Le général Barrera, ancien patron des forces terrestres de Serval, raconte dans le détail et sans langue de bois cette opération de l’armée française qui a permis de combattre les djihadistes au Mali.
Vous évoquez à plusieurs reprises dans votre ouvrage (*) à la fois la vétusté de certains matériels et les incroyables performances des mécanos. La logistique, c’était l’un des défis majeurs de cette opération dans un pays où les distances se comptent en centaines de kilomètres…
Une grande partie de notre matériel terrestre est usée. Ce sont des générations de véhicules -VAB, AMX10RC, VBL- qui ont entre 30 et 40 ans. Je les ai connus quand j’étais lieutenant ! Mais à côté, on a des équipements plus récents -le VBCI, le Tigre, le Caesar- qui ont fait la différence et qui nous ont permis d’économiser des vies. Le milieu était très exigeant. On a fait des centaines de kilomètres dans le désert ou sur des terrains très abrasifs. Il était naturel que ces engins souffrent plus qu’en Champagne. La logistique fut un vrai défi. On est parti sans qu’elle soit installée à Bamako. Avec des bidons d’huile dans les camions, avec des pièces détachées récupérées sur les autres véhicules pour que l’on puisse réparer en attendant que la logistique puisse prendre le relais.
Vous l’écrivez clairement, une telle bataille, au final, se gagne au sol, avec notamment les fantassins, l’arme des derniers 300m…
Au Mali, nous n’aurions jamais pu déloger puis détruire l’ennemi si nous n’avions pas été au sol. Évidemment, cette victoire est aussi celle de l’aéronavale et de l’aviation qui nous ont bien appuyés. Dans ce livre, je rappelle la guerre telle qu’elle est et, en effet, quelques principes de bon sens : un combat se mène de façon aéroterrestre, sinon, on ne règle qu’une partie du conflit.
Vous parlez de la guerre asymétrique, de la lâcheté de vos adversaires, vous évoquez aussi l’utilisation d’enfants soldats. Sait-on, deux ans et demi après, combien de vos soldats ont été affectés par le syndrome post-traumatique ?
Ce n’est pas toujours évident d’avoir un chiffre précis. Certains vont déclarer un stress post-traumatique un ou deux ans après. On a identifié quelques soldats qui ont été frappés dès le début et n’ont pas hésité à demander un suivi. Voir des enfants morts sur le terrain, ce n’est pas quelque chose que l’on intègre facilement. Faire face à des enfants soldats n’est pas l’unique élément déclencheur. Il y a aussi la violence des combats, la confrontation avec la mort, la rusticité, les blessures des camarades. C’est un tout.
Deux ans après Serval, peut-on dire que la France a pacifié le Mali ou n’était-ce qu’une victoire ponctuelle face aux djihadistes ?
Serval n’avait pas la prétention de régler le problème malien. Notre triple mission était de libérer le pays, de détruire les katibas (groupes armés) djihadistes et de permettre un retour à la vie démocratique. Et on peut dire que nous avons réussi. Sept mois après, le 11 août 2013, le président de la République a été démocratiquement élu. Mais on savait très bien que l’on se trouverait ensuite dans une période de transition aujourd’hui marquée par l’opération Barkhane, un dispositif cohérent qui couvre cinq pays. On traque les derniers terroristes. Mais on n’est plus sur un schéma d’avant Serval avec la moitié du Mali occupé, la charia imposée à la population, des centaines de djihadistes qui occupent des zones complètes. Et puis, il y a la partie diplomatique : les Maliens doivent trouver une solution politique de sortie de crise à un conflit très ancien, interne à ce pays.
Peut-on dire aujourd’hui que la France est en guerre et contre qui ?
Il n’y a pas eu de déclaration de guerre. Donc, au sens strict du terme, la France n’est pas en guerre. Mais depuis quelques années, nous sommes engagés contre l’islamisme radical en Afrique, au Proche-Orient. La France a le courage de cet engagement. On est visé, car on gêne.
À quoi ressemblera l’armée de terre de demain ?
Nos forces terrestres, 77 000 hommes et femmes, seront réparties en deux divisions, six brigades. Des efforts seront faits sur les forces spéciales, la maintenance et l’aéromobilité. C’est une armée de terre qui s’adapte à la menace et aux nouvelles crises. Une armée qui est déjà fortement numérisée. Ce qui nous permet par exemple de raccourcir le temps de transmission entre ceux qui voient devant ou au-dessus et ceux qui tirent (artillerie, hélicoptères, avions). Au Mali, on a ainsi pu frapper de façon précise et brutale nos ennemis. La numérisation nous a permis de transmettre à l’avant des renseignements (cartes en 3D, organigrammes ennemis) et de faire redescendre au PC des éléments permettant d’avoir une bonne synthèse des événements sur le terrain.