Quatorze organisations de défense des droits de l’Homme, dont la FIDH et Amnesty, ont dénoncé mercredi la libération par la Mauritanie d’un ancien cadre du groupe jihadiste Ançar Eddine, Senda Ould Boumama, la qualifiant de « coup dur pour les victimes de la crise malienne ».
Senda (ou Sanda) Ould Boumama a été le porte-parole d’Ançar Eddine, un des groupes liés à Al-Qaïda ayant contrôlé le Nord du Mali pendant près de dix mois avant d’en être chassés et en partie dispersés à partir de janvier 2013 par une opération militaire internationale.
L’homme, qui se dit mauritanien, s’était rendu aux forces mauritaniennes en mai 2013 sur la frontière avec le Mali, près de Bassiknou (Sud-est de la Mauritanie). Il a ensuite été transféré à Nouakchott, puis détenu depuis lors dans une prison secrète sans être ni inculpé, ni jugé. Il a été libéré mardi, selon une source de sécurité mauritanienne.
Un criminel sexuel
« La libération de Senda Ould Boumama par la Mauritanie est un coup dur pour les victimes de la crise malienne », déclarent les 14 ONG dans un communiqué commun transmis à l’AFP par l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), au nombre des signataires avec son homologue mauritanienne, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et Amnesty International-Mali.
Selon ces ONG, M. Ould Boumama, dont le vrai nom est Sidi Mohamed Ould Boumama, est un binational malien et mauritanien. Il s’est rendu aux autorités mauritaniennes en 2013 « pour échapper à la justice malienne », qui a émis un mandat d’arrêt à son encontre le 8 février 2013.
Il fait partie « de plusieurs présumés responsables de crimes les plus graves », dont « des crimes sexuels », commis dans le Nord du Mali lorsque cette vaste région était sous la coupe des jihadistes, d’après elles.
La Mauritanie a ignoré une demande d’extradition de la justice malienne
D’après le texte, la justice malienne a adressé une demande d’extradition concernant M. Ould Boumama aux autorités mauritaniennes, qui n’y ont « accordé aucune suite favorable ».
« Ce comportement des autorités mauritaniennes est à déplorer et à condamner », affirme Me Patrick Baudouin, avocat des victimes et président d’honneur de la FIDH.
Pour lui, « les libérations répétées de membres des groupes armés (…) entravent la nécessaire lutte contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves, dont la coopération judiciaire entre les pays concernés est un élément vital ».
Le Mali et la Mauritanie dans le même panier
Les ONG rappellent que, avant la libération de Senda Ould Boumama par la Mauritanie, le Mali avait relâché des membres de groupes rebelles ou jihadistes – pour certains en décembre 2014 dans le cadre d’un échange pour la libération d’un otage français au Sahel, Serge Lazarevic.
Le Mali a aussi levé des mandats d’arrêt contre des dirigeants rebelles touareg, officiellement pour favoriser la signature de l’accord de paix, entériné au printemps.
« Les victimes de violences sexuelles attendent des actes forts de la part du gouvernement pour poursuivre les auteurs de ces crimes, pas de les libérer les uns après les autres », a dénoncé Mme Bintou Founè Samaké, présidente de Femmes, Droits et Développement en Afrique (Wildaf).
Règlements de compte entre jihadistes
« Les chef d’Aqmi ont jugé que Sanda les avait trahis en se rendant aux autorités mauritaniennes. Ils ont saisi tous ses biens dans le désert malien, notamment plus de 100 chameaux, avant de lui envoyer une lettre à Nouakchott l’informant qu’ils sont désormais à ses trousses », affirme une source sécuritaire à Bamako. Si Sanda Ould Boumama semble sorti d’affaires en ce qui concerne les autorités mauritaniennes, « les menaces d’Aqmi pèsent sur lui et la justice malienne lui court toujours après », dit un de ses proches dans le nord du Mali.