Le Gouvernement prévoit l’organisation des élections communales et régionales à la fin du mois d’octobre prochain. Sur cette question, nous avons tendu notre micro au Pr Ali Nouhoum Diallo, ancien Président de l’Assemblée nationale du Mali, ancien Secrétaire politique de l’ADEMA/PASJ et président d’honneur du parti de l’abeille.
Dans cette interview, il nous livre ses impressions et s’insurge contre l’organisation annoncée de ces élections à la fin du mois d’octobre prochain. Lisez plutôt. Cette interview a été réalisée avant la prise d’otages à l’hôtel le Byblos à Sévaré.
Pensez-vous que les élections sont tenables aux dates annoncées par le Gouvernement?
Je pense d’abord qu’elles ne sont pas tenables. Je pense qu’elles ne sont pas utiles à l’heure actuelle. Je pense surtout qu’elles pourraient être nuisibles. Je pense qu’elles ne peuvent pas être possibles sur le plan sécuritaire. En effet, les attaques de Nara, de Misseni et de Fakola, malgré les ripostes des forces armées et de sécurité, en plus, les mise en garde des maires des communes rurales de Koubeye, dans le cercle de Mopti, de Moura, dans le cercle de Djenné, de Togrecoumbé et de Sossobè-Salsalbè, dans le cercle de Ténenkoun, n’inclinent pas à penser que la situation sécuritaire dans le Sahel occidental, le Delta central et dans la région de Sikasso, est maîtrisée. Qui plus est, ces attaques sont revendiquées ouvertement à Nara par Iyad Ag Aghaly et sont signées Ançar Eddine du sud à Misseni et Fakola. Ce sont des gens d’Amadoun Kouffa Barry, allié d’Iyad Ag Aghaly, qui menacent nuitamment les maires des communes rurales déjà mentionnées. Tout cela suggère que les rebelles séparatistes de l’Adrar, ayant renoncé à couper le pays en deux s’activent à présent, avec leurs alliés, à mettre en œuvre à leur façon, l’Accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger. Cette hypothèse est plausible à la lumière des récents massacres des éléments de la Garde nationale à Gourma Rharous. Ces massacres signent la volonté de chasser de tout le nord du Mali toutes les populations qui n’acceptent pas la partition du pays. Ces multiples attaques récentes peuvent annoncer une volonté des rebelles irrédentistes d’obliger le Gouvernement malien à ouvrir de nouvelles négociations avec le compatriote Iyad Ag Aghaly, avec comme objectif de signer de nouveaux arrangements, qui, en plus, de l’ouverture large vers l’autonomie, obtenue avec les arrangements du 5 juin signés à Alger et contresignés le 20 juin par la Plateforme conduisant le Mali à accepter ainsi une perte partielle ou totale de la laïcité de l’Etat. Dans un tel contexte, vouloir organiser des élections risque de compromettre sérieusement l’unité nationale et l’intégrité du territoire et la perte de la souveraineté de la nation malienne. Ne s’agit-il pas, en fait, de l’organisation d’élections communales et régionales? Concernant les élections régionales, dans quelles régions va-t-on justement organiser ces élections? Dans les 8 régions administratives et le District de Bamako actuellement connus ou dans les régions découpées par la loi ATT? Tout le monde se souvient que ce découpage administratif a été fait sans large concertation, peut-être même sans concertation du tout, avec les populations concernées. Ce découpage a fait l’objet d’une controverse bien connue lors des Etats généraux sur la décentralisation et des Assises nationales sur le nord, initiées par les différents gouvernements du Président IBK, dans son souci de préparer la mise en œuvre de l’Accord de Ouagadougou. Il est question, selon certaines sources, d’organiser les élections dans les régions et le District et dans deux régions au moins prévues par la loi portant création de nouvelles régions promulguée par ATT: il s’agirait des régions de Taoudéni et de Ménaka. Comment pourrait-on justifier légalement l’organisation d’élections régionales uniquement dans ces deux régions en excluant toutes les autres prévues par la loi ATT? Quel intérêt le peuple malien tire de l’organisation de ces élections dans ces régions supplémentaires? À moins que ces régions portent les noms de l’azawad pour la région de Taoudéni, avec comme capitale Arawane, qui, elle est une réalité mémorielle incontestable et le nom de l’azawaq, elle aussi, une réalité mémorielle indiscutable. Si le but visé, encore une fois, est de signifier que l’appellation azawad est loin de recouvrir tout le nord du Mali, les aménagistes du terrain national avisés comprendraient la démarche. Encore, faudrait-il que le découpage administratif de tout le Mali fasse l’objet de larges débats et d’un consensus comme l’ont souhaité les participants et aux Etats généraux de la décentralisation et aux Assises nationales sur le nord.
C’est pour toutes ces raisons énoncées plus haut, qu’il ne serait pas sage – parce qu’étant contraire aux intérêts fondamentaux de l’Etat et du peuple – d’organiser les élections régionales et municipales cumulées avant la Conférence d’entente nationale prévue par l’Accord du 15 mai 2015. Le premier acte à poser, à notre sens, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord est l’organisation de la Conférence d’entente nationale.
Malgré ces risques, et si le Gouvernement maintenait ces dates?
D’abord, nous courons à la catastrophe si le Gouvernement voulait, coûte que coûte, organiser ces élections. Car, l’insécurité est générale. Les forces chargées de sécuriser les élections sont elles mêmes en insécurité comme l’atteste ce qui vient de se passer à Gourma Rahrous. L’administration est absente dans la plupart des communes rurales aujourd’hui, sans consentement des séparatistes, sans renonciation de ces séparatistes à l’autonomie, voire l’indépendance de tout le nord du Mali, sans qu’ils soient dissuadés d’empêcher ces élections par la MINUSMA, normalement dédiée à la stabilisation du pays, avec nos FAMA et l’appui des forces Barkhane, il sera difficile sinon impossible d’organiser ces élections sur toute l’étendue du territoire. Or, envisager organiser des élections communales et régionales partielles dans un contexte où des fils et filles du pays, fussent-ils minoritaires et mêmes très minoritaires, ont proclamé l’indépendance des 2/3 du territoire national, serait consacrer la partition de fait du pays. Je ne peux pas imaginer que cela puisse se faire sous la direction du Président IBK et de son équipe, composée de nationalistes viscéraux, de patriotes ardents qui l’ont prouvé par de longues années de lutte.
Interview réalisée par Youssouf Diallo