Alors qu’il pouvait fuir, Modibo Kéita s’est laissé prendre dignement le 19 novembre 1968 par la junte dirigée par le lieutenant Moussa Traoré, entre Koulikoro et Bamako de retour d’une tournée à Mopti à bord d’un bateau. Neuf ans plus tard, il est mort tout aussi stoïquement dans les geôles du CMLN.
Cela fait aujourd’hui exactement 35 ans que le père de l’indépendance nous quittait. Modibo Kéita, premier président de la République du Mali, a en effet trouvé la mort en détention au camp para de Djicoroni le 16 mai 1977. Empoisonné ou victime d’un œdème des poumons ? Le doute est permis, car jusqu’ici les circonstances de sa mort restent inconnues.
Bravant les menaces de représailles, une foule indescriptible l’a accompagné le lendemain en sa dernière demeure au cimetière d’Hamdallaye où il repose pour l’Eternité. Grand de taille, cet instituteur modèle, sorti major de sa promotion à l’Ecole normale William Ponty, en imposait tant dans le discours que dans les faits.
Né le 4 juin 1915 à Bamako, Modibo Kéita entre en 1931 au lycée Terrasson de Fougère de Bamako. En 1934, il va à l’Ecole normale supérieure de William Ponty, d’où il sort diplômé en 1936. Tout en enseignant, il milite aux côtés de Mamadou Konaté pour l’indépendance du Soudan français en particulier et la libération de tous les peuples sous le joug de la colonisation.
Pour mieux affirmer son opposition à la politique coloniale de la France, il fonde en 1943 la revue « L’oeil du Kénédougou » qui invite le peuple à s’émanciper. Avant, en 1937, il est co-fondateur avec Ouezzin Coulibaly du Syndicat des enseignants d’Afrique occidentale française. Il est détenu en 1946 à la prison de la santé à Paris pour « sentiments anti-français ».
Au plan politique, Modibo Kéita est l’un des pères fondateurs du Rassemblement démocratique africain (RDA) en 1946. Il est élu député à l’Assemblée nationale française en 1956 sous les couleurs de l’Union soudanaise RDA. Membre de plusieurs gouvernements français, il est élu maire de Bamako en 1956. Il sera le président de l’éphémère Fédération du Mali (Soudan français et Sénégal).
Une source d’inspiration
Après l’éclatement de la Fédération du Mali, il est proclamé président de la République du Mali le 22 septembre 1968. Ayant le cœur à gauche, il opte pour une économie de type socialiste. Il développe une coopération hardie avec les pays du bloc de l’Est, ce qui lui permet de fonder une économie basée sur l’effort national.
Sous sa conduite sont créées plusieurs sociétés et entreprises d’Etat. On peut citer pêle-mêle Air Mali (transport aérien), la Compagnie malienne de navigation (transport fluvial), la Compagnie malienne de transports routiers (CMTR), la Socoma, la Comatex, la Sepom (ancêtre d’Huicoma), la Sonatam, Mali-Lait, l’Opam, la RCFM, etc. Bref des dizaines de sociétés qui jettent les bases de l’industrialisation et offrent de l’emploi aux Maliens de toutes les couches sociales. Il est surtout le bâtisseur de la monnaie nationale en juillet 1962.
C’est sur cette lancée qu’intervient le coup d’Etat du 19 novembre 1968. La libération nationale prônée par le lieutenant Moussa Traoré s’avère un leurre. Elle se transforme très vite en liquidation nationale avec la disparition en une décennie de tout ce qui faisait la fierté des Maliens en termes d’acquis socio-économiques. Pis, les exactions reprochées au régime socialiste de Modibo Kéita s’exacerbent sous le règne du Comité militaire de libération nationale (CMLN) et sa version civile, l’UDPM.
Modibo Kéita n’a pas fui. Il demeure avec nous, car, à en croire Birago Diop : « Ceux qui sont morts ne sont jamais partis. Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire et dans l’ombre qui s’épaissit. Les morts ne sont pas sous la terre. Ils sont dans l’arbre qui frémit. Ils sont dans le bois qui gémit. Ils sont dans l’eau qui coule. Ils sont dans l’eau qui dort. Ils sont dans la case, ils sont dans la foule : les morts ne sont pas morts ».
Puisse donc le patriotisme de Modibo Kéita nous inspirer en ces heures graves pour le Mali, divisé territorialement, socialement et qui voit ses hommes politiques se bouffer le nez pour des miettes et de petits honneurs au lieu de l’union sacrée pour recoller les morceaux.