Personne n’aime aller chez le médecin, surtout pas un chef d’Etat. Pour celui-ci, la seule nouvelle d’une visite chez tel ou tel spécialiste en sciences médicales peut sonner le glas de sa carrière politique. Il n’est donc pas étonnant que l’état de santé d’un chef de l’Etat soit, dans de nombreux pays, le secret le mieux gardé. Les exemples abondent. La semaine qui vient de s’écouler, Bamako aussi a eu son lot de folles rumeurs … dont Dieu doit préserver le Mali en sortie de crise !
Sur les réseaux sociaux et au sein de l’opinion, les prières étaient ferventes pour qu’à Dieu ne plaise ce que colportaient ces rumeurs concernant le locataire de Koulouba. Même si l’on n’applaudit pas sa gouvernance, il serait cruel et cynique de ne pas souhaiter à IBK la santé nécessaire pour exécuter sa haute mission à la tête d’un pays encore convalescent. Colporter donc des supputations sur un sinistre scénario au point d’imaginer un rôle à l’actuel président de l’Assemblée nationale (décrié pour ses limites à la tête de l’Hémicycle) à la tête du Mali est inique. Heureusement que ces rumeurs n’ont eu que le mérite de… distraire. Maladroitement. Ce qui n’a pas été le cas ailleurs.
Si les récents efforts de transparence de la présidence ivoirienne au sujet de soucis de santé d’Alassane Ouattara, – même partiels – ont été salués, c’est qu’ils sont déjà exceptionnels sur un continent où les supputations sont reines et où nos capitales bruissent souvent des rumeurs les plus insistantes sur la santé de ceux qui dirigent le pays. Si un médecin assermenté a pu officiellement qualifier de » mort naturelle « l’assassinat de Thomas Sankara du Burkina Faso, pourquoi ne présenterait-il pas un cancer de l’œsophage comme une luxation du poignet ?
Ce qui est sûr, c’est qu’un président ne veut jamais donner le signe d’une quelconque détérioration de ses aptitudes physiques ou mentales. Ce qui suppose que son entourage rivalisera d’ardeur pour dissimuler ou maquiller, le cas échéant, son… déclin physique.
Royaume du secret médical
Dans le pays d’Alassane Ouattara, justement, le « vieux » Félix Houphouët-Boigny était alors passé maître dans l’art de couvrir d’un voile pudique son passage inéluctable de vie à trépas. Conséquence de cette culture de la manipulation : les Ghanéens se posèrent mille questions au décès inopiné de leur président, John Atta Mills. » Au royaume du secret médical, gratter son oreille devient suspect… « , disent les spécialistes de la question.
Il faut noter toutefois que le mutisme des présidences sur la santé des dirigeants n’est pas l’apanage de l’Afrique. C’est au pouvoir que le Français Georges Pompidou mourut, perclus de septicémie, quand on le disait souffrir de simples rhumes et d’hémorroïdes anodines. Et l’Afrique, comme l’Europe, est passée au XXI e siècle. 15 ans après la condamnation du journaliste Pius Njawé, qui s’était interrogé sur le fonctionnement du cœur de Paul Biya, les peuples ne sont plus dupes. Leurs sources d’information et leurs outils de communication étant fulgurants, les cabinets présidentiels tentent désormais de céder des bribes d’informations crédibles. Et comme les mots, même en jargon médical, sont sujets à cautions, les images deviennent prioritaires. Faire bonne figure doit censément calmer les affabulations des citoyens. Quoique…
En 2013, dès que le président algérien Abdelaziz Bouteflika a été présentable -quelques mois, tout de même, après son accident vasculaire cérébral- un maladroit montage audiovisuel essayait de montrer un président très actif. Mais la robe de chambre est-elle la tenue adéquate pour donner l’impression qu’on gère une nation ? Et le mouvement artificiellement répété d’un bras fait-il oublier la parésie de l’autre ?
Si la santé de l’Homme est le silence des organes, la santé des présidents est l’invisibilité des symptômes. Heureux le chef d’État qui échappe à la paralysie faciale pour n’avoir qu’une colopathie ou une verrue plantaire. L’orage médical passé, comme un gage de transparence, il pourra annoncer son trouble bénin, comme Denis Sassou-Nguesso et son hernie discale en 2006. Humanisé, il pourra en faire une source de plaisanterie, comme Blaise Compaoré, en 2009, annonçant que son opération de l’œil lui permettrait de mieux voir les journalistes. Idem pour Faure Gnassingbé du Togo qui, après avoir disparu des écrans radars et donné pour avoir subi une opération chirurgicale dont il ne se serait pas remis, a réapparu avec le sourire et une pique à ses opposants : » Je suis désolé pour ceux qui sont déçus ! «
Des dirigeants sains en apparence
Le plus veinard reste le Gambien Yaya Jammeh, qui prétend être capable de soigner lui-même des maladies toujours incurables en Occident. Il ne devrait rien lui arriver de fâcheux. Médicalement parlant…
Toutefois, en 2012, l’on a vu quatre présidents africains mourir dans leurs fonctions – en Ethiopie, au Ghana, en Guinée-Bissau et au Malawi – chacun d’entre eux ayant subi un traitement à l’étranger et ayant fait tout leur possible pour que leur état de santé demeure totalement secret avant leur mort. Si ces chefs d’Etat décédés avaient des âges variés, de 57 ans à 78 ans, des études approfondies démontrent que les dirigeants et particulièrement dans les régimes non-démocratiques, dépassent de très loin l’espérance de vie médiane de leurs concitoyens.
Pour les dirigeants, il existe également une difficulté particulière entre le maintien d’une bonne santé et la révélation aux proches -ou au bas peuple- que tout ne va pas forcément bien. Cette difficulté, singulièrement dans les systèmes autocratiques, est qu’un traitement médical ne peut être entrepris qu’au risque de perdre le pouvoir -un risque qui n’est valable qu’in-extremis. Après tout, même les soutiens les plus loyaux du régime -y compris les membres de la famille- ne demeurent loyaux qu’à la condition que le chef puisse continuer de leur attribuer certains pouvoirs et des subsides conséquents. Des collaborateurs du chef commencent à placer leurs pions pour mieux se positionner par rapport à la succession qui se dessine… Opportunistes et thuriféraires du pouvoir fourbissent malencontreusement leurs armes. Ce qui constitue des ingrédients de déstabilisation du pays.
Quand la dure réalité se fait jour, les cercles rapprochés commencent lentement mais sûrement à se détourner et à chercher à s’attirer les bonnes grâces d’un éventuel successeur. Il ne faut donc pas s’étonner de voir, lorsque des soins intensifs sont nécessaires, des chefs d’Etat comme Mugabe ou feu Meles Zenawi d’Ethiopie se rendre dans les hôpitaux à l’étranger, généralement dans un pays respectant scrupuleusement les droits et privilèges de leurs patients.
Des médecins locaux indiscrets
Au pays, les médecins sont des gens dangereux -ils peuvent parler à leurs proches et répandre ainsi la nouvelle que le chef est très malade, précipitant ainsi la déchéance politique, sinon physique, du patient. Tout chef digne de ce nom doit maintenir une maladie fatale aussi secrète que possible. Une maladie en stade terminal ou un trop grand âge -sans doute la plus terminale des maladies, quand on y pense- sont des indices clairs que l’on ne pourra plus longtemps compter sur le grand timonier bien aimé. La conséquence: salut le vieux, bonjour le remplaçant!
La politique, particulièrement dans les régimes autoritaires, implique une grande symbiose entre le chef et ses soutiens. En échange du pouvoir, des avantages, des bénéfices et des privilèges qu’il leur accorde, les partisans du chef le soutiennent face à ses rivaux et, si nécessaire, répriment le peuple, s’en prennent violemment aux opposants réels ou supposés et mènent une vie impossible à tous sauf aux heureux élus (non élus). Ces missions peuvent être très déplaisantes, ce qui explique qu’un chef rétribue largement ses partisans, et que la corruption et les magouilles sont monnaie courante dans les régimes autoritaires
Les chefs d’Etat, parfaitement au courant des risques immédiats qu’ils encourent dès que la rumeur de leur maladie enfle, se comportent de manière très différente face à une telle crise. Théoriquement, ils pourraient profiter de leur maladie pour tenter d’améliorer la situation de leurs concitoyens et préparer la transition démocratique comme un héritage, mais on est, hélas, bien incapable de trouver un seul exemple de ce genre.
Bruno D SEGBEDJI