Binta est l’épouse la plus amusante mais aussi la plus froide. Les finances en déroute d’un mari fin calculateur admettent des séparations toujours violentes et provisoires.
Dehors, le soleil darde les rayons. Tandis que le gombo qui pousse à l’ombre de la petite villa peinte en rouge foncé laisse perdre ses premières feuilles inertes. Les rayons du soleil pénètrent à travers la moustiquaire des fenêtres. L’horloge sonne les dix coups de 10 heures. Binta fait son entrée.
Elle n’a pu s’empêcher de venir en dépit de son mauvais état de santé. La veille, au terme d’une dispute avec son mari Ali, elle a perdu trois dents. Et les lèvres bien cousues par son toubib encore brûlantes l’interdisent de parler longuement. Toutefois, elle brûle d’envie de voir Ali. Qui, à la fine pointe de l’aube, est parti sur la pointe des pieds, laissant la seconde épouse Ria et ses enfants sans la moindre peccadille.
Grosse et paresseuse, avec un ton de douceur, elle batifolait régulièrement avec le quadragénaire de mari dans le salon, comme deux ados dans un champ de mil. Cette image en rappelle d’autres : celle qui affectionnait propager au village des opinions les plus dérangeantes sur le compte de son mari. « Nul », « mendiant », « fainéant », des qualificatifs qui n’obéissent pas aux convenances, mais reflètent plutôt une rébellion personnelle contre les règles du moment, une insatisfaction. Binta est l’épouse la plus amusante mais aussi la plus froide, parce qu’elle associe systématiquement humour et sarcasme. Ses dents blanches sont aussi carnassières. Pressée d’attendre la mort d’un mari qui ne vient pas, elle a lâché « vouloir devenir carrément propriétaire de la villa une fois ce dernier enseveli.» Incroyable aveu d’une femme à la trentaine qui est aussi sincère qu’un enfant.
L’année dernière, elle pouvait enfin épouser son éternel fiancé. Pendant huit longues années, elle aime Ali d’une fidélité querelleuse. Elle le voulait à elle seule. Et faisait en sorte qu’il ne puisse plus avoir de ressource pour les deux premières épouses qui attendaient impatiemment leur tour. Les images de disputes avec elles défilaient sous ses yeux.
A présent, place à l’objet de sa visite. Ali n’étant pas là, elle se répand en critiques acerbes contre la seconde qui aurait dû venir la voir chez son oncle – chez qui elle s’est retirée après que son mari ait porté la main sur elle. Ali l’avait battu avec une telle violence que trois dents sont cassées et les lèvres inférieure et supérieure déchirées. Rien ne va plus depuis des semaines. Ali peine à trouver le sommeil. Et est réduit à avaler quelques cachets d’une vendeuse ambulante. Son cas s’est empiré après la dispute. L’absence de la troisième est devenue insupportable. Sur conseil de la seconde, il a fait recours aux services de l’imam du village. Aussitôt arrivé au domicile de son beau, il s’est engouffré dans le salon, laissant l’imam au milieu de la cour. Econduit, Ali insulte père et mère de son beau et repars sans l’imam. Moins d’un quart d’heure, il retourne sur ses pas, cette fois-ci armé d’un coupe-coupe et d’une hache. Sentant le combat inégal, toute la maisonnée et l’imam se ferment à clé.
Binta très en verve tente de démontrer devant Ria que le contentieux avec son oncle demeure trop lourd qu’il ne peut être réglé par une simple pirouette : des excuses plates d’Ali au téléphone. Au même moment, l’étau de ses parents restés à Bougouni continue de se resserrer autour d’elle. Père et mère sont farouchement opposés à son retour au foyer conjugal et enjoignent à leur fille de demander le divorce. Binta qui s’ennui ferme avec son oncle brule d’envie d’offrir à nouveau ses charmes à son mari, objet d’appels téléphoniques incessants. Sans obsession de la discrétion.
Georges François Traoré