La méfiance des Etats africains vis-à-vis de la Cour Pénale Internationale (CPI) s'explique par son éloignement et le fait qu'elle ne juge que des Africains, ont estimé tenu des experts participant, lundi et mardi à Dakar, à une conférence internationale sur le thème "Souveraineté des Etats et justice pénale internationale".
Selon le Premier président de la Cour d'appel de Dakar, Demba Kandji, "il y a une défiance des Africains vis-à-vis de la CPI parce que c'est une justice inaccessible qui se rend à la Haye où il est difficile de se rendre pour assister son parent jugé".
"Le procès en Afrique noire est un rite de discussions, c'est culturel. L'Africain, qui est en conflit avec la loi, est un individu qui appartient à un groupe qui veut lui apporter son soutien", a-t-il argumenté.
"La Cour devrait peut-être apprivoiser la peur des Africains en déplaçant les audiences dans le continent quand la procédure le permet", a-t-il estimé.
Parlant de la complémentarité entre la justice pénale internationale et les systèmes judiciaires nationaux, M. Kandji a expliqué que "dans le contexte africain, cette complémentarité pose beaucoup de difficultés" parce que "dans la région subsaharienne, aucun système judiciaire ne semble capable de juger de façon équitable et juste d'autant qu'on donne peu de place aux victimes".
"Nos gouvernants doivent permettre à la justice de se doter des moyens suffisants pour accomplir sa mission, avec un personnel judiciaire formé adéquatement et continuellement", a-t-il conclu.
De son côté, le ministre sénégalais de la Justice et président de l'Assemblée des Etats parties au Statut de Rome, Sidiki Kaba, a estimé que "s'il y a une perception négative de la CPI en Afrique c'est parce qu'on reproche à la Cour de faire du deux poids deux mesures".
"Une justice sélective risque d'affecter la crédibilité et la légitimité de la Cour", a-t-il soutenu.
"Les récriminations étant persistantes en Afrique, il faut réconcilier l'Afrique avec la CPI", a-t-il proposé avant de souligner que "la CPI n'a pas été créée pour juger une partie du monde".
"La lutte contre l'impunité est un combat partagé par l'Union africaine et l'Afrique est la région qui compte le plus d'Etats ayant ratifié la Traité de Rome, c'est-à-dire 34 pays", a-t-il rappelé.
Aussi, a-t-il relevé, "toutes les affaires concernant l'Afrique et présentées devant la CPI sont portées par des Etats africains sauf le cas d'Omar El Béchir porté par le Conseil de sécurité des Nations Unies puisque le Soudan n'est pas signataire du Traité de Rome".
Le Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, a pour sa part fait savoir que "les efforts pour renforcer le dialogue avec toutes les régions du monde seront poursuivis et une attention particulière sera portée sur l'Afrique parce que les situations qui sont actuellement devant la Cour concernent le continent".
"Il est important de lever les incompréhensions sur la Cour et sur son travail. Beaucoup d'efforts sont faits pour la normalisation des relations entre la Cour et l'Afrique", a-t-elle soutenu.
"La Cour doit en permanence se prémunir du risque de politisation afin de continuer de s'acquitter de sa mission en toute impartialité et en toute indépendance, sans crainte ni favoritisme", a-t-elle estimé.
"Les Etats africains ont joué un rôle extraordinaire dans l'établissement de la Cour. Ils ont reconnu son importance dans la lutte contre l'impunité parce qu'elle rend une justice aux victimes d'atrocités de masse en Afrique", a-t-elle conclu
Depuis sa création par le Statut de Rome, traité international entré en vigueur le 1er juillet 2002, la CPI n'a détenu que des Africains. Les neuf enquêtes menées par le Bureau du Procureur ne sont menées qu'en Afrique également. Toutefois, le Bureau mène des examens préliminaires sur les situations en Afghanistan, en Colombie, en Géorgie, au Honduras, en Irak, en Palestine et en Ukraine.
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