La crise gravissime que le Mali a vécue, et qui perdure, montre que dans ce pays le besoin de réformes politiques est immense, car la légitimité du régime, reposant sur des élections purement formelles, n’est établie qu’aux yeux des étrangers les plus optimistes. La défiance, passive mais profonde, de la population à l’égard du personnel politique et de l’Etat dans son ensemble est une donnée essentielle de la situation. En même temps, le pouvoir actuel manque cruellement d’inspiration, le jeu politique montre à l’évidence que ce régime ne se soucie que de perdurer, comme si la maison ne brulait pas toujours au Nord et comme si le Sud n’était pas lui aussi prêt à s’embraser.
Sauf à rechuter à brève échéance dans l’anarchie, le Mali de demain ne pourra être que très différent de celui d’hier et d’aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce qu’avait promis le Président IBK pendant sa campagne électorale et par son discours d’investiture. Mais c’est aussi ce que la crise exige. Pourtant rien –ou presque rien– n’a été fait qui puisse susciter l’adhésion ou l’enthousiasme de la population, sauf probablement le retour de l’ordre dans l’armée. Les cérémonies du 15 mai et du 20 juin ne sont que des promesses, et beaucoup ont trouvé exagérées les protestations de fraternité et les exhortations à la paix qui y ont été prononcées : à vrai dire chacun tremble devant l’avenir. La paix n’est pas dans les cœurs, elle a été achetée au prix fort, un prix que l’on ne mesure pas encore d’ailleurs.
Et dans cette perspective, la résolution 2227 du Conseil de Sécurité en date du 27 juin 2015 constitue un grave revers pour le Mali.
Il faut cependant revenir jusqu’aux débuts de l’intervention des Nations-Unies, et montrer tout ce qu’elle permettait, tant en matière de sécurité qu’en ce qui concerne la refondation politique, pour se rendre compte du recul que traduit la dernière résolution.
L’attitude antérieure du Conseil de sécurité
Les Nations-Unies avaient compris dès 2013 la profondeur de la crise malienne et son caractère d’abord et essentiellement politique, puisqu’elles avaient assigné à la MINUSMA, dès sa création, le mandat d’« aider les autorités de transition maliennes et les populations du nord du pays à faciliter tous progrès dans le sens d’un dialogue national inclusif et de la réconciliation. »[1] Mais aucune initiative allant dans ce sens n’a été prise, pendant tout le second semestre 2013, par le gouvernement. Les Etats généraux de la décentralisation n’ont pas eu le caractère d’un dialogue inclusif et productif : les gens du Nord n’étaient pas là, et si chacun a pu s’exprimer, aucune orientation n’a été dégagée, la présidence des débats étant restée obstinément muette. Et il est significatif que les Assises du Nord aient commencé par un incident à propos de la composition de la délégation de Gao, désavouée par la population de la ville. Ainsi, ces grandes réunions, improvisées au niveau national, sans préparation soignée au niveau local, ont été vaines. Et c’est pourquoi, début 2014, le Président est allé confier la médiation à l’Algérie, en ne lui donnant d’ailleurs que des indications extrêmement générales sur les principes à respecter (unité nationale, intégrité du territoire, régime républicain et laïc).
Les Nations-Unies ont alors adopté, en juin 2014, une formulation beaucoup plus explicite de la tâche à accomplir en « soulignant la nécessité de s’attaquer aux causes profondes des crises récurrentes qui secouent le Mali, notamment aux problèmes ayant trait à la gouvernance, à la sécurité, au développement et à la situation humanitaire, et de tirer les enseignements des accords de paix antérieurs.»[2] Par cette reformulation, le Conseil de sécurité prenait acte très officiellement, mais sans trop le crier sur les toits, de l’urgence d’un véritable diagnostic partagé (inclusif) et de profondes réformes politiques, et il chargeait la mission qu’il créait d’organiser le dialogue national qui s’imposait : et c’est à ce mandat qu’on devra comparer celui qui vient d’être assigné à la MINUSMA pour l’année qui vient. Il est vrai que les intentions du Conseil de sécurité n’étaient partagées ni à Bamako ni à Alger.
En effet, le gouvernement prétendait qu’il avait fait son diagnostic, et que le résultat en était le PAG,[3] dont pourtant l’orientation n’a rien à voir avec les préoccupations citées du Conseil de sécurité ; de son côté l’Algérie a délibérément évité cette étape indispensable à toute médiation sérieuse. On ne peut donc que regretter amèrement que la MINUSMA se soit contentée d’appuyer le processus d’Alger au lieu d’y faire prévaloir le point de vue judicieux du Conseil de sécurité.
L’Algérie s’est en effet bornée à reprendre le modèle des accords qu’elle avait déjà parrainés en 1992 et 2006, et qui n’ont fait que préparer les résurgences ultérieures de la rébellion : elle a centré la discussion sur des réformes de régionalisation qui ont été poussées à un point tel qu’elles préfigurent désormais l’éclatement du Mali en zones largement ouvertes aux interventions extérieures (économiques et/ou armées),[4] et sur l’intégration des cadres des groupes sécessionnistes dans les forces armées et de sécurité ou dans la haute administration. Aucune leçon n’a donc été tirée du passé, puisque l’expérience montre que ces mesures ne font que préparer de nouvelles crises.
Aussi, aujourd’hui, tout reste à faire en ce qui concerne « les enseignements des accords antérieurs » et les « causes profondes des crises récurrentes. » Et il faut le faire, sauf à se résoudre à une simple accalmie temporaire qui permettra aux alliés étrangers des groupes qui ont pris les armes contre leur pays, et à ces derniers, de préparer la prochaine offensive.
Evidemment, si le gouvernement du Mali ne s’y attaque pas volontiers, c’est que les causes profondes des crises récurrentes ont permis –et permettent aujourd’hui encore– d’énormes succès d’enrichissement individuel, de sorte que personne dans la nomenklatura ne tient à vider l’abcès qui gangrène le pays. Le relèvement du Mali exigerait pourtant que le mal soit traité, pas seulement le symptôme. Et là était précisément le mandat donné à la MINUSMA en 2014 : dialogue politique et sécurité.
L’étendue du mandat de la MINUSMA en 2014
Depuis la résolution 2164 (2014) du Conseil de Sécurité[5], la MINUSMA disposait d’un mandat « robuste », c’est-à-dire qu’elle était autorisée à employer la force pour réaliser ses missions. L’une de ces missions concernait la sécurisation des personnes et le « rétablissement de l’autorité de l’Etat dans tout le pays »[6]. Dans ces conditions, on devait par exemple attendre de la MINUSMA qu’elle s’engage, aux côtés des forces armées et de sécurité maliennes, et éventuellement à leur place (principe de subsidiarité), dans la lutte contre le trafic de drogue, qui perdure et prospère, et qui fournit leurs ressources financières aux groupes armés de tous bords et à leurs façades politiques. On ne comprend pas mieux pourquoi la MINUSMA ne s’est pas engagée, aux côtés des forces armées du Mali, à réduire les poches sur lesquelles se s’étaient repliés les groupes armés sécessionnistes.
Evidemment, il faut aussi évoquer ici une erreur stratégique dramatique de la France. Même si le MNLA a joué un rôle utile en tant que supplétif de l’opération Serval, il aurait rapidement dû apparaître comme un partenaire douteux : il ne représente qu’une ultra-minorité, ses chefs ont commis le crime imprescriptible de prendre les armes contre leur patrie ; aussi, en ouvrant la porte aux djihadistes, ils ont montré qu’ils n’avaient aucune conscience des enjeux géo-stratégiques au Sahel. Et ils ont rapidement prouvé qu’ils n’avaient aucun autre objectif que d’accéder à un pouvoir dont ils ne savent que faire : il fut un temps où ils proclamaient l’indépendance, il fut un temps où ils négociaient avec Ançar Dine, allié d’AQMI, la création d’un Etat islamique,[7] puis ils ont revendiqué une autonomie politique…, tout en continuant à jouer au Mali le jeu des trafics en tous genres, de l’insécurité, et du djihad armé par l’étranger. La France a visiblement une conscience géopolitique plus large que les chefs de guerre qui se sont lancés à l’assaut du Mali : elle aurait dû prendre ses protégés en tête à tête et leur expliquer que le Mali (comme le Sahel tout entier d’ailleurs) a besoin de paix, de réformes politiques profondes, et de développement ; pas de guérilla ni de démantèlement.
Nul doute qu’après une étape de ce genre, la situation aurait été plus claire au Mali. Après avoir été encouragés par des partenaires européens passablement naïfs, les indépendantistes se seraient rendu compte qu’ils devaient apprendre à vivre dans le monde tel qu’il est. Les Etats hérités de la période coloniale sont un moindre mal. Sauf à accepter de sombrer dans le chaos à brève échéance, le Sahel doit s’organiser contre les menaces dont il est la cible.[8] Le MNLA privé du soutien de la France, Kidal rentrée dans le rang, la sécurité aurait pu être progressivement rétablie, le dialogue politique aurait pu s’engager sur des bases saines, et progressivement on aurait pu en revenir, avec l’appui décisif de la MINUSMA, au monopole public de l’usage de la force sur tout le territoire du Mali.
Compte tenu de l’état de l’armée du Mali, à laquelle il faudra probablement une dizaine d’années pour retrouver ses capacités, la MINUSMA aurait nécessairement dû jouer un rôle essentiel dans le rétablissement de la sécurité et de l’autorité, mais elle ne pouvait le remplir avec succès qu’en conjuguant négociation politique et pression de la force publique. Et ceci dans un contexte où les pays voisins joueraient aussi leur rôle, notamment en contrôlant leurs frontières et en cessant de soutenir les sécessionnistes ; et où l’opération Barkhane conserverait, bien entendu, sa tâche irremplaçable dans cette perspective : empêcher la réinstallation de groupes armés par l’étranger, et surveiller une large bande sahélienne, en se passant du soutien des sécessionnistes et en cessant de les protéger.
Dans cette perspective d’un réel processus de retour à la paix, la MINUSMA, au lieu de se contenter de signaler des incidents armés et de publier des communiqués les condamnant, aurait dû intervenir activement contre tous les trafiquants, contre tous les groupements armés sécessionnistes, en mobilisant, aux côtés et éventuellement à la place des troupes maliennes, les moyens militaires importants qui lui sont affectés. L’impartialité de la MINUSMA ne pouvait pas consister pas à mettre sur le même plan les groupes sécessionnistes et les milices d’autodéfense : le premier mandat de la MINUSMA, depuis 2013, est d’apporter sa « contribution au rétablissement de l’autorité de l’Etat », ce n’est pas de favoriser la balkanisation du Mali en autant de territoires que de chefs de guerre.
Les armes sont nécessaires, elles peuvent donner le temps de mettre en œuvre les réformes politiques qui s’imposent, elles ne peuvent en aucun cas dispenser les autorités nationales ou la « communauté internationale » de préparer et de réaliser ces réformes. Car, nul ne l’ignore, l’origine de l’effondrement du Mali en 2012 est l’implosion de son système politique. On n’a fait qu’en recrépir la façade en 2013 par des élections présidentielle et législatives : derrière la façade, le régime est à bout de souffle. Il peut ne souhaiter que de passer le cap d’un mandat. Toutefois, le Président a promis autre chose, et il est aujourd’hui devant le choix entre une gestion à courte vue de l’actualité, qui se jouera de lui, et un grand projet, un grand destin politiques.
La nécessité d’une refondation démocratique de l’Etat
Suggérée par l’opposition pendant les négociations, inscrite dans le texte de l’accord d’Alger (article 5), l’idée faisait son chemin au Mali d’une conférence nationale, où pourraient enfin être abordés les vrais problèmes, et défini un nouveau « contrat social » pour le Mali dans son ensemble. Il ne devrait cependant pas s’agir simplement d’une de ces grandes réunions de deux ou trois jours au CICB[9] : il faut imaginer un processus étalé par exemple sur une année, de façon à ce que les problèmes nés du dysfonctionnement de l’Etat soient posés et résolus depuis la base de la pyramide sociale jusqu’à son sommet.
Dans le moindre village, parmi bien d’autres faits, l’incapacité à recouvrer les impôts, le pillage du foncier public par les élites corrompues, la faiblesse de la participation aux élections, ou l’incivisme quotidien signalent, au-delà même d’une défiance générale à l’égard de l’Etat, une disparition de l’idée même d’intérêt général. Il faut repartir de ces réalités pour concevoir un nouveau contrat social et très probablement de nouvelles institutions. Dans chaque collectivité, en commençant par le niveau le plus modeste (quartier, fraction, village, puis commune, terroir…), les récriminations du peuple à l’endroit des élus désignés par les états-majors nationaux devraient pouvoir s’exprimer et être entendues, les conflits qui minent la collectivité devraient être exposés et les solutions envisageables définies, la population devrait expérimenter à nouveau ce qu’est décider par soi-même à propos de ses propres problèmes, et ce qu’est devoir tenir compte des revendications légitimes des autres (voisins, dépendants, clients, fournisseurs…).
Ce processus s’impose pour trois raisons principales :
- chacun peut se convaincre que, dans le contexte du Mali, les élections n’assurent ni une représentation adéquate de la population, ni sa participation à la décision ; le processus électoral a été copié sur ce qui se fait au Nord, sans adaptation, et il a été dévoyé par l’achat des voix et par l’irresponsabilité des élus ;
- les comportements qui fondent la démocratie doivent être, au Mali aujourd’hui, expérimentés à la base avant de pouvoir imprégner l’ensemble de la pyramide institutionnelle ; ce pays –et il n’est pas le seul– souffre encore du fait que, pendant la période coloniale, le pouvoir a été capté par la puissance étrangère, laissant les citoyens dans une position de totale irresponsabilité quant à leur avenir ; toute décision étant prise par le pouvoir colonial, il suffisait à chacun de tenter de tirer le meilleur parti de cette règle du jeu ;
- il a bien été question, dans la décennie 1990, du « retour du pouvoir à la maison » et de l’administration comme appui-conseil aux élus locaux ; mais l’élan initial a été brisé dans la décennie suivante, qui a implanté une forme de populisme bon-enfant soutenu par une intense corruption, là où la démocratie impliquait décision et responsabilité
Ce processus de refondation démocratique de l’Etat ne pourrait reposer que sur une intense campagne de communication, dirigée vers le peuple plutôt que vers ses élites lettrées, et donc employant les langues nationales et un style aussi simple que possible, de sorte que chaque habitant puisse comprendre les messages de franchise et de liberté de parole, ainsi que l’objectif du débat. Chacun devrait avoir à justifier ses affirmations, personne ne devrait être inquiété pour les propos qu’il aurait tenus. Des personnalités locales reconnues pour leur intégrité et leur autorité morale seraient désignées pour arbitrer les débats et pour en préparer le compte-rendu.
A chaque fois qu’on passerait d’un niveau de la pyramide sociale à un autre, on ferait le tri des problèmes qui pourront être résolus au niveau inférieur et de ceux qui ne pourront l’être qu’au niveau supérieur : de la sorte, les débats des niveaux supérieurs aborderont des problèmes mal perçus –ou insolubles– au niveau inférieur. A chaque niveau, il faudrait désigner les personnalités intègres et investies d’une autorité morale incontestée qui pourraient conduire les débats pour les orienter progressivement vers des propositions claires et nettes. A chaque échelon reviendrait aussi la tâche de désigner ses représentants aux réunions de l’échelon supérieur.
La conduite de ce processus de conférence nationale ne pourrait être confiée qu’à un groupe de personnalités dévouées, indépendantes des clans politiques, et disposant d’une autorité morale largement reconnue. Ce groupe devrait être investi officiellement par le gouvernement de la tâche de piloter le processus pendant toute sa durée, en toute indépendance, et d’en synthétiser le travail échelon par échelon.
Ce groupe de pilotage devrait sans doute être secondé, pour l’aider à dégager des solutions pratiques aux problèmes relevés dans les débats des divers échelons, par un comité technique, composé de personnalités qualifiées à qui l’on demanderait de suggérer les modalités juridiques susceptibles de traduire les solutions envisagées.
Ce travail serait donc beaucoup plus long et beaucoup plus profond, beaucoup plus inclusif que celui qui est évoqué dans l’accord d’Alger. En particulier, la participation populaire serait aussi large que possible, et évidemment elle ne serait pas restreinte aux représentants des groupes armés. Ce processus éviterait aussi de faire croire, comme le fait l’accord d’Alger, que l’essentiel est dans « la prise des mesures pour permettre l’appropriation au niveau local des nouveaux outils démocratiques convenus dans l’Accord, notamment à travers l’actualisation des listes électorales, l’encouragement à l’enrôlement et à la participation aux élections locales, et l’accompagnement de la création des institutions et procédures nouvelles »[10] Il éviterait aussi se fixer essentiellement sur « la problématique de l’Azawad »[11], pour aborder de front les difficultés de la réconciliation –en particulier en ce qui concerne l’acceptation par les populations du Sud des exigences des groupes armés sécessionnistes–, et les difficultés de la démocratisation, au moins aussi profondes au Nord qu’au Sud.
Le Conseil de sécurité désormais en retrait
Le Conseil de sécurité avait donc donné en 2014 à la MINUSMA un mandat très large qui lui permettait de faire face à la situation présente au Mali. Certes la MINUSMA aurait dû être encouragée à prendre au sérieux la totalité de son mandat, tant dans sa lettre que dans son esprit, au lieu d’adopter, comme elle l’a fait en pratique, le service minimum. Elle aurait dû avoir pour souci prioritaire son mandat très ambitieux en matière de diagnostic des causes de la résurgence des crises, question qui aurait dû être le sujet principal des débats et de l’accord d’Alger.
On sait que l’accord d’Alger n’est pas un bon accord, mais le processus d’Alger s’est terminé le 20 juin. Dès cette date, pour remplir son mandat sur ce point, la MINUSMA aurait pu immédiatement engager le gouvernement du Mali à organiser une conférence nationale, ou même en prendre l’initiative si le gouvernement avait hésité ou trop tardé. Elle pouvait faire valoir au gouvernement que le lancement d’un tel processus laisserait dans l’histoire du Mali une trace comparable à celle qu’y ont inscrit les évènements de 1991-1992. Mais elle pouvait aussi faire valoir que, principe de subsidiarité oblige, son propre mandat était bel et bien de mettre en place des institutions à nouveau capables de gouverner le pays dans la paix, même si elle devait dans cette voie affronter des oppositions ; la conférence nationale est en effet une modalité du dialogue politique inclusif, et ce dernier était essentiel dans le mandat de la MINUSMA tel qu’il était défini en 2014.
Hélas, tout ceci est abandonné dans la nouvelle formulation du mandat de la MINUMA que donne la résolution 2227 du 27 juin 2015. Le Conseil de Sécurité fait semblant de croire que le dialogue national inclusif a eu lieu, et que les réformes politiques susceptibles de prévenir la résurgence de révoltes armées ont été faites, ou le seront si l’on applique l’accord d’Alger. Il n’est plus question de l’ambitieux mandat politique, rappelé ci-dessus, mais seulement d’ « encourager et soutenir la pleine mise en œuvre de l’Accord par le Gouvernement malien et les groupes armés de la Plateforme et de la Coordination, notamment en favorisant la participation de la société civile, y compris des organisations de femmes et de jeunes. »[12]
En pratique, à la place du dialogue politique qui eût été seul capable d’affronter le problème politique qui mine le Mali, on va voir la MINUSMA se précipiter à concourir à « l’organisation d’élections locales transparentes, régulières, libres et ouvertes à tous »,[13] comme on l’a fait déjà dans le passé et tout récemment en 2013, avec les résultats qu’on constate.
Aussi grave, évidemment, est le retrait du Conseil de sécurité en ce qui concerne la lutte contre « les trafics d’armes et de stupéfiants et la traite d’êtres humains ». Désormais le Conseil souligne « que la responsabilité de lutter contre ces menaces incombe aux pays de la région » et il n’hésite même pas à se féliciter « de l’effet stabilisateur de la présence internationale au Mali, notamment la MINUSMA »[14] comme si un changement quelconque avait été observé. Or ne pas lutter contre ces trafics, c’est protéger les ressources des groupes armés et des seigneurs de guerre.
C’est bien ce message de retrait que le Représentant spécial adjoint du secrétaire général des Nations Unies, chargé des affaires politiques, a porté aux députés ce 30 juin, affirmant que « le mandat de la MINUSMA ne lui permet pas de lutter contre les groupes djihadistes et terroristes, et la présentant comme un outil politique et non un outil de guerre. »[15] Cette présentation est tendancieuse en ce qui concerne la « robustesse » du mandat, c’est-à-dire la possibilité d’utiliser la force pour remplir ses missions. En effet la résolution 2227 dispose que le Conseil de sécurité « autorise la MINUSMA à utiliser tous les moyens nécessaires pour accomplir son mandat, dans les limites de ses capacités et dans ses zones de déploiement »,[16] ce qui reprend exactement la formulation de 2014 (en son article 17).
Mais il est in contestable que le Conseil de sécurité, par cette nouvelle formulation du mandat, permet à la MINUSMA de se désengager du guêpier malien en abandonnant l’objectif de « rétablir l’autorité de l’Etat dans tout le pays », et lui assigne pour seule mission d’aider à l’application de l’accord d’Alger, comme si ce dernier portait sur les vrais problèmes et en définissait les solutions. Il faut comprendre que dorénavant la « communauté internationale » se montrera satisfaite d’un retour partiel et temporaire de la sécurité, et d’élections locales acceptables. Peu lui importe tout le reste, qui est de loin le plus important ! En multipliant les expressions « appuyer les autorités maliennes », « aider les autorités maliennes »… dans la rédaction du mandat, le Conseil de sécurité majore la responsabilité d’un Etat qu’il sait en crise profonde, et minore d’autant la sienne, alors même qu’il s’était engagé, il y a un an, au terme d’une analyse lucide de la situation, à l’aider de multiples façons, et avec des moyens importants, à affronter ses faiblesses politiques!
Par cette résolution, le Conseil de sécurité a donc décidé de ne plus se préoccuper des causes profondes des crises récurrentes qu’affronte le Mali. C’est une mauvaise nouvelle pour le Mali et pour la paix au Sahel.