Le 3 juillet 2015, l’Assemblée nationale a adopté « le projet de loi autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense, signé à Bamako, le 16 juillet 2014, entre la République du Mali et la République Française. »
Jean-Yves le Drian au milieu de soldats français, au Mali
Jean-Yves le Drian au milieu de soldats français, au Mali, le 31 décembre 2013. © AFP
Par cet acte, les autorités maliennes entendent légitimer l’intervention des forces françaises sur le territoire malien et lui donner un cadre juridique. Ce faisant, elles viennent de donner raison à tous ceux qui soutiennent, jusque-là, que la France est intervenue au Mali en violation de notre souveraineté nationale, de manière illégale et anticonstitutionnelle. En effet, quand la force Serval a débarqué au Mali en janvier 2013 pour contrer l’avancée jihadiste vers le sud, le seul traité en matière de défense qui existait entre le Mali et la France est un accord de coopération militaire, signé le 6 mai 1985, alors que le général Moussa Traoré et François Mitterrand étaient respectivement les chefs des Etats malien et français. Or, dans cet accord, il n’était question que de la formation de l’armée malienne par l’armée française et nullement d’une intervention militaire des troupes françaises sur le territoire malien en cas d’agression extérieure ou de conflits internes. Spécifiant que les formateurs français « ne peuvent, en aucun cas, prendre part à la préparation et à l’exécution d’opérations de guerre, de maintien ou de rétablissement de l’ordre ou de la légalité » au Mali, cet accord de 1985 exclut de ce fait toute possibilité de déployer sur le sol malien des forces françaises.
Entorses
En voulant coûte que coûte légaliser la présence actuelle des forces françaises, les autorités maliennes, dans le processus de ratification d’un texte, ont commis plusieurs entorses à la Loi fondamentale. En effet, que s’est-il passé ce 3 juillet dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ? Les députés ont adopté presqu’à l’unanimité un projet de loi qui n’a jamais été déposé par le gouvernement ou proposé par la commission parlementaire de la défense, de la sécurité et de la protection civile. Le projet de loi soumis par le Premier ministre à l’adoption des députés est intitulé « Traité de coopération en matière de défense, signé entre le gouvernement de la République du Mali et le gouvernement de la République Française. » Or, à l’analyse, ce document n’a jamais été signé par le gouvernement français. En effet, le texte signé par la France, représenté par son ministre de la défense Jean Yves Le Drian, et le Mali, représenté par son ministre de la défense et des anciens combattants, le colonel-major Bah N’Daou, est intitulé « Traité de coopération entre la République du Mali et la République Française. » Il n’est pas question de « en matière de défense ».
En somme, pour faire simple, le gouvernement a soumis à l’Assemblée nationale un projet de loi lui permettant de ratifier un Traité qui n’a jamais été signé par le Mali et la France, et l’Assemblée nationale a autorisé la ratification d’un projet de loi qui ne provient pas du gouvernement.
Donc, si l’on veut rester conforme au juridisme qui doit entourer la signature de tout accord, la présence de l’armée française au Mali est toujours illégale et contraire aux dispositions de la Constitution du Mali.
Légitimité
Toutefois, cette intervention est légitime et a été nécessaire à un moment où l’intégrité territoriale et l’existence même de la République étaient menacées par les mouvements jihado-terroristes qui avaient proliféré dans les régions du nord dont ils avaient pris le contrôle total. Il est vrai que, quoi qu’on dise, n’eut-été cette intervention illégale et inconstitutionnelle de la France, au vu de la loi malienne, le pays serait aujourd’hui sous le joug des forces obscurantistes. Mais les règles régissant les relations inter-états et le droit international doivent être respectées à tous égards pour avoir l’adhésion de toutes les populations, notamment en ce qui concerne un accord dont les objectifs sont d’« asseoir les bases d’une coopération en matière de défense afin de concourir à une paix et une sécurité durables sur les territoires des Etats parties, notamment par la sécurisation des espaces frontaliers et la lutte contre le terrorisme dans le respect de leurs engagements internationaux ; [de] concourir à la constitution de la force en attente, en associant en tant que de besoin, les contingents nationaux d’autres Etats africains à certaines activités, en concertation avec les organisations régionales ; [d’] associer en tant que de besoin que de besoin et selon des modalités à préciser dans des accords particuliers, l’Union Européenne et ses Etats membres aux activités prévues » par le traité du 16 juillet 2014.
Freelance
Mais malgré l’aide précieuse qu’apporte l’intervention française au Mali, avant d’élaborer un véritable traité respectant la Constitution malienne, les relations inter-états et le droit international, les autorités maliennes ne doivent pas perdre de vue que, dans le contexte actuel, il est impérieux d’y introduire des clauses relatives à l’uniformisation des modes opératoires des différents contingents et à leur mise sous le commandement d’un seul et unique état-major. Pour l’heure, malgré les recommandations de Jean Yves Le Drian lors de sa récente visite au Mali, d’une coopération étroite entre le dispositif Barkhane et la Minusma, la France joue en solo, en franc-tireur. Une stratégie qui commence à agacer sérieusement à certains niveaux. Des voix internationales s’élèvent déjà pour dénoncer « le jeu trouble » de la France dans le dossier malien. Nous y reviendrons.
Cheick TANDINA