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Achat d’avion présidentiel-contrat d’armement-Comment fut opéré le casse du siècle: 38 milliards dans la cagnotte
Publié le jeudi 25 juin 2015  |  L’aube
Arrivée
© AFP par SIA KAMBOU
Arrivée à Abidjan du nouveau Président malien, Ibrahim Boubacar Kéita
Vendredi 30 août 2013. Abidjan (Aéroport Félix Houphouët-Boigny). Le nouveau Président malien, Ibrahim Boubacar KEITA, Ibrahim Boubacar Kéita est en visite à Abidjan où il a été accueilli par son homologue ivoirien, Alassane Ouattara.




En mars 2014, un scandale historique éclaboussait la République du Mali sous la couleur de sommes faramineuses injectées dans l’achat d’un avion présidentiel et d’un contrat de fourniture d’équipements militaires. Près de 88 milliards de FCFA venaient d’être sortis des caisses publiques d’un pays sous sérum et sous assistance internationale. Mais le drame, c’est que sur ce montant, environ 38 milliards ont été détournés dont 12,44 milliards en fraude et 25,5 milliards en mauvaise gestion (surfacturation, favoritisme).

Le Vérificateur général, dans son rapport 2014, épingle le ministère de la défense et des anciens combattants et celui de l’économie et des finances, avec leurs complices et alliés. Les Maliens ont encore à l’esprit ces heures chaudes de débats houleux sur l’acquisition par Ibrahim Boubacar Kéïta d’un avion présidentiel (alors même que le pays en dispose un qui a servi sous le président ATT et sous la transition de Dioncounda Traoré) et un contrat de fourniture aux Forces armées maliennes de matériels d’Habillement, de couchage, de campement et d’alimentation (Hcca) ainsi que de véhicules et de pièces de rechange. L’avion aurait coûté entre 17 et 21milliards selon les interlocuteurs et le contrat d’armement s’élevait à plus 69 milliards. D’où est sorti cet argent ? Le moment était-il propice au vu du contexte du pays ? Qui et qui étaient impliqués dans les procédures de passation de ces deux marchés ?

Telles étaient les interrogations qui alimentaient et animaient les discussions dans les rouages de l’administration, au sein de la classe politique et de la société civile et même dans la rue chez le citoyen lambda.
En son temps, les deux scandales avaient défrayé la chronique au Mali et au plan international. Ecœurés et prompts à sévir, le Fmi et la Banque mondiale avaient suspendu leur appui budgétaires. Ils sont imités par l’Union européenne, plusieurs institutions et organismes internationaux ainsi que des pays dans la cadre de la coopération bilatérale. Le Mali d’IBK était pitoyablement isolé, contraint de vivre en autarcie.

Cependant, le plus dur était à venir pour les Maliens, qui apprendront que des dizaines de milliards avaient été détournés dans les deux dossiers cités plus haut. C’est le Bureau du Vérificateur général, commis sur exigence du Fmi, qui découvre le pot aux roses. Le Bvg éventre toutes les stratégies mises en œuvre par les magouilleurs pour sucer le sang du contribuable malien.

Le Vérificateur général a initié la vérification de la conformité et de la performance de l’acquisition d’un aéronef et la fourniture aux Fama de matériels d’habillement, de couchage, de campement et d’alimentation ainsi que de véhicules et de pièces de rechange. A cet effet, le ministère de la défense et des anciens combattants (Mdac) a effectué, entre novembre 2013 et février 2014, des dépenses pour ce faire. Les impératifs de dotations des forces armées maliennes engagées dans les opérations au nord et celles formées par la Mission d’entrainement de l’Union européenne (EUTM), ont servi de motivation au Mdac pour mettre en place une politique d’équipement.

Ainsi, le Gouvernement, a effectué en 2014 des acquisitions d’un montant total de 87, 77 milliards de FCFA, dont 18,59 milliards de FCFA pour l’acquisition d’un aéronef et 69,18 milliards de FCFA pour la fourniture d’équipements et matériels destinés aux forces armées. Appelé « avion de commandement », ledit aéronef a été acquis par le Mdac au même titre que les matériels HCCA, véhicules et pièces de rechange. Pour ces acquisitions, un recours a été fait à l’article 8 du Code des marchés publics et des délégations de service public (Cmp-Dsp) en vue de les exclure du champ dudit code.

Magouilles sans limite
Selon le rapport du Bvg, le Mdac est tout aussi coupable le Ministère de l’économie et des finances (Mef). Les deux départements font (sciemment ?) une interprétation erronée et une application inappropriée de la disposition réglementaire relative à l’exclusion de certaines commandes publiques du champ du Cmp-Dsp.

Comment ? Dans la note technique du 8 janvier 2014 relative aux schémas indicatifs de financement pour l’acquisition d’un aéronef de transport, le Mef a préconisé le recours à l’article 8 du Cmp-Dsp. Or, les commandes publiques sous l’angle de contrats de fournitures, de travaux et de services, qu’ils soient ordinaires ou « secrets », font partie intégrante de la gestion des finances publiques et doivent répondre aux principes de l’économie et de l’efficacité du processus d’acquisition, de la transparence des procédures et aux objectifs de la dépense publique.

Par conséquent, tout recours aux dispositions de l’article 8 du Cmp-Dsp, en absence de dispositions spécifiques est illégal. L’acquisition de l’aéronef à 18,59 milliards de FCFA et la fourniture de matériels HCCA, ainsi que de véhicules et de pièces de rechange aux forces armées maliennes à 69,18 milliards de FCFA, sous le couvert de l’article 8 sans aucune référence légale et dans les conditions qui ne garantissent pas la transparence dans les procédures et qui ne donnent aucune assurance quant à la fiabilité et la sincérité des informations et des transactions, constituent un risque élevé de fraude.

En outre, constate le Végal, le Mdac a effectué, en violation des articles 28 et 29 du Cmp-Dsp, les deux acquisitions en l’absence de toute expression de besoins appuyée de spécifications techniques préalablement définies. En l’absence d’un Cahier des clauses techniques générales, comme partie intégrante du protocole, prenant en charge les spécifications techniques correspondant aux commandes, l’efficacité de la fourniture n’est pas assurée.

Ce faisant, l’autorité contractante ne dispose d’aucun moyen légal pour rejeter des livraisons rendues non-conformes. Aussi, le Mdac ne s’est pas assuré de l’existence de crédits budgétaires avant le lancement des deux acquisitions, contrairement à l’alinéa 3 de l’article 29 du Cmp-Dsp qui indique que le lancement d’une commande est subordonné à l’existence de crédits budgétaires. Pourtant, ni le protocole d’accord, ni le contrat d’acquisition de l’aéronef ne comportent d’indication budgétaire prouvant la disponibilité de crédits avant leur conclusion. L’absence de crédits disponibles peut entraîner une dégradation du cadre budgétaire.

Le Végal est formel : le Mdac et le Mef ont irrégulièrement passé les deux contrats d’acquisition et de fourniture. En effet, le Mdac a signé et/ou donné, par entente directe sans aucune motivation formelle, un protocole d’accord pour la fourniture de matériels militaires, un mandat de recherche exclusif à une société en qualité de « Conseiller du Gouvernement » et un « Contrat de Cession-Acquisition d’aéronef ». Le mandat et le protocole d’accord ont tenu lieu de contrat.

En outre, seule la version anglaise du contrat d’acquisition de l’aéronef existe. Aucune traduction en français, langue officielle du Mali, n’a été faite conformément aux dispositions du contrat. De plus, le recrutement du consultant dénommé « Conseiller du Gouvernement » par le Mdac dans le cadre de l’acquisition de l’aéronef sur la base d’un mandat de recherche exclusif définissant quelques obligations en lieu et place d’un contrat et en dehors de toute procédure de passation constitue une violation de l’article 39 du Cmp-Dsp.

En effet, ledit «Conseiller du Gouvernement » a été ciblé et retenu dans des conditions non transparentes puisque jouissant du privilège d’être l’Administrateur général de la Société « Afrijet Business Service », qui était prestataire de services à la Présidence de la République dans le cadre de la location d’avions. Par ailleurs, il a été relevé l’existence de deux protocoles d’accord, tenant lieu de contrat, signés le 11 novembre 2013, soit à la même date, d’une part, par Sidi Mohamed Kagnassy et d’autre part, par Amadou Kouma pour le compte de la Société « Guo Star », titulaire du marché.

Le premier habilité par la Présidence de la République du Mali, à travers le Mandat n°0001/D.CAB-PR du 5 novembre 2013, pour « traiter avec tout fournisseur et intermédiaire que ce soit, des affaires d’équipement des forces de défense et de sécurité maliennes », n’a aucun lieu avec ladite société comme établi par ses statuts. Le second signataire, bien que détenant 30% du capital social, a agi en lieu et place du gérant de la société légalement déclaré au greffe du tribunal de commerce de Bamako sans un acte l’y autorisant. Autre constat du Bvg : le Mdac n’a pas fait respecter les procédures d’enregistrement des contrats dans le cadre de l’acquisition de l’aéronef et la fourniture de matériels Hcca, de véhicules et de pièces de rechange aux forces armées maliennes.

Le protocole d’accord, faisant office de contrat dans le cadre de la fourniture de matériels Hcca, n’a pas été visé par le Contrôleur financier en violation des dispositions de la Loi de Finances de 2014 et du Décret n°97-192/P-RM du 9 juin 1997, abrogé, portant règlement général de la comptabilité publique. De plus, il n’a pas fait l’objet d’enregistrement, ni au Secrétariat Général du Gouvernement, ni au service des Impôts. Par conséquent, le Trésor public a été privé de l’encaissement de 2,07 milliards de FCFA de droits d’enregistrement et l’Autorité de Régulation des Marchés publics et des délégations de service public de 345,92 millions de FCFA de redevance.

Concernant le contrat de « Cession-Acquisition » de l’aéronef et celui du « Conseiller du Gouvernement », le respect du circuit d’approbation des marchés reste obligatoire surtout qu’il s’agit d’un marché d’acquisition de bien et de prestation intellectuelle, relève le rapport du Bvg. Toutefois, dans la lettre d’intention du 27 décembre 2013, le Ministre de la défense et des anciens combattants, Soumeylou Boubeye Maïga, s’est engagé à prendre en charge toutes les taxes liées à l’opération. Ainsi, indique le rapport, le Trésor public a été privé de 557,59 millions de FCFA de droits d’enregistrement et l’Autorité malienne de régulation de 92,93 de millions FCFA de redevance.

Des intermédiaires inopportuns
L’implication d’intermédiaires dans les deux acquisitions a grevé les coûts. En effet, il a été relevé l’implication des intermédiaires dont l’opportunité n’est pas démontrée. Cette pratique a eu pour effet d’augmenter les coûts d’acquisition de 30,34 milliards de FCFA dont 1,03 milliard de FCFA payé au « Conseiller du Gouvernement » dans le cadre de l’acquisition de l’aéronef et 29,31 milliards de FCFA (dont 5,19 milliards de FCFA de frais bancaires) payés à la société « Guo Star », en sus du coût d’acquisition d’un montant total de 39,87 milliards de FCFA, pour la fourniture des matériels militaires, véhicules et pièces de rechange.

• Le Mef a irrégulièrement accordé une garantie autonome au titulaire du marché dans le cadre de la fourniture des matériels et équipements destinés aux forces armées. Le titulaire du marché n’a pas pu honorer son engagement contractuel en ne parvenant pas à mobiliser le financement.
A l’effet de combler cette défaillance, le ministre de l’économie et des finances, Bouaré Fily Sissoko, a fourni une garantie autonome à première demande de 100 milliards de FCFA à la banque de ce dernier pour assurer le financement de la fourniture des matériels et équipements, objet du protocole. Or, dans le cadre d’un marché public lorsque la nature le requiert, la garantie est toujours fournie par le titulaire et non l’autorité contractante à fortiori une autorité qui n’est pas partie prenante du protocole d’accord. Cette pratique constitue une distorsion aux principes de la commande publique.

Le titulaire du protocole d’accord à l’appui de la garantie autonome, suite à son incapacité d’assurer l’intégralité du financement des commandes, a orchestré un montage financier de connivence avec sa Banque. Il a en effet signé avec cette Banque une convention de prêt portant d’une part, sur un montant de 33,24 milliards de FCFA destiné à l’achat de matériels et équipements, et d’autre part, un montant de 15 milliards de FCFA destiné à financer les frais d’approche liés à l’opération. Or, les factures proforma fournies à l’appui des lettres de crédit pour l’achat de matériels et équipements indiquent que les prix comprennent la livraison jusque dans les locaux désignés par l’autorité contractante.

Par conséquent, le titulaire du marché n’avait pas à supporter les frais d’approche liés à l’opération. Ainsi, le titulaire du marché a indûment perçu et décaissé au titre des frais d’approche le montant de 9,35 milliards de FCFA. Il en résulte qu’aucune activité réelle en lien avec l’opération ne justifie ces décaissements. Que du gâchis ! Pour un avion qui disparaît si souvent des radars. Et pour des équipements, fantômes.

Sékou Tamboura
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