Difficile de se réveiller les matins de ramadan. Difficile aussi de résister à l’attraction de ma «Tour» de réflexion sur les hauteurs de Lassa. Surtout qu’en cet hivernage, l’espace est véritablement un asile sûr pour fuir la ville et ses problèmes.
Un confrère à la UNE : Moussa Bolly
Moussa Bolly
La fraîcheur aidant, c’est l’endroit idéal pour méditer, égrener son chapelet et implorer le Tout Puissant pour un bon hivernage et surtout pour qu’il soulage nous les pauvres, qui ne voient même plus la queue du diable pour la tirer.
Alors que le mois béni du ramadan est celui où les charges sont insupportables parce que les prix prennent l’ascenseur. Les consommateurs sont alors plus que jamais, comme le dit un adage de chez nous, les «chèvres» qui assaisonnent la sauce des sangsues et des vautours, pardon des hommes d’affaires et autres commerçants grossistes ou détaillants.
Sans compter que les écritures saintes disent que jeûner, ce n’est pas seulement s’abstenir de manger ou de boire ou de rapports charnels. Mais, que la bouche, les yeux, les oreilles, les pieds… Bref tout le corps doit jeûner ! Autant dire de la mer à boire dans une ville où le vice et la débauche se propagent à ciel ouvert ! Alors la Tour devient vite un refuge spirituel pour se rapprocher du Seigneur et implorer sa grâce.
Perdu dans nos pensées, nous ne pouvions nous empêcher de nous remémorer d’une chanson entendue la veille sur l’Ortm:
«AnMalidenw, ankadjanto Mali»! «Oh Maliens, prenons bien soin de notre pays, de notre patrie» ! Telle est la chanson patriotique de la regrettée MokontaféSacko que nous entendons fréquemment ces derniers temps à la télévision nationale pour sonner l’éveil citoyen indispensable pour définitivement tourner la page de la crise actuelle.
Un chant inspiré par les pères de l’indépendance pour accompagner et assumer notre souveraineté nationale. Cette chanson nous fait sourire avec beaucoup d’amertume. Parce que nous nous demandons encore que nous reste-t-il encore de l’héritage patriotique des Modibo Kéita, Mamadou Konaté, HamadounDicko, FilyDabo Sissoko, Aoua Kéita… dans un pays où des hommes et des femmes ont perdu leurs convictions et toutes leurs valeurs socioculturelles pour des postes juteux, pour de l’argent et la réussite sociale forcée ?
Pour devenir riche, le Malien est prêt à tout renier aujourd’hui. Peut-on attendre de quelqu’un qui brade son honneur et sa dignité sans le moindre égard pour la patrie ou le bien public ?
Postes juteux-Fortunes mal acquises-Bamboula ont remplacé dans nos convictions et dans notre cœur notre chère devise : Un Peuple-Un But-Une fois ! C’est pourquoi le Mali est aujourd’hui comme ce légendaire tronc de caïlcédrat sur lequel les cabris gambadent parce qu’il s’est couché !
Maliens, nous ne le sommes désormais que de noms parce que n’avons rien en commun avec ces braves soudanais qui ont posé les premières pierres du Mali indépendant, de notre souveraineté nationale en nous libérant du joug colonial.
«Je déplore qu’au moment où les mosquées et les lieux de prières improvisés pullulent partout au Mali, la corruption, l’indiscipline, l’incivisme, la débauche…deviennent monnaie courante. Des fléaux qui n’avaient jamais eu une telle ampleur dans notre pays. Je n’accuse pas l’islam, je m’interroge tout simplement», constate récemment Fousseyni Camara, un intellectuel de la Diaspora dépité par la décadence des valeurs fondamentales de la société malienne.
«Enfant nous mettions un point d’honneur à apporter au chef du village les pièces de monnaie que nous trouvions par terre dans la rue et qui se chargeait de retrouver la personne qui les avaient perdues. Très peu de personnes les remettraient aujourd’hui, même s’ils en ramasseraient en se rendant à la mosquée», s’inquiète M. Camara dont la réaction vise les comportements individuels des citoyens et non l’islam.
Nous pratiquons aujourd’hui la religion sans la foi requise ! Comme nous faisons de la politique et «servons» l’Etat ou d’autres employeurs sans aucune conviction. De nos jours, il nous manque cette «attitude citoyenne vertueuse» qui était l’un des principaux caractéristiques du Soudanais d’antan, du Malien de l’indépendance.
Sonner la prise de conscience collective
Avec la crise que nous traversons depuis 2012 et qui a ébranlé le pays jusque dans ses fondations républicaines, il est plus que jamais temps que chacun de nous prenne conscience du péril qui menace notre patrie, donc chaque Malien.
D’où la nécessité d’une prise de conscience générale. Un exercice utopique dans un pays où presque tous ceux qui se réclament leaders politiques ont en commun leur manque de vision pour cette patrie ! Ils n’inspirent pas la confiance de leur prétention.
Certes, on l’a beaucoup dit et redit, c’est l’éducation qui nous offre sans doute la seule porte de sortie de l’obscur tunnel dans lequel le coup d’Etat du 19 novembre 1968 a engouffré le pays. Il est aussi vrai que depuis l’avènement de la démocratie, l’Ecole est devenue un terrain de confrontation politique entre majorité et opposition qui cherchent à manipuler les leaders de l’Aeem.
N’empêche qu’il est plus que jamais temps de revenir à nos valeurs traditionnelles d’éducation en repensant notre système éducatif. Ceux qui trouvent leur compte dans le presque chaos actuel ne voudront jamais de ce retour à nos valeurs. Mais, comme le reconnaissait un doyen dans un débat sur la question, c’est pourtant la voie du salut pour notre pays.
Comment ? Nous n’avons pas la prétention de vouloir proposer une solution miracle. Nous devons tous y réfléchir, surtout le gouvernement et la société civile. Mais, nous ferions un pas décisif dans ce sens si nous pouvions redevenir ces parents qui vont marteler à leurs enfants : ne volez pas, soyez respectueux et ne baissez jamais les bras devant un obstacle. Et, à la maison, éduquons-les en restant à cheval sur ces valeurs.
Nous devons prendre conscience que si nous ne tournons pas le dos à ces pratiques (détournement du bien public, corruption, falsification des diplômes, achat des notes et des diplômes…) qui hypothèquent notre développement, nous ne pourrons que retarder l’échéance du chaos qui menace notre pays ! Le Projet Malibah est une utopie alors que nous ne parvenons même pas à préserver l’essentiel.
Comme cet intervenant dans un débat sur un Forum virtuel, nous sommes convaincus que la prise de conscience mènera à la solution grâce à «une palette de fondamentaux sans lesquels on ne peut jamais se développer», et nos «inspirations doivent être sociétales et culturelles».
Ce n’est un secret pour personne que des peuples d’Asie (Chine, Japon, Malaisie, Corée du Sud…) ont essentiellement puisé dans leurs valeurs sociétales et culturelles pour avancer et rivaliser aujourd’hui avec l’occident en termes de modernisation, de développement, etc. !
Pourquoi alors ne pas surmonter nos complexes pour revenir à nos valeurs essentielles et prendre un nouveau départ de «façon concertée et durable» ?
Un pas dans l’histoire avant les colons
La colonisation ne nous a pas tirés du néant. Pensons à l’organisation sociopolitique, économique, culturelle même militaire des royaumes du Sosso, du Macina ou du Kénédougou ; des empires du Ghana, Manding, Songhay…
L’Afrique, le Mali particulièrement, est entrée dans l’histoire avant les colons venus nous coloniser à coup de fusils et de canons. Le lavage de cerveau nous a amenés à jeter le bébé avec l’eau du bain.
Le complexe culturel nous a éloignés de nos racines et civilisations, du socle de cette organisation traditionnelle qui faisait la force de nos royaumes, empires et cités légendaires comme Tombouctou et Djenné !
La reconquête des valeurs morales et socioculturelles a été négligée dans la révolution de Mars 1991. Cela explique sans doute, en partie, pourquoi elle n’a pas comblé les attentes d’un changement radical de cap dans la gouvernance, dans la gestion des affaires publiques, dans nos comportements de citoyens aspirant à cette rupture avec 23 ans de dictature qui a engendré les gênes de notre sous-développement. C’est pourquoi nous sommes d’accord avec Fousseyni Camara quand il nous dit qu’il «nous faut retrouver notre DAMBÉ (nos valeurs) pour faire l’économie d’une révolution».
Et de conclure, «le souci avec les révolutions c’est qu’elles dévorent toujours ses fils les plus valeureux car les Dambé-tan (ceux qui n’ont ni valeur, ni conscience, ni morale) vendent leurs âmes aux diables pour trahir leurs frères et sœurs pour le pouvoir, instaurent la dictature et s’embourgeoisent. Et il ne reste aux jeunes que des slogans révolutionnaires, la prison ou la mort» !
La démission a été collective, la prise de conscience doit l’être aussi sinon le changement prendra du temps alors que le bateau-Mali ne cesse de tanguer dangereusement sur les eaux troubles des convoitises occidentales avec la complicité des voisins jaloux de notre bonne réputation d’antan. Un navire à beau être solide, il finira par chavirer à force de tanguer si rien n’est entrepris pour le redresser solidement !
Moussa Bolly