Son nom a fait le tour du monde, alors que lui-même ne paye pas de mine. Iyad Ag Ghali reste un personnage de roman dont les pantalonnades et les intimes accointances avec les régimes passés ont fini par modeler une hydre tentaculaire qui donne froid dans le dos, s’elle ne hante pas les nuits des autorités maliennes.
Haut comme une pomme, front ridé par la réflexion, barbe fournie et joliment soignée, lunette de soleil qui cache mal des yeux scintillant de malice. Voilà en quelques traits l’homme qui régente la nébuleuse islamiste à partir des récifs montagneux du Tegharghar. L’épopée d’Iyad Ag Ghali se raconte au-delà des frontières maliennes, puisque le chef du mouvement Ansar Eddine a connu ses plus hauts faits d’armes dans des théâtres d’opération commando impliquant la Lybie du bouillant colonel Mouammar Kadhafi. Pourtant, rien ne prédisposait ce digne héritier d’une famille noble d’éleveurs de la tribu des Ifoghas à cette aventure tumultueuse.
Parcours atypique Agé d’à peine vingt ans dans les années 80, il prend la route de la Lybie comme de nombreux Touaregs qui fuient le chômage et les terribles sécheresses qui dévastent la région. Là-bas, le futur chef rebelle enchaine les jobs à la sauvette, jardinier, gardien de voitures, avant d’intégrer comme des milliers d’autres Touaregs, la légion islamiste de Kadhafi. Au Liban où on envoie Iyad combattre les milices chrétiennes, puis sur le terrain Tchadien, il s’initie à l’art de la guerre. C’est en combattant aguerri qu’il revient au pays lorsque Kadhafi démantela la légion en 1987. Iyad troque alors son uniforme militaire pour celui de la rébellion Touareg dont il va devenir une icône. A la tête du mouvement populaire de libération de l’Azawad, il lance sa première action d’envergure le 28 juin 1990.
Un assaut contre la gendarmerie de la ville de Ménaka. C’est à cette époque qu’il sera repéré par l’Algérie, puissance régionale qui craint de voir s’exporter les velléités autonomistes sur son territoire. Les Algériens, dans leur stratégie d’infiltration des mouvements qui leur sont hostiles, utilisèrent Iyad qui devient ainsi la pierre angulaire. Ce n’est pas fortuit que ce soit Iyad Ag Ghali qui signa l’accord de paix de Tamanrasset en 1991 sous l’égide de l’Algérie, alors même que l’objectif de la rébellion n’était pas atteint.
En son temps, Iyad fut considéré par bien des maliens comme celui qui a ramené la paix dans le nord du Mali. Il fut traité par certains rebelles de traitre passé sous la coupe de l’Etat du Mali. C’est la division. Iyad qui a acquis la confiance des autorités maliennes, et le soutien de l’Algérie, fonde le Mouvement National de l’Azawad (MNA). Un mouvement constitué majoritairement de Touaregs modérés. Mais subitement, sans que personne n’y comprenne grand-chose, il bascule dans le fondamentalisme religieux qui semble tirer son explication dans le discours anti-occidental cultivé dans les camps d’entrainement Libyens. Entre 1997 et 1998, des missionnaires Pakistanais affiliés au courant Jamaal al Tabligh prônant un Islam rigoriste débarquentà Kidal et arrivent à faire d’Iyad leur disciple. Il fit même un court séjour au Peshawar. Tout en adhérant aux thèses fondamentalistes, en fin stratège, il rejette les attaques suicides et le terrorisme.
Negociant subtil Cette posture soutenue par ses bonnes relations avec l’Algérie, fait de lui l’intermédiaire privilégié de Bamako pour la libération d’otages occidentaux aux mains du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), ancêtre d’AQMI. Le bisness des otages devient alors une activité régulière, très lucrative pour Iyad qui touche d’importantes commissions à chaque négociation. Toujours à la manœuvre, Iyad créa, par opportunisme, en 2006 un nouveau mouvement dénommé l’Alliance Démocratique pour le Changement et dans la foulée, une autre rébellion éclate. Les négociations avec le gouvernement malien se dérouleront à Alger et comme à l’accoutumée, IYad devient encore le faiseur de paix. Admiré et redouté, il sera nommé consul à Djeddah en 2007.Mais ses contacts avec des groupes salafistes sur place, lui valurent une expulsion du territoire en 2010. De retour au Mali, Iyad renoue avec son bisness favori, le marché des otages. A son actif, plusieurs libérations d’occidentaux. Mais après l’effondrement de la Lybie, Ibrahim Ag Bahanga tente de fédérer les combattants Touaregs revenus de Lybie et d’autres guerriers locaux. Iyad revendique le leadership, ce que lui refuse le mouvement. C’est le clash qui amena Iyad à créer son propre mouvement Ansar Eddine, autour de certains fidèles et des membres d’AQMI pour se lancer enfin dans une croisade qui finit de convaincre, plus d’un, de sa réelle nocivité. Mais s’il n’est jamais arrêté, c’est que le « lion du désert » n’a rien perdu de son influence dans la région. Ses puissants réseaux en Algérie et au Mali en font de lui une personnalité incontournable, pesant de tout son poids dans la crise malienne.
Les feux d’artifice de ses fidèles et alliés ayant occasionné plusieurs morts dans le sud du Mali prouvent à suffisance que le chef Touareg n’a rien perdu de ses nombreux relais dans le pays.
Au coeur du débat Dans ce contexte, devons-nous nous résigner sans imaginer des solutions ? L’affirmative serait suicidaire tant qu’une piste, infime soit-elle, se profile. Aujourd’hui, l’homme responsable de tous nos malheurs, inscrit sur la liste noire des Américains comme étant un terroriste indécrottable, à avoir mort ou vivant, peut en raisonnant même par l’absurde, devenir un maillon essentiel dans la quête de la paix et de la stabilité dans le pays.
L’idée peut paraître incongrue, mais elle vaut la peine d’être analysée jusqu’à prouver le contraire. L’histoire a démontré qu’Iyad Ag Ghali a été l’artisan des deux accords signés en 1991 et en 2006 avec le gouvernement malien. Après ces-dits accords, aucun coup de feu n’est venu troubler le sommeil des Maliens jusqu’au chaos libyen, mère de nos malheurs. Mais aujourd’hui que constatons-nous ? La signature de l’accord du 15 Mai et du 20 Juin 2015 n’a toujours pas ramené la paix recherchée.
Il y a bien lieu de se poser la question si toutefois une autre signature de l’accord, une troisième, ne manque pas afin de faire taire définitivement les armes au Mali. Toute chose qui fait référence à celle du « lion du désert », Iyad Ag Ghali, qui contrairement aux mouvements signataires, la CMA et la plate-forme, n’a jamais épousé les thèses séparatistes de ces derniers. L’heure est à la réflexion, car la liberté dont dispose Iyad dans ses déplacements à la frontière algéro-malienne, malgré la présence des militaires français de Barkhane avec toute leur logistique de surveillance, il est à craindre qu’il ne soit utilisé par les puissances occidentales et même régionales comme moyen de pression sur le gouvernement malien pour l’aboutissement de certains objectifs hautement stratégiques .Il est temps qu’on se pose la question suivante : Iyad peut-il être récupéré en le faisant renier ses thèses islamistes , ce d’autant que c’est à la suite d’un malentendu sur la libération de l’Azawad qu’il créa son mouvement Ansar-Eddine.
Cela peut s’expliquer aussi par dépit, d’autant que même au plus fort de la crise malienne, il a toujours prôné un Mali unique mais sous la bannière islamique.
La grande question Alors quelle réaction pourrait susciter le retour dans le giron malien d’Iyad Ag Ghali que l’on pense garant de paix et de stabilité dans le pays, en témoigne la recrudescence de la violence malgré la signature de l’accord de paix ? A ce sujet, les avis seront sans doute mitigés. Mais y’aurait-il pour l’instant plus à perdre de la neutralisation ou de la capture d’Iyad Ag Ghali qu’au maintien de sa liberté et pourquoi pas à sa récupération au profit de la paix ?
Voilà une réflexion pour le président Ibrahim Boubacar Keita, seul habilité à juger du bien-fondé d’une décision hautement sensible que la levée du mandat d’arrêt international contre Iyad et surtout l’effacement de son nom sur la liste noire des terroristes à retrouver morts ou vivants. Mais ce qui est sûr, le président saura se prémunir d’une part, des suggestions de ceux qui pourraient perdre dans la réconciliation avec Iyad tous les avantages et privilèges dus à leurs rangs et d’autre part, tendre une oreille attentive aux partisans de cette rêverie qui pourraient être ceux ayant été curieusement visités par la grâce. L’erreur est humaine et le pardon d’essence divine, donc le rêve est permis.
Alor rêvons que le Mali retrouva la paix en se réconciliant avec ce terroriste mais dont l’adhésion préserverait des milliers de vies humaines qui sont aujourd’hui en perpétuel danger malgré les accords signés de bonne foi. Simple réaction de désarroi diront certains, mais si telle est la solution, alors c’est tout le Mali qui y gagnerait.
Amadou SANGHO