On a coutume de dire et de répéter à satiété à qui veut bien l’entendre que le bateau du Maliba, notre cher pays, peut tanguer, mais ne chavirera jamais. Ces mots ne cessent de revenir comme par leitmotiv. Le sceptique ou le pessimiste que j’étais devenu, du fait des différentes tournures, souvent gravissimes, que prenaient les évènements du Nord du Mali et des positions tranchées de certains belligérants, avait finalement commencé à y croire lorsque, le 15 mai 2015, différentes parties au conflit acceptèrent de signer l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali en présence de hautes personnalités du monde qui avaient choisi d’en être les témoins.
Cette croyance dans la capacité de ce bateau à résister aux tempêtes ou aux cyclones les plus violents, aux vagues déferlantes d’une rare dangerosité, aux eaux les plus houleuses et même aux énormes icebergs qui se dressaient sur sa voie en bouchant l’horizon s’est davantage renforcée lorsque, le 20 juin 2015, le petit écran de la grosse boîte de Bozola me donnait l’occasion de voir ceux qui étaient jusqu’alors considérés comme des récalcitrants, en train de signer, à leur tour, cet accord dont le Mali avait tant besoin pour voir tous ses enfants embarqués, enfin, dans le bateau devant les conduire au port de la paix dont les géantes ancres d’acier piaffaient d’impatience à recevoir et à s’accrocher à ce gros engin de la paix pour le stabiliser à jamais en le mettant à l’abri des secousses. Ouf !!!
À l’instar du chef de l’État, S.E.M. Ibrahim Boubacar KEITA, je me permets de dire Alhamdoullilaye.
Que le Mali ait réussi cet autre pari ne doit point surprendre. Ce pays, contre toute attente, a réussi à gagner le pari des meilleures élections présidentielles et législatives dans le calme, la sérénité, la paix et la sécurité en 2013. Cerise sur le gâteau, le perdant, Soumaila Cissé, s’était déplacé au domicile de son « grand frère » IBK, avant la proclamation des résultats officiels de l’élection présidentielle, pour le féliciter, reconnaissant ainsi avoir perdu et, du coup, coupant court à toutes rumeurs ou velléités de contestation. C’est aussi cela le Mali.
Ainsi, les descendants de Soundjata Keita, de Firhoun et de Babemba viennent de donner une autre preuve éclatante au monde entier que malgré les difficultés connues et à connaître, ils recèlent toujours en eux une réserve considérable ou une source intarissable d’énergies, d’intelligences, de savoir-faire, de foi et de capacités de sacrifice devant leur permettre d’éviter le pire et d’avancer inexorablement en mettant en avant l’idée d’appartenance à une même grande nation dont les valeurs doivent être absolument défendues et sauvegardées et l’idée d’être un seul Peuple visant un seul But et animé d’une seule Foi.
En effet, nous sommes un grand peuple, détenteur de valeurs inestimables qui doivent nous servir de boussole, de guide ou de repère même face à des situations difficiles. Ces valeurs nous prédisposent naturellement au dialogue, aux discussions, aux concertations, à la vie en communauté, au ‘’siguikafo’, au ‘’jèkafo’’ et au pardon que nous ont légués nos aïeux et qui sont toujours enseignés au sein de nos foyers. Le ‘sinankuya’ et le ‘maaya’, renforcés par les valeurs religieuses de l’islam et du christianisme nous imposent de nous accepter mutuellement, de nous adresser la parole, d’être tolérants les uns envers les autres, de nous pardonner et de nous rencontrer pour discuter de nos problèmes en toute franchise et en toute convivialité.
Selon un proverbe africain : «Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ». Pour une bonne réconciliation, il faut permettre aux vérités de tout le monde de fusionner pour former une grande vérité nationale, car, comme l’a souligné Amadou Hampaté Bâ : «ce qu’il faudrait, c’est toujours concéder à son prochain qu’il a une parcelle de vérité et non pas de dire que toute vérité est à moi, à mon pays, à ma race, à ma religion ».
Nous sommes ce pays qui accepte d’abandonner sa souveraineté sur une partie ou sur l’ensemble de son territoire pour l’unité africaine. Nous sommes également ce peuple qui a enfanté Soundiata KEITA, combattant intrépide, conquérant, gestionnaire, organisateur politique, administratif et social hors pair, Kankou Moussa qui a émerveillé le monde entier lors de son déplacement vers la Mecque pour un pèlerinage, Aboubakary II qui a découvert l’Amérique avant Christophe Colomb, sans oublier de grands héros comme Askia Mohamed, Sonni Ali Ber, Firhoun, Babemba, Da Monzon, etc. Nous sommes les descendants de ceux qui ont créé la Charte de Kouroukan Fuga, qui a précédé de quelques centaines d’années la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et qui est considérée par beaucoup comme la première Constitution connue. Nous sommes aussi ce peuple qui a sauvé d’autres de l’occupation étrangère et de la tyrannie, qui apporte aujourd’hui le souffle humain et qui prouve, contrairement à toute allégation malveillante de profanes, que l’homme africain est suffisamment entré dans l’histoire.
Ainsi, en mettant un accent particulier sur la détermination et la capacité des Maliens à se battre pour l’atteinte des objectifs qu’ils se sont fixés, le président Modibo Keita, dans une allocution improvisée devant l’Assemblée Nationale, le 13 mai 1964, parlant de l’éclatement de la Fédération du Mali, martelait : «L’on devrait savoir que le peuple du Mali, toutes les fois qu’il est décidé à atteindre un objectif, bouscule en travers de sa voie tous les obstacles, et va même plus loin que l’objectif fixé ».
Et comme pour renforcer cela, le fils de Daba Keita ajoutait : « Nous sommes riches, en ce sens que nous sommes un peuple sans complexe. Dès l’instant qu’un peuple est sans complexe, il est assuré de pouvoir surmonter ses faiblesses, quelles qu’elles soient ; nos faiblesses en République du Mali, nous saurons les surmonter ».
Nous savons que tous les grands pays sont appelés, à un moment ou à un autre de leur existence, à faire face à des crises majeures se présentant comme une sorte de passage obligé dans leur course vers le sommet de la grandeur. Le Maliba, grand par son histoire et par sa géographie, ne saurait être une exception à cette règle. Jamais la case nationale n’avait auparavant été confrontée à des feux aussi dévastateurs menaçant de la consumer et à des déluges ou des rafales aussi violentes cherchant à l’emporter.
Maintenant que les feux se sont éteints, que la tempête s’est calmée, que les houles se sont apaisées et que les terribles secousses ont cessé, nous devons nous retrouver pour colmater les brèches, redresser les parties tordues, recoller les morceaux, réparer les fissures, boucher les trous, remplacer les tôles rouillées, cassées ou manquantes, redresser les portes et les mettre en état de nous fermer à nouveau. Bref, il s’agira de remettre en état de bonne marche ce beau bateau dont on a sérieusement perturbé le calme par l’usage abusif et injustifiable de la violence inutile et absurde depuis le début de l’année 2012.
En tirant des leçons de cette situation de crise, nous devons réaffirmer notre adhésion totale à la laïcité, gage d’une unité nationale et d’une cohésion sociale dont nous avons plus que jamais besoin, réaffirmer notre soutien total et sans faille à nos frères et sœurs du Nord en veillant à ce que la fracture ou la crise de confiance entre les enfants du Mali, où qu’ils soient, puisse se dissiper à jamais, réfléchir à la manière de redonner un nouvel espoir et de l’espérance à ces populations qui subissent les affres de la rébellion armée depuis plus de 50 ans, en faisant «réoccuper» ce vaste espace par l’administration, par les forces armées et par divers projets de développement bien gérés, en y renforçant surtout les moyens d’action de l’armée nationale et en recréant en ceux qui semblent l’avoir perdu le grand amour pour le Mali dont nous n’avons pas le droit de désespérer. Pour cela, l’État devra également beaucoup investir dans la lutte contre la pauvreté pour empêcher l’instrumentalisation des pauvres et des jeunes désœuvrés par des groupes intégristes, mafieux et criminels. Toutes choses devant nous permettre de ne plus jamais retomber dans des erreurs susceptibles de nous conduire à nouveau vers une crise similaire à celle que nous venons de vivre.
Aujourd’hui, le Mali a besoin de tous ses enfants, de toutes les forces vives du pays, et en particulier les acteurs politiques qui sont plus que jamais interpellés afin qu’ils marquent l’histoire de leur pays par des sursauts et des actes hautement patriotiques en ayant constamment à l’esprit ces mots prononcés par le 35e président des États-Unis d’Amérique, John F. Kennedy, appelant ses compatriotes à un sursaut patriotique en 1961 dans le discours inaugural qui a suivi sa victoire sur le candidat républicain Richard Nixon : «Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays». Cela nous commande de nous défaire absolument de nos habits aux couleurs de la vieille mentalité pour porter, enfin, des vêtements tout neufs qui s’accommodent des exigences du nouveau Mali, car le chantier de ce que nous pouvons faire pour notre pays est très vaste.
Cela exige également de chacun d’entre nous de s’investir du mieux qu’il peut pour assurer à cette nation le bien-être auquel elle a droit, car en dehors du Mali, il ne nous reste plus rien d’autre. Nous devons garder notre fibre patriotique constamment ravivée en restant unis, en serrant les coudes et en faisant bloc de façon unanime, au seul nom du Mali, indépendamment de nos différents bords politiques, derrière le président IBK, que nous avons choisi par un vote massif, en taisant nos rancœurs, nos ressentiments, nos malentendus et nos colères, car, au-delà du président, c’est le Mali qui est visé.
La devise : Un Peuple–Un But–Une Foi nous commande d’y croire, le drapeau : Vert-Jaune-Rouge nous y oblige, et notre bel Hymne national nous y convie, lui qui nous invite au « courage et au dévouement », car « la voie est dure, très dure, qui mène au bonheur commun et ce bonheur ne viendra que par le labeur qui fera le Mali de demain ». Et enfin le beau Chant National des Pionniers du Mali nous y pousse également en nous exhortant à « la bataille de l’avenir pour le Mali et pour l’Afrique que nous saurons gagner, même s’il faut notre sang ».
En effet, face à l’ennemi commun qui menace de la briser, la jarre du Mali a besoin des mains de tous les Maliens, sans exception, pour la soutenir dans un puissant élan d’union, de cohésion, de solidarité et d’amour pour la patrie, car c’est seulement unis que nous pourrons résister.
Nous devons, pour cela, rester fidèles aux grandes valeurs du vivre ensemble, ciment de notre société, qui nous ont jusque-là guidés, comme la ‘’diatiguiya’’ (hospitalité), le ‘’sinankuya’’ (cousinage à plaisanterie), le ‘’maaya’’ (fraternité, convivialité, respect pour l’autre, amour du prochain, vivre ensemble, acceptation de l’autre malgré la différence, etc), le siguikafo ou le djekafo (la discussion, le dialogue, l’écoute de l’autre, ) le ‘dambe’, le ‘horonya’ (dignité, liberté), etc
Ce sont des facteurs de rassemblement, de brassage, de paix et de stabilité, des valeurs de solidarité, de fraternité, de tolérance, de pardon, de réconciliation, de convivialité et de vivre ensemble ou en communauté, source de confiance mutuelle, d’unité et de cohésion sociale qui font notre ciment national. Ce ciment a pu résister aux coups les plus durs de la grande crise qui vient de nous frapper, car il a pu créer ou renforcer en nous une source intarissable d’énergies, d’intelligence, de savoir-faire, de foi, de capacité de sacrifice et d’amour pour le Mali. Et comme le dit souvent le président IBK, il n’est pas de groupe ici qui n’ait son correspondant de l’autre côté, car il s’agit d’un seul et même peuple.
Je reste convaincu que le Maliba se relèvera comme un lion pour rugir à nouveau, protégé par une armée forte, unie, républicaine et engagée, car, comme l’a dit le président Kabila de la RDC : «Un échec dans l’existence d’une nation n’est pas une fatalité. Le plus important est de se ressaisir».
Le grand arbre se redressera bientôt et ne permettra plus qu’on profite d’un petit moment de faiblesse ou d’affaissement pour lui monter sur les branches. Il se sera bel et bien requinqué et ne sombrera plus jamais dans la fange humiliante d’une autre crise majeure, car les leçons tirées de cette crise serviront de puissant tremplin pour pouvoir propulser le Mali vers le sommet de la grandeur.
Nous devons vivre avec l’espoir de parvenir à cela le plus vite possible tout en gardant le Mali dans nos cœurs. A cet égard, le général De Gaulle, s’adressant à ses compatriotes vivant sous occupation allemande, disait ceci : ‘’la fin de l’espoir est le commencement de la mort’’.
La crise que nous venons de traverser doit nous convaincre davantage de la nécessité de tout mettre en œuvre pour préserver le Mali, faire preuve de patriotisme, protéger nos valeurs essentielles et veiller à ce que le gagnant soit LE MALI D’ABORD. Ainsi, tout doit être mis en œuvre pour qu’IBK, aux commandes du bateau, ne puisse pas échouer.
Après une longue période d’instabilité, de terreur, d’humiliation, d’attaques meurtrières et d’exactions perpétrées par le roi-sorcier du Sosso, Soumaoro Kanté, le Mandé fut stabilisé, réunifié et reconstruit par un grand visionnaire, un certain Soundiata KEITA. Ce dernier donna un nouveau souffle à l’économie, réunifia l’armée, l’organisa et la renforça pour en faire une puissance redoutable. Cette époque fut considérée comme celle de la gloire, du retour de la paix, de la prospérité, de la liberté, de la fierté et de la dignité.
Rassembleur, réunificateur, réconciliateur, organisateur et bosseur hors pair, Soundiata KEITA, connu également pour sa sagesse, son sens de la rigueur et de la fermeté dans la gestion des affaires publiques, de l’équité, de la justice, de la tolérance, de la morale et de l’éthique, a pu conduire le Mandé vers le sommet de l’honneur et de la gloire. Et la Charte de Kouroukan Fuga était là, comme la grosse cerise sur le gâteau, pour prôner la solidarité, la fraternité, l’amour du prochain, le travail bien fait, le sens de l’hospitalité, le droit à la vie, les principes d’égalité, de non-discrimination, de protection de la personne humaine, d’entraide, d’humilité, de respect mutuel, de respect de la chose publique, de la patrie, de la liberté, de la justice, de l’équité, des droits et devoirs, de la préservation de l’intérêt général, etc.
Et quelques siècles plus tard, le Mali (ex-Soudan) sortait d’une longue période d’occupation coloniale française où il connût des privations de liberté et même des exactions, de la maltraitance et de l’humiliation. Ce fut un certain Modibo KEITA qui prit les rênes du nouvel État pour guider ses premiers pas dans la période postindépendance. Cet homme qui brillait surtout par son patriotisme, son incontestable amour pour le Mali et sa rigueur au travail et dans la gestion du bien public, symbolisait toute la fierté et la dignité maliennes. Comme son ancêtre Soundiata KEITA, il était soucieux du rayonnement et du bien-être social et économique de son pays. Il fit du Mali un pays respectable et respecté, fort et davantage attaché à ses valeurs de dignité, de fierté et de liberté. Il réussit à mettre la jeune République du Mali sur les rails du développement en posant des actes dont les traces sont encore visibles aujourd’hui à travers un certain nombre d’ouvrages notamment des routes, des immeubles, des sociétés et entreprises d’État, etc.
Aujourd’hui, une nouvelle ère s’ouvre après la signature de l’Accord pour la Réconciliation et la Paix au Mali par tous les fils du pays et nous comptons sur le Kankeletigui, un autre Keita, pour emboîter le pas à ses illustres prédécesseurs du Mandé et de la République du Mali. La tâche est immense, mais n’est nullement au-delà des possibilités du grand homme d’État malien qui, se sachant soumis à une obligation de résultat par le peuple qui l’a massivement élu, y parviendra In Chah Allah, par la mise en œuvre de politiques volontaristes visant à insuffler une nouvelle dynamique porteuse de bonne gouvernance, de paix, de développement durable, de croissance économique, de respect des règles de la démocratie, de réduction de la pauvreté ou de résolution des problèmes qui se posent actuellement aux Maliens en ce qui concerne l’énergie, l’eau, l’éducation, la santé, la sécurité alimentaire, le logement, les affaires foncières, les inégalités sociales, le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, l’insécurité, l’injustice, etc.
Le Mali devra également compter sur tous les amis qui veulent bien le soutenir dans le strict respect de sa souveraineté. Comme l’avait d’ailleurs souligné le père de l’indépendance du Mali indépendant, le 20 janvier 1961, dans un discours prononcé à l’Assemblée nationale, en ces termes :
‘’dans le cadre de notre souveraineté retrouvée, conscients de notre sous- développement, mais soucieux du respect de notre dignité, nous entendons accepter toutes offres de coopération et d’assistance conformes à nos besoins et à nos objectifs, mais rejeter catégoriquement tout paternalisme ou proposition tendant à aliéner, sous quelque forme que ce soit, notre indépendance’’.
Pour un Mali de paix et d’espoir, d’unité et de fraternité, de tolérance et de réconciliation
Dramane Dembélé dit Dramous, Bamako