tétanisés, restent passifs. Rappelons qu’avant Dicko, deux autres magistrats ont été pris à parti par la foule : Sidibé et Mamadou Sylla. Quant au juge Dicko, c’est la quatrième fois que la foule envahissait sa maison ou ses bureaux, lui reprochant, non pas un jugement rendu, mais ses tentatives de s’interposer entre communautés rivales.

Bandiougou Bouaré
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