La Coordination des mouvements de l’Azawad a signé samedi l’accord pour la réconciliation et la paix au Mali. Vous dites que cet accord, ne ramènera pas la paix et la stabilité. Pourquoi?
Je suis de ceux qui considèrent l’Accord comme une étape de la longue quête de paix et de stabilité au Mali. Je salue la médiation internationale, l’Algérie et en particulier Ramtane Lamamra pour les immenses efforts consentis pendant les douze derniers mois pour aider les Maliens à se retrouver. Tout au long de la crise sécuritaire et institutionnelle que nous avons connue, le Mali a bénéficié d’une exceptionnelle mobilisation internationale que nous n’oublierons jamais. Cependant cet accord n’est pas parfait.
Tout le monde l’a dit. Il ne ramènera pas une paix durable au Mali sans initiatives nouvelles. Maintenant que les groupes de Kidal l’ont signé, il faut passer à l’étape des concertations nationales inter-maliennes pour « malianiser » le processus, Sans cela, la mise œuvre sera très difficile.
Vous avez conduit les discussions pour les accords de Ouagadougou signés en 2013. Les accords d’Alger sont-ils une avancée suffisante selon vous?
Outre un cessez-le-feu qui a été respecté pendant de longs mois, l’Accord de Ouagadougou du 18 juin 2013 avait, d’un commun accord, fixé les balises : l’intégrité du territoire, l’unité nationale et la forme laïque et républicaine de l’État. Il avait aussi prôné le retour de l’État et des forces armées nationales au Nord ainsi que le cantonnement des combattants rebelles.
Malheureusement pour le Mali, le processus d’Alger a commencé après une année de pourrissement marquée par des atermoiements de toutes natures du leadership malien et un rapport de forces totalement défavorable suite aux aventures irresponsables du mois mai 2014 à Kidal lors de la visite du Premier ministre et la guerre improvisées.
L’Accord d’Alger porte les stigmates des tergiversations maliennes, de la douloureuse défaite militaire de mai 2014 et de l’humiliation de la Nation qui s’en est suivie. Il préconise une réorganisation du territoire qu’on ne peut pas considérer comme une avancée dans la mesure où elle contient les germes de la guerre civile intercommunautaire et de la partition du pays.
Comment?
L’Accord d’Alger crée, à la suite de discussions avec les seuls groupes armés, un autre Mali, celui de la région-État disposant de pouvoirs considérables dirigée par un président élu au suffrage universel direct et dont les décisions sont immédiatement exécutoires. Et pour bien faire, ce président de région-État est un hyper-président car il est à la fois, président de l’Assemblée Régionale, président de l’Exécutif Régional et chef de l’Administration.
La démocratie, c’est la séparation des pouvoirs et la décentralisation, c’est l’organisation des contre-pouvoirs locaux. Là, nous avons la concentration et la confusion des pouvoirs. Appliquées au Nord du Mali dans les circonstances présentes, ces recettes entraîneront fatalement des conflits, donc l’instabilité.
Vous étiez dans le gouvernement en 1991, lorsqu’il a fallu mettre en oeuvre les accords de Tamanrasset. Comment expliquez-vous l’échec de cette mise en oeuvre et de la mise en oeuvre de l’accord de 2006?
L’Accord de Tamanrasset a été signé le 6 janvier 1991 par le régime finissant du président Moussa Traoré. Le Mali était alors traversé par de puissantes revendications démocratiques qui ont emporté la dictature en mars 1991.
La chute d’une dictature vieille de 23 ans a provoqué une grande instabilité. La volonté politique ne faisait pas défaut. C’est ainsi que nous avons négocié un nouvel accord: le Pacte National d’avril 1992 dont la mise en œuvre a ouvert une période de vingt années d’intégration nationale et dont nul ne peut contester les effets bénéfiques. La rébellion de janvier 2012 a mis fin à vingt années d’une politique d’intégration nationale au Mali. Il y a eu, certes, des erreurs, mais la volonté politique n’a pas fait défaut. Encore moins l’attachement à une solution par le dialogue.
En quoi la situation est-elle différente aujourd’hui?
La mise en œuvre de l’Accord de Tamanrasset de janvier 1991, du Pacte National d’avril 1992 et de l’Accord d’Alger de juin 2006 a, entre autres, entraîné un allègement du dispositif militaire au Nord, l’effacement progressif de l’État. Profitant de cette situation, les preneurs d’otages du GSPC et d’AQMI, les trafiquants de drogue ont élu domicile au nord de notre pays. En outre, le Mali a été la victime collatérale de l’effondrement du régime libyen. Nous n’avons pas su gérer ces défis. Voilà comment nous nous sommes retrouvés au fond de l’abîme.
Comment le pays doit-il poursuivre la quête de la paix aujourd’hui?
Il faut considérer l’Accord d’Alger comme une étape de la quête de paix au Mali et passer à une autre étape. Au regard des imperfections de l’Accord du 15 mai, des réserves émises par toutes les parties au processus d’Alger, il serait judicieux de passer à la phase des concertations inter-maliennes pour une appropriation nationale du processus, pour améliorer le texte, préciser ses dispositions qui fragilisent l’unité nationale et la stabilité du pays.
Vous dites vouloir discuter avec les groupes jihadistes pour parvenir à la paix. Pourquoi et comment?
J’ai effectivement dit qu’il faut envisager de parler avec tous les acteurs de l’instabilité au Mali, y compris les jihadistes maliens. Il faut anticiper, prévenir pendant qu’il est encore temps. Nous avons besoin d’un répit pour reconstruire notre outil de défense et de sécurité, pour reconstruire notre État.
Vous dites que l’Etat est aujourd’hui fragilisé. Qui en est responsable selon vous?
Les crises de 2012, la rébellion et le coup d’État militaire ont provoqué l’effondrement de l’État malien. L’occupation des 2/3 du pays pendant de longs mois a aggravé la situation. A partir d’août 2013, le Mali a élu un président de la République pour conduire la sortie de crise et reconstruire l’État.
Malheureusement, une fois installé, le Président s’est cru Président d’un pays normal: les dérives de gouvernance, les atteintes répétées à la morale publique et la mauvaise gestion du dossier du Nord ont énormément fragilisé le pays. Il ne faut pas chercher ailleurs: la responsabilité du Président est entière.
Comment peut-on aujourd’hui améliorer la sécurité dans le pays, Au nord comme au sud?
La multiplication des incidents armés pendant les six premiers mois de l’année fait frémir. Aucune région n’a été épargnée: certes, le Nord et le Nord-Est, mais aussi le delta du fleuve Niger, la capitale et même le sud lors de l’attaque du 10 juin contre les postes militaire, de gendarmerie et de police de Misseni dans la région de Sikasso. Il est urgent de mettre au point une stratégie nationale autonome de stabilisation et de sécurisation du territoire.
Propos recueillis à Bamako
Par Leïla Beratto
Bio express
Tiébilé Dramé, 60 ans, est le président du parti d’opposition PARENA (parti pour la renaissance nationale) qu’il a fondé en 1996. Il étudie à l’École normale supérieure de Bamako, puis à l’Université de Paris I où il obtient un DEA en histoire de l’Afrique. C’est pendant ses études à Bamako que débutent ses activités politiques.
Entre 1977 et 1980, il est Secrétaire Général de l’Association des Elèves et Etudiants de l’École Normale Supérieure (ADEENSUP) et de l’Union nationale des Élèves et Étudiants du Mali (UNEEM) qui s’oppose activement à travers des grèves et des manifestations au régime dictatorial du Général Moussa Traoré.
Il sera emprisonné à plusieurs reprises sous le régime du Général Moussa Traoré, notamment au nord, à Bougheïssa, Ménaka et Talataye aux côtés de Cabral, qui lui succèdera à la tête de l’UNEEM. A près un exil en Europe dans les années 1970, il rentre au Mali en 1991 et devient ministre des Affaires étrangères de Amadou Toumani Touré pendant deux ans.
Il est candidat aux élections présidentielles maliennes en 2002 et 2007. En 2012, il est nommé conseiller spécial chargé des négociations avec les mouvements armés du nord qui aboutissent aux Accords de Ouagadougou. Candidat à l’élection présidentielle de 2013, il se retire de la course.