L’actuel gouverneur de Kidal, le colonel Adama Kamissoko est malin comme un lièvre. Si on m’écoutait, on lui confierait les rênes de l’armée, bérets rouges, bérets verts et bérets bleus confondus. Nommé gouverneur de la Cité des Ifoghas en 2012, juste après l’Accord de Ouagadougou, l’officier a réussi le tour de force de s’attirer la sympathie des maîtres rebelles de la ville. C’est qu’en privé, il leur sourit à belles dents, alors qu’il nourrit, au fond, la plus grande méfiance envers eux. Le rusé gouverneur venait au bureau le matin pour disparaître, quelques minutes plus tard, par une porte dérobée. Quand tombait la nuit, il évitait comme la peste sa chambre princière du gouvernorat pour se réfugier dans le camp militaire malien. On comprend donc pourquoi aucune attaque jihadisten’a pu atteindre le sieur Kamissoko, passé maître dans l’art de l’esquive.
En mai 2014, monsieur le gouverneur invite tous les administrateurs civils du nord à venir assister à l’arrivée du Premier Ministre Moussa Mara à Kidal. L’affaire tourne vite au vinaigre: les rebelles, qui ne tolèrent pas qu’un dignitaire malien viole leur sanctuaire azawadien, accueillent Mara à coups de canons. Pour faire bonne mesure, ils prennent en otages l’assemblée d’administrateurs et de fonctionnaires réunis au gouvernorat et, dans la foulée, égorgent les 7 préfets et sous-préfets présents. Le gouverneur ? Disparu! On apprendra, par la suite, que l’intéressé s’est adroitement et très silencieusement glissé dans le véhicule blindé venu arracher Moussa Mara des griffes rebelles. L’histoire ne dit pas si l’officier s’est introduit dans le convoi primatorial par la tête ou les pieds, en rampant ou en courant. Mais au moins, cela faisait un Malien de sauvé… Depuis, le colonel vivait tranquillement à Bamako où, de temps à autre, pour combler ses journées de gouverneur-chômeur, il tenait de petites conférences. Sur l’art de disparaître en catimini ?
Après la signature des accords de paix, Kamissoko a établi, le 11 mars 2015, ses bureaux à Gao. A un bon millier de kilomètres de son gouvernorat kidalois. Dans le bâtiment imposant qu’il occupe se trouvent à la fois le gouvernorat de Kidal (délocalisé à Gao) et la résidence du gouverneur, à l’étage. Ceux qui fouilleraient l’édifice ne manqueraient sûrement pas d’y trouver une porte de secours car notre ami gouverneur n’oublie jamais de s’assurer une possibilité de retraite. Les annexes du bâtiment servent de bureaux au Préfet de Gao et l’immense cour abrite des véhicules administratifs jalousement surveillés par des gardes. Vous aurez déviné tout l’intérêt que le gouverneur porte aux véhicules, n’est-ce pas ?
Courant juillet 2015, à des journalistes du 22 Septembre lui ont rendu visite.« Comment se fait-il qu’un Gouverneur de Kidal loge à Gao? », s’étonnent les journalistes. Réponse du haut administrateur: « Vous savez, depuis les événements de Mai 2014, l’administration malienne n’est plus dans la région de Kidal. C’est à partir de Gao que nous essayons d’administrer Kidal ». Administrer une région d’aussi loin est-il possible? « Nous faisons de notre mieux », répond le gouverneur qui révèle que la région de Kidal loue 5 bâtiments à Gao, pour l’usage des différents préfets, sous-préfets et directeurs régionaux.Quand je vous disait que le gouverneur Kamissoko était un précurseur de la régionalisation administrative ! Il explique: « A Gao, nous recevons les ressortissants de Kidal. Nous établissons des actes de naissance, des cartes d’identité et nous faisons face aux besoins des déplacés de Kidal à Gao, grâce au soutien multiforme du ministère en charge de l’Action Humanitaire et du Développement des Régions du Nord, qui met des dons à notre disposition ». Voilà donc l’excellent gouverneur de Kidal devenu prêtre humanitaire à Gao! Qui dit mieux ?
Et il poursuit:« Nous avons recensé 390 ménages. Chaque ménage comprend 7 à 10 personnes. Certains déplacés ont des difficultés pour payer la location, l’électricité et bien d’autres choses. Nous essayons de les soulager selon nos moyens. Ils sentent qu’ils ont une administration de proximité qui s’intéresse à leurs préoccupations ». Pour un « gouvernorat de proximité », celui dirigé en est vraiment un puisqu’il siège à 1000 km de ses administrés! Le colonel Kamissoko relate aussi que « la révision exceptionnelle des listes électorales de Kidal s’est déroulée à partir de Gao, dans de bonnes conditions ».Ah bon ! Et les Kidalois viendront peut-être voter à Gao, hein ?
Enfin, à en croire les journalistes qui ont rencontré le gouverneur, « tous les jeudis, le gouverneur Kamissoko tient une réunion sécuritairesans la police et la gendarmerie qui manquent toujours à l’appel ». Encore une manoeuvre magique du gouverneur: entend-il sécuriser Gao et Kidal grâce à des incantations ? « En tout cas, malgré les difficultés, le gouverneur Kamissoko veut faire croire à la population de Kidal qu’elle n’est pas abandonnée », notent les journalistes. Espérons qu’en cas d’attaque, le gouverneur indiquera aux braves populations des portes dérobées pour rejoindre Bamako à toutes jambes! Une fois à Bamako, il ne manquera pas, à partir de là, d’administrer Kidal et Gao…
Tiékorobani