La semaine qui a précédé la fête de l’Aïd El Fitr, les rumeurs les plus folles sur la santé du Président Ibrahim Boubacar Kéïta, ont fait, comme une traînée de poudre, le tour de Bamako, voire du Mali. Des oiseaux de mauvaise augure étaient même allés jusqu’à annoncer la mort du Président de la République.
Devant un tel scénario-catastrophe, les ennemis du Mali – intérieurs comme extérieurs – avaient déjà allumé un feu de joie pour danser tout autour. Les craintes ne s’estomperont qu’à l’arrivée d’IBK de Turquie, où il avait certainement fait un voyage médical, lorsque les téléspectateurs de l’ORTM ont vu le Président de la République descendre d’un pas, certes lourd, mais déterminé, de l’avion. Bien vivant.
Des craintes qui seront définitivement dissipées avec la sortie du Président à l’occasion de sa rencontre avec les représentants de la société civile (leaders religieux et représentants des familles fondatrices de Bamako, notamment) à l’occasion de la cérémonie des vœux de la fête de Ramadan.
Une rencontre que le Chef de l’Etat a mise à profit pour faire des mises en garde contre le manque de loyauté de certains de ses collaborateurs à l’égard la République et, pourquoi pas, la perfidie de certains cadres, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, vis-à-vis de la patrie-mère. C’est selon les interprétations.
Lors de cette sortie, le Chef de l’Etat avait l’air quelque peu affaibli, mais son état de santé n’avait rien d’alarmant, contrairement à ce que faisaient croire les rumeurs. Toujours est-il que, après cet épisode, il y a de quoi faire des prières pour la bonne santé du Président de la République. D’abord, sur un plan purement humain, pour IBK lui-même. Personne ne doit se réjouir de la mort d’un semblable, quelles que soient les divergences politiques, car, tôt ou tard, tout le monde finira par y passer.
Mais surtout pour la stabilité du Mali. Certes, le pays revient de très loin. Elle est loin la période où les deux tiers du pays étaient occupés par les narcojihadistes, qui y faisaient régner leur loi d’une autre époque sous le paravent de la religion musulmane. Loin aussi le temps où le sud était lui aussi en proie à toutes sortes de menaces, amenant le pays au bord de la guerre civile, situation qui a culminé avec les affrontements entre bérets verts et bérets rouges.
Loin également l’état d’urgence. Loin enfin l’époque où l’avenir immédiat du Mali s’écrivait en pointillé, et où l’on se couchait chaque jour en se demandant de quoi demain serait-il fait. Ailleurs, comme en Somalie, on a vu des nations s’en aller en lambeaux pour moins que ça.
Mais les progrès enregistrés sont encore précaires, et la stabilité acquise, fragile. Dans des eaux très agitées, à l’image de l’environnement géopolitique international, des crocodiles à la paupière glauque liment des dents acérées et gloutonnes, en attendant l’instant décisif. Faisons tout pour ne pas tomber dans de pareilles eaux.
Il urge de sauver le soldat IBK. C’est du sort de 17 millions de Maliennes et de Maliens qu’il s’agit, et non de sa seule personne. Sauver IBK, c’est l’aider à parachever la reconstruction d’un Etat fort. C’est l’aider à vaincre l’Hydre de la corruption, à gagner, en somme, la bataille contre les «mercenaires du statu quo». C’est l’aider à assainir l’administration, une administration gangrenée par la prévarication et la concussion, la bureaucratie, le népotisme, l’affairisme et beaucoup d’autres ismes. En instaurant en son sein des pratiques vertueuses, on aiderait certainement IBK à recouvrer la santé et à retrouver son punch d’antan, car certaines maladies sont psychosomatiques.
En Algérie voisine, il n’est un secret pour personne, que le Président Bouteflika a depuis belle lurette une santé plutôt chancelante. Mais l’Algérie a l’avantage d’avoir un Etat fort. Ce qui est, hélas, loin d’être le cas du Mali. Il est vrai que nul n’est indispensable et que, comme dit la boutade, les cimetières sont pleins d’hommes indispensables ou qui se croyaient tels. Mais une disparition prématurée d’IBK, dans le contexte actuel, qu’à ne Dieu ne plaise, serait lourde de conséquences pour le Mali et ses 17 millions de citoyens, voire pour toute la sous-région.
Certains pourraient trouver une analogie entre le titre de notre article et celui du film de guerre du célèbre Steven Spielberg, «Il sauver le soldat Ryan» (Saving Private Ryan), sorti en 1998 et qui a valu à son auteur, entre autres distinctions, l’Oscar du meilleur réalisateur. En effet, on peut curieusement relever la même charge dramatique avec le sort du soldat James Francis Ryan, de la 101ème division aéroportée américaine. Dernier d’une fratrie de quatre frères, dont trois sont tous morts au combat lors du débarquement de Normandie, il est parachuté sur le Cotentin, en plein territoire ennemi, et on est sans nouvelle de lui.
Trois lettres annonçant la mort de ses frères parviennent le même jour à leur pauvre mère. Informé de ces évènements, le chef d’État-major des États-Unis, le Général Georges C. Marshall, basé à Washington, décide de monter une expédition de sauvetage. La mission du Capitaine Miller et de son unité est de retrouver Ryan, et, s’il est encore en vie, de le ramener sain et sauf chez lui.
Le Mali est un pays martyr, victime d’un complot international, avec la complicité de certains de ses fils qui s’étaient alliés à l’internationale du crime organisé, un complot qui lui a fait goûter toutes les affres du monde, et qui se voit infliger une nouvelle épreuve.
IBK a, certes, ses péché mignons, ses détracteurs le dépeignant comme budgétivore et aimant le décorum, mais on peut l’accuser de tout sauf d’apatridie ou, pour éviter toute confusion, de manque de patriotisme ou d’ambition pour redonner au Mali sa gloire d’antan. Les malédictions d’outre-tombe de Soundjata Kéïta le poursuivraient pour incurie à l’égard du pays de ses ancêtres si le contraire était avéré.
Pour l’amour de l’orpheline d’Abaradjou (Tombouctou), de la veuve de Sossokoïra (Gao), du vieillard grabataire de Niéna (Sikasso), du paysan de Djidiéni (cercle de Kolokani) ou du pauvre pêcheur Bozo de Mopti, que Dieu, le Tout-Puissant, dans son infinie bonté, fasse qu’IBK recouvre promptement la santé. Amen!
Yaya Sidibé