Chérif Ousmane Madani Haïdara : «Un musulman ne peut pas rendre les denrées inaccessibles à la bourse des populations»
En ce mois de Ramadan, nous avons rencontré Chérif Ousmane Madani Haïdara, leader des Ançardine et prêcheur international, reconnu comme une des grandes références africaines en matière d’enseignement islamique. Il est question, entre autres, de la hausse des denrées de première nécessité, du comportement des prêcheurs pendant ce mois béni et des interdits et recommandations. Bani, comme l’appellent ses intimes, en a profité pour lancer un appel à l’union des musulmans pour les actions futures en œuvrant pour l’amélioration des conditions de vie des populations.
La rencontre avec Cherif Ousmane Madani Haïdara s’est déroulée sur la terrasse de son immeuble de Banconi. Du haut du bâtiment, on a une vue superbe qui permet de bien contempler le triangle chérifien, composé de la mosquée dont les minarets surplombent le bâtiment, le centre de santé Chérifoulah qui a ouvert ses portes et la medersa contiguë à la cour du guide. Au bas de l’étage, des dizaines de jeunes apprennent le Saint Coran ; d’autres s’instruisent par la lecture de livres en arabe avec traduction en bamanakan. Sous l’œil vigilant des préposés à la sécurité qui veillent au grain. Au même moment, très sollicité comme d’habitude, Cherif Ousmane Madani Haïdara est en train de recevoir du beau monde. Des personnalités, hommes, femmes et jeunes qui viennent se renseigner ou prendre des conseils avisés sur l’Islam. Un des vigiles nous conduit à la terrasse de l’étage où le Chérif nous a rejoints pour un entretien exclusif.
Que représentent le Ramadan et le jeûne qui le caractérise ?
Seid Ousmane Chérif Madani Haïdara : Louange à Dieu, Seigneur des Mondes, et que la bénédiction et la paix soient sur le dernier des envoyés de Dieu, Mohamed (PSL). Après cela, nous vous saluons vous-mêmes et vous remercions pour avoir fait le déplacement et venir ainsi nous poser des questions dont les réponses pourront éclairer la lanterne des fidèles musulmans. Le mois de Ramadan est un mois béni, car Dieu a bien parlé de l’importance de ce mois dans le Saint Coran. C’est un mois sacré donné aux musulmans pour pardonner leurs péchés, pour les faire revenir à la raison. Le mois de Ramadan trouve son fondement dans le Coran, où Dieu dit : «Vous qui avez confiance en moi, si vous dites que vous êtes des musulmans, moi, Dieu, je vous fais obligation de jeûner pendant le mois de Ramadan. Comme je l’ai fait avec vos prédécesseurs, avant vous, les fidèles musulmans. Cela vous permettra peut-être de respecter mes limites. Et vous pourrez avoir peur de moi, Dieu créateur du monde». C’est pour vous dire que le Ramadan a été donné aux musulmans pour leur permettre de respecter et d’adorer Dieu. Mais aussi pour s’abstenir des choses que l’âme aime. Quand on jeûne, on ne boit pas d’eau, alors que l’eau est indispensable pour la vie. On ne mange pas, on chasse les envies car même sa propre femme, on ne doit pas la toucher quand on est à jeûne. Les vices et autres besoins doivent être abandonnés pendant le mois de Ramadan. Le jeûne, c’est du lever au coucher du soleil. Dieu dit que si vous parvenez à faire un mois comme ça, c’est-à-dire laisser votre femme pendant le jour, laisser les envies et vices par respect pour Dieu, même après le Ramadan, tout ce qui est interdit, vous pourrez l’abandonner sans problème. C’est un entraînement afin de ne pas braver les interdits en Islam. Si le Ramadan a un sens, c’est déjà ça. C’est ce que le Coran a dit.
Comment un fidèle musulman doit-il procéder pour la rupture du jeûne ?
Un musulman doit toujours remercier Dieu pour ce qu’il lui a donné. Dieu a ordonné aux musulmans de travailler, pour gagner leur vie. Si Dieu te donne la chance d’avoir des moyens, il te demande aussi d’avoir pitié des pauvres, les démunis. Il faut les aider dans la mesure de tes moyens. Mais pendant le Ramadan, le Prophète (PSL) a dit que celui qui donne à manger à un jeûneur après la rupture, ou l’aide à jeûner, c’est comme s’il avait jeûné toute l’année pour Dieu. C’est dire qu’aider les pauvres, orphelins, démunis et autres, pendant le mois de Ramadan, est autant important que de jeûner même pendant le Ramadan. C’est le Prophète (PSL) qui le dit. C’est pour vous dire que le jeûne est fait pour le partage, la solidarité et l’entraide entre les musulmans. Mais chez nous, aujourd’hui, à l’heure de la rupture, si vous voyez les repas de nos jeûneurs, vous vous posez la question de savoir : comment vont-ils manger leurs multiples plats. Vraiment, ils ne peuvent pas tout manger. Celui qui a faim pense qu’il peut manger tout ce qu’il voit, mais dès qu’il mange un plat, il ne peut plus toucher au reste. La religion est contre ce comportement, parce qu’une bonne rupture de jeûne, si ça se passe dans la facilité, la tranquillité, c’est ce que Dieu agrée beaucoup plus. Cela a beaucoup de bénédictions. Mais avec le gaspillage de nourriture, la mégalomanie, pour montrer qu’on a des moyens, cela réduit les bénédictions du jeûne. Il est demandé à tous les bons musulmans de procéder à une rupture simple, avec des repas que l’estomac peut supporter sans problème. On ne doit pas oublier les pauvres. Dieu n’interdit à personne de bien manger ou de manger des plats doux, mais si Dieu donne à quelqu’un la chance de bien manger, il faut le faire, mais sans oublier les pauvres et les nécessiteux. On ne doit pas exagérer, mais être au juste milieu.
Qu’est-ce qu’un bon musulman doit faire pendant le mois de Ramadan ?
Un bon musulman doit avoir toujours les bons comportements, et au quotidien. Seulement pendant le mois de Ramadan, cela doit augmenter parce que les moments de prières, de lecture du Coran et les actes de dévotion doivent être multipliés, parce que pendant le Ramadan, les retombées des prières et lectures de Coran, en termes de bénédictions, sont multipliées. Un fidèle musulman doit faire attention à lui-même d’abord et pour ne pas déranger les autres. La chose la plus difficile en Islam, c’est le fait de ne pas causer du tort à son prochain. Après ça, il faut songer aux nécessiteux et aux pauvres. Faire plaisir aux pauvres et démunis, c’est plus important chez Dieu que toutes les prières et l’adoration de Dieu que nous faisons sur cette terre. Le fidèle musulman doit faire attention à ses yeux, ses oreilles, son nez, pour ne pas voir, entendre ou sentir des choses qui peuvent réduire les récompenses de son jeûne. Partager le peu que vous avez afin que tout le monde soit content, c’est ce qui est important, en plus du fait de prier, faire des bénédictions, s’adonner à la lecture du Coran. Tout cela est recommandé en ce mois béni. Mais en réalité, ce n’est rien d’autre que le comportement de tous les jours d’un bon musulman.
La plupart de nos commerçants sont des musulmans et pourtant les prix des denrées de première nécessité ne font qu’augmenter en cette veille de ramadan. Qu’en pensez-vous ?
Un musulman est un musulman. Quand on dit qu’on est musulman, ça veut dire qu’on doit travailler en fonction des préceptes du Prophète (PSL) qui est le modèle, donc on doit s’inspirer de ses pratiques et recommandations. Le Prophète (PSL) a exhorté à la simplicité dans le commerce, en demandant aux musulmans de s’entraider et d’avoir pitié les uns et des autres. Mais on voit que beaucoup de gens qui se réclament musulmans et prient quand le Ramadan arrive, augmentent les prix pour faire de la spéculation parce que les gens qui jeûnent ont besoin de ces produits. On comprend aisément que ces gens n’ont pas compris leur religion ou sont mal informés sur l’Islam. Tout ce que Dieu demande de ne pas faire, si vous le bravez en franchissant les limites que vous devez vous imposer, vous serez rétribué en conséquence. On ne peut pas dire qu’on est musulman et rendre les denrées de première nécessité inaccessibles à la bourse des populations sur la base d’une simple spéculation. Quand on se dit musulman et qu’on rende la vie difficile pendant le mois de Ramadan, on peut avoir de l’argent, mais ça ne sera pas de l’argent auréolé de baraka. Si l’argent n’a pas de baraka, cela ne sert à rien. L’argent sans baraka ne veut pas dire que les sous seront brûlés. Mais même si on a des millions, un jour viendra où Dieu emmènera un problème de 40 à 60 millions qu’on ne pourra pas résoudre. Alors que si on s’était limité à sa marge bénéficiaire normale, sans tomber dans la spéculation, on aurait gagné plus et sans avoir un problème de 500 FCFA. Rendre la vie difficile aux gens n’est pas une bonne chose, car celui qui le fait ne sera pas avec Dieu, ses bénéfices vont s’envoler et il recevra de la malédiction. Nous demandons aux musulmans d’avoir pitié de la population, aux commerçants d’essayer de faire leur commerce comme cela a été enseigné par le Prophète (PSL) et de voir d’ici la fin de l’année, comment leur commerce va prospérer. Ils verront que Dieu est l’unique maître de ce monde. Nous demandons aux musulmans de faciliter l’acquisition des denrées et aux autorités de renoncer aux frais de douane sur les produits de première nécessité ou de les diminuer pour éviter une hausse des prix desdites denrées. Nous leur avons demandé cela à plusieurs reprises. Mais quand les autorités accordent des facilités, un contrôle de prix doit se faire dans les marchés et chez les grands commerçants, pour voir s’ils répercutent correctement ces facilités sur les prix des produits. Mais les autorités ne doivent pas fermer les yeux sur le non-respect des prix par les commerçants, ils sont nos dirigeants, ils doivent s’assumer. L’Etat doit rester fort et responsable ; l’Etat ne doit pas laisser les gens faire ce qu’ils veulent.
Pendant le mois de Ramadan, les radios privées sont prises d’assaut par des prêcheurs qui racontent souvent n’importe. Est-ce que au niveau du Haut conseil islamique, vous avez pensé à cela ?
Quand vous écoutez ces prêcheurs, vous comprenez aisément ce qui se passe. Les uns prêchent au nom de Dieu et les autres pour avoir de quoi subsister. Certains peuvent même avoir d’autres raisons. Au niveau du Haut conseil islamique, on avait envisagé de mettre un programme en ce sens. Nous avons saisi les autorités. Jusqu’à présent, rien n’a été arrêté. Mais nous continuons le travail afin que les prêches, d’une façon générale, soient bien gérés. Je pense que le Haut conseil et le gouvernement, avec l’appui de tout le monde, finaliseront bientôt un programme dans ce sens.
Avez-vous un mot pour conclure cet entretien ?
Je demande aux musulmans du Mali, l’entente et la paix. Qu’on se donne la main pour les futures actions à venir. Notre religion n’avancera jamais, tant qu’on ne s’aimera pas entre nous. Tant qu’on ne se donnera pas la main. Aucun être humain ne peut être proche de Dieu sans aimer son prochain. Il faut qu’on soit ensemble, comme l’a dit le Prophète (PSL). Il a juré, au nom de Dieu, que «Vous ne rentrerez pas dans le paradis, vous ne serez pas des fidèles musulmans, tant que vous ne vous aimez pas». C’est dire que les musulmans n’iront jamais dans le paradis sans être des fidèles, et ils ne seront fidèles tant qu’ils ne se donnent pas la main pour s’entraider. Pour cela, il faut qu’ils se fréquentent, aillent les uns chez les autres. C’est ce qui fera que les gens vont s’aimer et chasser toute haine. Nous lançons cet appel à l’union des esprits et des cœurs, qu’on soit un et indivisible, afin que Dieu puisse nous pardonner, afin que notre pays soit stable. Nous prions pour un bon mois de Ramadan, un mois de paix pour notre pays, pour le bonheur de nous tous. Je vous remercie, que Dieu vous donne longue vie dans votre travail de tous les jours. Bon mois de Ramadan à tous les fidèles musulmans du Mali et du monde entier.
Réalisé par Kassim TRAORE