Le Premier ministre malien Cheick Modibo Diarra a été arrêté dans la nuit sur ordre du capitaine Amadou Sanogo, contraint à la démission et placé en résidence surveillé.
Brutal retour sur terre pour l'astrophysicien. Naguère aux commandes de missions spatiales de la Nasa, le Premier ministre malien Cheick Modibo Diarra a été arrêté au coeur de la nuit sur ordre du patron de l'ex-junte Amadou Sanogo, "cerveau" du coup d'Etat du 22 mars fatal au pouvoir chancelant du président élu Amadou Toumani Touré (ATT), puis placé en résidence surveillée. Alors qu'il s'apprêtait à s'envoler pour Paris, où il devait suivre des examens médicaux, "CMD" a appris que ses bagages avaient été débarqués de l'avion. Peu après, une vingtaine de soldats venus du camp Kati, fief des putschistes, ont enfoncé la porte de sa résidence avant de l'acheminer manu militari jusqu'au QG de Sanogo. Après une entrevue orageuse avec le maître de céans, Diarra a enregistré un bref message bientôt diffusé par l'ORTM, la télévision nationale. En 21 secondes chrono, il y annonce d'une voix éteinte sa démission ainsi que celle de son gouvernement et présente des "excuses" à ses compatriotes déboussolés.
Putschiste un jour, putschiste toujours
Cet épisode survient à l'aube du jour où aurait dû s'ouvrir une "concertation nationale" réunissant les acteurs politiques, sociaux et militaires du pays, ainsi que les acteurs de la société civile, censés établir la "feuille de route" balisant le dénouement d'une impasse institutionnelle dans laquelle Bamako n'en finit plus de s'enliser, tandis que les milices djihadistes, maîtresses des deux-tiers nord de la patrie, consolident jour après jour leur emprise. Rendez-vous d'ailleurs reporté sine die avant même ce coup de théâtre, du fait de l'acuité des divergences sur l'échiquier local.
Cheick Modibo Diarra, 60 ans, paye à coup sûr son plaidoyer en faveur du déploiement rapide d'une force interafricaine appelée à restaurer l'intégrité territoriale du Mali. Formule que récusent farouchement le capitaine Sanogo et les siens. Putschiste un jour, putschiste toujours... Même s'il a formellement remis le pouvoir en avril aux civils, l'ancien prof d'anglais du prytanée de Kati n'a jamais renoncé à l'exercer dans la coulisse. Profitant pour ce faire de la bienveillance du médiateur burkinabé Blaise Compaoré -lui-même parvenu au pouvoir par la grâce d'un coup d'Etat- et de ses pairs ouest-africains, qui lui ont un temps consenti un statut "d'ancien chef de l'Etat"; et des fissures du trépied bancal qu'il formait avec le président par intérim Dioncounda Traoré et le Premier ministre provisoire. Deux "partenaires" traités en intermittents du spectacle.
Congédié comme un domestique
Le premier, violemment agressé en mai dernier en son palais de Koulouba par le fan-club de Sanogo, n'a jamais vraiment surmonté le traumatisme physique et moral laissé par une telle épreuve. Quant au second, il vient d'être congédié comme un domestique. Déjà, le pompier-pyromane Sanogo, dont l'aventurisme avait précipité la marche triomphale des séparatistes touareg, bientôt balayés par leurs "alliés" islamistes, avait exigé et obtenu de diriger le Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité. En clair, on confiait au syndic de faillite d'une armée impuissante la refonte de celle-ci. Pourvu d'un ego pour le coup galactique, Sanogo a osé publier voilà peu dans Le Monde une tribune, rédigée pour l'essentiel par un politologue sénégalais, dans laquelle il se compare à Charles de Gaulle et au légendaire chef de guerre afghan Ahmed Shah Massoud. "ATT, écrit-il, a été ce que le maréchal Pétain fut pour la France de 1940, et je n'ai été pour le Mali que ce que de Gaulle a été pour la France."
Nul doute que Cheick Modibo Diarra acquitte aussi, au prix fort, la rançon de la complaisance évoquée plus haut, mais aussi d'une certaine forme de candeur politique. En avril, au lendemain de sa nomination à la primature, j'avais émis en ces termes dans mon blog de sérieuses réserves quant à la pertinence d'un tel choix: "Dans la conjonction astrale du moment, Bamako a besoin, non d'un Oncle d'Amérique, mais d'un stratège aguerri et pugnace, suffisamment roué pour réunifier la patrie et tenir à bout de gaffe une junte avide d'honneurs et de prébendes." Malgré ses efforts, l'enfant de Nioro-du-Sahel et de Segou, astrophysicien propulsé sur la planète primature, n'était hélas pas taillé pour cette course-là. Mais qui le serait? Gendre de Moussa Traoré -autocrate renversé en 1991 après avoir régenté le Mali à la cravache durant 23 ans- CMD n'a bien sûr rien d'un perdreau de l'année. Pour autant, ni sa formidable success story transatlantique, ni son parcours à la tête de campus virtuels et numériques continentaux ou sa qualité de boss de Microsoft-Afrique ne l'avaient préparé à déjouer les pièges du bourbier maison.
Ce matin, un porte-parole de la junte a jugé utile de préciser que le raid nocturne relaté ici ne constitue nullement un coup d'Etat, et qu'un nouveau Premier ministre serait nommé "dans les prochaines heures". "Diarra, accuse Bakary Mariko, n'a pas agi en homme de devoir, mais en fonction de son agenda personnel." Qu'un fidèle du roitelet de Kati, fut-il doté d'un culot d'acier, se permette un tel verdict, voilà qui a de quoi laisser pantois. La feuille de route d'un Mali asservi reste à écrire. Sanogo, quant à lui, vient d'ajouter une ligne à sa feuille de déroute.