L’accord d’Alger (signé les 15 mai et 20 juin 2015 à Bamako) n’a pas encore fini de livrer ses secrets. Tous les observateurs s’accordent sur le fait que sa mise en œuvre sera plus difficile que sa signature. Une situation qui fait surgir une tonne d’incertitudes et rend inexorablement compliqué l’application du document final approuvé par tous les belligérants.
La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) a accepté de signer (enfin) l’accord d’Alger issu des pourparlers entre le gouvernement du Mali et les groupes armés du nord. Et ouvre en même temps la phase de son application avec son cortège de revendications exorbitantes et de manipulations. Les exigences de la CMA se faufilent sous les manteaux avec des budgets dépassant à tout point de vue les capacités de l’Etat. C’est une tactique bien connue des gens de mauvaise foi. Il faut monter les enchères et empêcher le gouvernement de respecter ses engagements.
Mais au-delà, l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali est cerné non seulement par un certain nombre de dangers ainsi que des incertitudes. Qui risquent d’annihiler tous les efforts fournis par les bonnes volontés.
Si l’on s’en tient aux revendications de le CMA pour s’accaparer de tous les avantages de l’accord, il est certain qu’il sera difficile pour le comité de suivi de l’accord d’avoir des résultats.
D’abord, la CMA, à elle seule, veut une représentativité plus importante que celle des autres mouvements dans le comité de suivi. C’est une situation que les parties doivent rapidement régler si elles veulent vraiment avancer.
Aussi, depuis que l’accord est signé les supputations vont bon train. La CMA veut s’accaparer de tous les postes stratégiques et intégrer du coup dans l’administration et l’armée l’ensemble de ses éléments. Sur plus de 9000 ex-combattants et civils à intégrer, les groupes armés de Kidal voudraient avoir 200 colonels et près de 400 commandants dans l’armée malienne. Des chefs militaires qui seront probablement repartis entre les localités de Kidal,
Taoudéni et de Ménaka. Ce qui constituera certainement l’embryon de l’armée « azawadienne ». Dans tous les cas, la propagande à propos de la victoire et des acquis de la CMA fait l’objet de rencontres dans les camps de réfugiés et les pays d’accueil des Touaregs du nord du Mali. Dans ces rencontres, on évoque même des pourcentages (60 et 80%) dans certains domaines (l’armée, l’administration, la police territoriale…).
Pendant ce temps, les autres mouvements, eux aussi, travaillent sur les profits de l’accord d’Alger. Ils ont des civils et des ex-combattants au même titre que la CMA. Qui a pu faire signer un accord (bis) au gouvernement et à la médiation internationale, le 5 juin dernier. Cet accord précise que les éléments de la CMA seront traités « prioritairement et majoritairement » dans les régions du nord. C’est une discrimination opérée par la complicité de l’Algérie et validée par le gouvernement du Mali, sous le règne d’Ibrahim Boubacar Keïta. Cette attitude (par son caractère discriminatoire) fait planer beaucoup d’incertitudes sur la mise en œuvre de l’accord de paix.
Autres incertitudes, c’est qu’on ne sait même pas jusqu’où l’Etat pourra tenir ses engagements. Au-delà de l’aspect financier, le gouvernement a un rôle d’arbitre dans la répartition des richesses entre toutes les régions du Mali, mais aussi et surtout entre tous les enfants de ce pays. « On ne résout pas une injustice par une autre injustice », dit un adage. Si l’on donne 200 colonels à Kidal (la CMA ?), combien l’Etat va-t-il attribuer à la plateforme, à la CMFPR2 et aux autres régions du Mali ? C’est là toute la question.
Aussi, on s’interroge sur la finalité des appuis apportés jusque-là à notre pays. Depuis 2012, le Mali est sous assistance de la communauté internationale. La CEDEAO a mis les bouchées doubles pour que notre pays sorte de la crise institutionnelle dans laquelle il a été plongé par un coup d’Etat en mars 2012.
La France du Président Hollande a mis fin à l’occupation djihadiste en lançant le 11 janvier 2013 l’opération « Serval ». Qui a permis à l’armée malienne de réoccuper les régions de Tombouctou et de Gao.
Les Nations Unies ont envoyé plus de 9000 casques bleus pour stabiliser le territoire malien sans compter la force Barkhane (de la France) en charge de démanteler les groupes terroristes dans le sahel… Cette assistance internationale n’a-t-elle pas de limite ? C’est également une incertitude.
Enfin, l’accord d’Alger donne du fil à retordre par les promesses et les engagements pris par le gouvernement. Et du coup, les mouvements armés se rivalisent dans les revendications. Ils sont nombreux et ont tous des exigences propres à chaque mouvement. Pendant que d’autres se battent pour garder les avantages à Kidal, certains ont dans leur orbite Ménaka, Taoudéni, Gao, Ber ou Tombouctou… Jusqu’où s’arrêteront- ils dans leurs différentes revendications ?
Idrissa Maïga