Apocalyptique ! Catastrophique ! Incroyable ! Les qualificatifs, plus mauvais et véhéments les uns que les autres, se télescopent à propos de la magouille orchestrée autour de l’attribution des 1552 logements sociaux de Tabacoro dont les clés seront, en principe, remises ce jeudi 30 juillet même aux (mal)heureux bénéficiaires par le président Ibrahim Boubacar Kéïta.
De la violation des dispositions du processus d’attribution au tripatouillage des résultats provisoires ; du copinage au népotisme, en passant par l’octroi du précieux sésame aux militants politiques, alliés, associés et affidés, TOUT y est passé. Le modus operandi ?: le contournement du logiciel de gestion des données installé depuis 2004 avec l’opération initiale des 1008 logements sociaux d’ATTbougou de Yirimadio. Conséquence : une grande pagaille dans l’attribution, des doublons et triplons, un membre du gouvernement bénéficiaire, des logements non encore attribués etc. Un homme est particulièrement indexé dans cette magouille à ciel ouvert : Dramane Dembélé, ministre de l’urbanisme et de l’habitat. Voici les preuves de l’une des plus grandes magouilles que la République ait connues.
Dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 juillet derniers, les Maliens, de l’intérieur et de l’extérieur, découvraient via les affichages, l’Internet et les réseaux sociaux, les noms des bénéficiaires des 1552 logements sociaux de Tabacoro. L’information fait vite le tour du pays et de l’étranger, suscitant d’immenses espoirs chez nombre de nos compatriotes. Mais, cet engouement s’estompe comme un éclair quand les uns et les autres prirent réellement connaissance de la liste des bénéficiaires. L’espoir fait place à un immense désespoir. Les logements n’ont nullement été attribués aux méritants, c’est-à-dire aux personnes à faible revenus. Ceux-là mêmes pour qui le président Amadou Toumani Touré avait initié la politique des logements sociaux après son élection en 2002.
Les 1552 logements ont été « distribués » comme du petit pain à des personnes triées sur le volet. Aucun Malien commun n’a reçu un des logements. Tous les bénéficiaires justifient d’un lien, quel qu’il soit, avec un parti politique, un membre du gouvernement ou d’une institution de la République, la famille présidentielle (seul IBK échapperait aux soupçons) et singulièrement avec le ministre de l’urbanisme et de l’habitat, Dramane Dembélé.
Avant de revenir sur le mode opératoire de cette magouille inédite dans l’histoire de l’attribution des logements sociaux, il convient de rappeler l’esprit de cette politique.
Des logements, véritablement sociaux !
Elu démocratiquement en 2002 comme président de la République, Amadou Toumani Touré prend cet engagement : « Un de mes objectifs majeurs est de pouvoir faciliter l’accès à un logement décent pour tous en renforçant la politique de l’habitat. C’est pour y parvenir que l’Etat a doté la Banque de l’Habitat du Mali de ressources financières appropriées. Dans ce dispositif, les promoteurs privés doivent aussi jouer pleinement le rôle qui leur est dévolu. Pour desserrer certaines contraintes de coût, j’ai instruit au Gouvernement de porter une attention toute particulière au projet de construction de cimenteries au Mali ».
Dans son message du Nouvel an 2003, le président ATT annonce la réalisation de 3500 logements sociaux s’inscrivant dans le cadre de la politique gouvernementale en matière de logement, couramment appelée Stratégie nationale de logement (Snl). L’objectif principal de la Snl est de permettre au gouvernement du Mali d’améliorer les conditions dans le pays en favorisant notamment l’accès à un logement décent pour les populations à faible revenus constituant le plus grand nombre.
Le 05 mai 2004, ATT inaugure, sur le Site de Yirimadio en Commune VI du District de Bamako, 1008 logements. Ce premier lot des 3500 logements sociaux a été attribué aussi bien à des Maliens de l’intérieur que ceux de l’extérieur, salariés et non-salariés.
Mais, le charme de l’opération réside surtout et fondamentalement dans la diversité des catégories socio-professionnelles, à revenus modérés, qui constitue l’une des caractéristiques de cette politique de logements. On y retrouvait ainsi, des enseignants, des commerçants, des ouvriers, des agents de l’administration, mariés, célibataires, veufs ou divorcés. Ce jour-là, nous nous en souvenons comme si c’était hier, le représentant des bénéficiaires, un administrateur à la retraite, a, dans son intervention, remercié et félicité le chef de l’Etat pour avoir tenu parole, en réalisant, en un temps record, ce nombre important de logements sociaux, « chose qui n’avait jamais été faite dans notre pays depuis plus de 40 ans de souveraineté ».
Les confidences de cet autre bénéficiaire étaient encore plus pathétiques et expressives : « C’est plus qu’un miracle pour moi, d’avoir ma propre demeure. Mes revenus ne me permettaient pas d’en avoir… Je suis en train de rêver ou quoi ?Est-ce vrai que je ne serai plus en location ?... ».
Après la remise de ces clefs des 1008, ATT en a remis plusieurs autres, de type 501, 320, 160, 759, 300 logements sociaux dans le seul District de Bamako, et des centaines dans les 8 régions du Mali. Tous, ont été attribués dans les mêmes conditions d’esprit et de vocation des logements sociaux.
Les logements de la magouille
Avec les 1552 logements de Tabacoro, le Mali entre dans une nouvelle ère des logements sociaux : celle de la magouille à ciel ouvert. On aura vu toutes les formes de violation, de torpillage des textes, de tripatouillage de résultats et de copinage dans l’attribution des logements qui seront remis à certains bénéficiaires cet après-midi.
Tous les bénéficiaires ont un caractère particulier. Ils sont militants ou sympathisants de l’Adema, du Rpm ou de la majorité présidentielle. Ils ont un lien avec un président ou un membre des institutions de la République. Ils sont une connaissance du ministre Dramane Dembélé. Rares, et même très rares sont les Maliens lambda qui ont leur nom sur la liste des bénéficiaires.
Donc, la première entorse de l’attribution des présents logements, c’est qu’elle a été faite en violation flagrante des critères d’attribution, notamment en ce qui concerne les personnes à revenu faible.
Dans cette grande triche qui aurait été orchestrée de main de maître par Dramane Dembélé, celui-ci a eu comme mode opératoire d’ignorer le logiciel de gestion des données. C’est ce logiciel qui gère la phase finale de l’attribution des logements sociaux depuis le top départ en 2004. Avec cet instrument, la magouille est certes possible, mais à très faible ampleur.
Comment fonctionne ce logiciel ? Quelles en sont les garanties ?
Le rôle de ce fameux logiciel est clairement défini dans le document du processus d’attribution des logements sociaux.
Le processus commence avec la réception des dossiers des postulants. Ces dossiers réceptionnés sont enregistrés dans un registre salarié, non salarié ou Malien de l’extérieur selon le cas ; placés dans une enveloppe sur laquelle il est mentionné le nom, prénom, le numéro de dépôt du dossier, la catégorie du postulant ; et stockés en attendant d’être analysés. L’analyse des dossiers est exclusivement réservée aux membres des commissions d’attribution qui procèdent au dépouillement et au remplissage des fiches de saisie pour tous les dossiers en mentionnant toutes les informations nécessaires: nom et prénoms du membre de la commission qui a procédé à la vérification du dossier ; numéro de dépôt du dossier ; numéro de la quittance ; nom et prénom, situation matrimoniale, adresse, profession, revenu, numéro du compte bancaire et contact du postulant ; la liste des pièces fournies dans le dossier ; date de naissance et nombre des enfants dont les actes de naissances sont fournis par le postulant.
Les fiches de saisie ainsi remplies, sont saisies dans l’ordinateur. A la fin de la saisie, les membres des commissions comparent le contenu des fiches remplies par eux et les informations saisies par l’équipe du secrétariat ; font corriger les erreurs et fautes commises et valident les informations correctes. Les informations, une fois validées ne sont plus accessibles, donc ne peuvent plus être modifiées.
Après cette phase de validation le traitement jusqu’au bout de l’opération est assuré par le logiciel. Celui-ci, une fois lancé, permet de trier les dossiers à partir de l’application des motifs de rejet. Ainsi, les mauvais dossiers sont éliminés et les bons sont retenus en fonction des motifs de rejet automatiques et des résultats de l’analyse des membres des commissions.
La liste des postulants validés est établie sur cette base. Elle est comparée aux listes disponibles des bénéficiaires de logements au niveau des promoteurs immobiliers. Elle est également envoyée dans les structures intervenant dans l’acquisition de logement notamment aux mairies des communes qui ont des informations sur leurs populations en matière de propriété de logement ; aux banques qui accordent des crédits acquéreurs pour la situation financière et immobilière des postulants ; l’existence de l’Apport Personnel et de la Caution ; la régularité des numéros de compte fournis par les postulants. A ce niveau, certains postulants validés sont éliminés.
Utile à savoir : la liste des postulants validés est toujours supérieure aux logements disponibles.
En vue de départager les postulants, les commissions d’attribution procèdent à l’élaboration et à l’application de sous-critères d’attribution tenant compte de la situation matrimoniale des postulants (célibataire, marié, divorcé et veuf ou veuve) ; la situation physique du postulant (handicap) ; l’âge du postulant ; la charge du postulant (enfants mineurs ou majeurs) ; l’existence d’anciens récépissés prouvant que le postulant a participé à d’autres opérations sans succès.
L’attribution de points pour chaque situation permet de faire le classement des postulants par rapport au choix de type de logement fait par eux.
La liste provisoire des bénéficiaires est faite à partir du classement décroissant des postulants et du nombre de logement disponible par type.
La répartition des logements entre les bénéficiaires salariés, non-salariés et maliens de l’extérieur se fait au prorata des demandes.
La liste visée ci-dessus est ensuite remise aux autorités pour compte rendu. Ainsi de suite jusqu’à la publication de la liste définitive, (affichage, publication dans les journaux, mise sur les différents sites : département, Omh, Maliens de l’extérieur, la Bhm).
La touche Dramane Dembélé
Sachant tout cela, le ministre Dramane Dembélé aurait instruit aux commissions d’attribution de faire fi de l’existence du logiciel. D’où l’immense pagaille et les innovations bizarres que l’on constate sur la liste des bénéficiaires des 1552 logements.
D’abord, les noms sont alignés dans l’ordre alphabétique. Ce qui est contraire à la logique du logiciel qui établit la liste suivant des critères bien définis (voir fac-similé).
Ensuite, sur la liste des 1552 logements, il existe plusieurs doublons, et même un triplon. C’est-à-dire, la personne, répondant aux mêmes caractéristiques qui bénéficient de deux ou trois logements (voir fac-similé).
Plus grave, dans la magouille orchestrée par « Dra », tous les logements ne sont pas attribués. Et pour preuves.
Sur un total supposé de logements type F3 A de 670, cette liste ne compte que 668, soit 2 manquants.
La liste des F3 B de 672 ne compte que 619, soit 53 manquants. Celle des F4 de 610 compte 566 logements, soit 44 en moins. Enfin, pour ce qui est des logements de type F5 de 100, liste mentionne 95 bénéficiaires, donc 5 logements ne sont pas attribués. Ce qui fait un total de 104 logements sociaux qui n’ont pas de bénéficiaires connus ou tout au moins l’identité de ceux-ci n’est pas encore révélée.
Enfin, une dernière grosse entorse à l’esprit des logements sociaux : un ministre de l’actuel gouvernement est bénéficiaire de logement sous le n° 01… Vous avez dit Logements destinés aux pauvres !
Sékou Tamboura