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L’escamotage du Premier ministre du Mali : Un « flip flap » annonciateur d’un prochain bouleversement ?
Publié le samedi 15 decembre 2012  |  Le faso.net




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Lundi 10 décembre 2012. A l’issue de quelques jours passés à Ouagadougou, je suis venu saluer, chez lui, Djibrill Y. Bassolé, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Sujet de préoccupation : la « crise malo-malienne » et, du même coup, la situation politique du Mali. Moins d’une semaine auparavant (cf. LDD Burkina Faso 0313/Lundi 3 décembre 2012), se tenait dans la capitale burkinabè le premier « sommet de Ouagadougou » consacré à la recherche d’une solution négociée à cette crise interminable.

Bassolé venait de rentrer de Rome où il s’était envolé dans la foulée de cette rencontre. Dans la capitale italienne, autour de Romani Prodi, en charge du dossier pour le compte du secrétaire général des Nations unies, étaient réunis Pierre Buyoya (Union africaine) et Jean Félix-Paganon (France) ainsi que les représentants d’institutions africaines (dont, bien sûr, la Cédéao) et de pays « occidentaux » et autres concernés par ce dossier. A Rome, l’option du « dialogue inter-malien » prônée à Ouaga était la plus couramment, pour ne pas dire unanimement, soutenue. Sans exclure, bien sûr, des actions ciblées contre les groupes terroristes et les organisations mafieuses. Rien d’une guerre conventionnelle avec une ligne de front et des soldats montant à l’assaut baïonnette au canon ; le déploiement de forces armées sur le terrain provoquerait aussitôt l’évaporation dans la nature des katibas terroristes et le risque d’attentats sur les arrières des forces engagées dans cette « coalition » armée. Imagine-t-on la réaction des pays de la Cédéao si, à l’instar de ce qu’ont connu les pays européens, des bombes explosaient au sein des populations civiles dans des capitales de la région où ni l’armée ni la police ne sont capables d’enrayer un tel processus.

A Ouaga, pour le premier « sommet » sur le Mali, le gouvernement de Bamako était représenté par Tiéman Coulibaly, ministre des Affaires étrangères. Ce qui n’a pas manqué de mettre à mal la susceptibilité des uns et des autres. Et, notamment, de Cheick Modibo Diarra, Premier ministre, partisan d’une implication militaire rapide et totale (forces spéciales, aviation, etc.) des « occidentaux ». Un discours (cf. LDD Mali 048/Mardi 2 octobre 2012) qui tendait à l’isoler sur la scène politique et diplomatique où les « va-t-en guerre » sont en perte de vitesse même s’ils trouvent toujours des échos du côté de Paris ou d’Abidjan.

J’en étais là de mes réflexions avant de rendre visite, ce même lundi 10 décembre 2012, à Mamadou Traoré, ambassadeur du Mali à Ouagadougou. Nous nous étions ratés lors de mon précédent séjour dans la capitale burkinabè alors que le Mali sombrait dans le chaos à la suite des événements du 17 janvier puis du 22 mars 2012. Traoré a, d’ailleurs, présenté les copies figurées de ses lettres de créance au ministre Bassolé alors que le président Amadou Toumani Touré était encore en place (c’était le vendredi 24 février 2012).

Autant dire que le premier entretien de Traoré avec Bassolé avait porté d’emblée sur la « rébellion touarègue ». Cela tombait bien. Traoré n’est pas un diplomate de formation ; ingénieur et économiste, il a été le conseiller diplomatique d’ATT de 2004 à 2010 avant d’être nommé ambassadeur à Washington. Il est surtout un parfait connaisseur de la situation qui prévaut dans le Nord-Mali pour s’être, depuis plusieurs années, mis à l’étude de la question des tribus nomades touareg des régions de Gao, Tombouctou et Kidal.

Traoré est l’auteur de plusieurs textes, en français et en anglais, sur l’évolution historique de la situation du Nord-Mali et de mémos sur la sécurité dans le « corridor sahélo-saharien ». Il n’est pas du genre à mettre son opinion dans sa poche. Le Mali, me dit-il en substance, s’est fait dévorer par les trafiquants ; et tout le monde a participé au festin, l’Afrique comme le Reste du Monde. L’axe Niafounké/Goundam/Tombouctou est celui de tous les trafics en provenance de Gambie, de Guinée Bissau, du Liberia, de Côte d’Ivoire (depuis San Pedro), du Togo et du Nigéria. Les « mafieux » montent les trafics et, en bons gestionnaires, se préoccupent des approvisionnements et des débouchés, tandis que les Touareg sécurisent les circuits, organisent les réseaux, encaissent les « droits de passage » et que les notables maliens arborent leurs passeports diplomatiques plus souvent vrais que faux pour réclamer leur commission. « C’est pathétique, me dit Traoré. Le Mali est devenu le tombeau de notre espérance ».

Son Excellence, Monsieur l’ambassadeur du Mali auprès du Burkina Faso, à une réelle maîtrise des prolégomènes de la question touarègue, qu’il connaît bien. Et une vision quelque peu apocalyptique de la situation actuelle de son pays (qui deviendrait, en tant qu’Etat, tout aussi incontrôlable que l’est actuellement le Mexique, soumis à la volonté des cartels de la drogue). Il ne se voile pas la face et ne tire pas un trait définitif sur les responsabilités des leaders politiques maliens au cours des dernières décennies. Il n’hésite pas à mettre le doigt sur les contradictions qui minent non seulement le pays mais également l’Afrique de l’Ouest des rives de la mer Méditerranée aux rives de l’océan Atlantique. Il stigmatise les comportements des uns et des autres : MNLA, Ansar Dine, AQMI, MUJAO… mais aussi d’ATT et de Paris (notamment dans le cadre de « l’affaire Pierre Camatte »), de Doha... On peut partager ou ne pas partager le point de vue de Traoré ; on ne peut pas ne pas l’écouter alors que l’on entend si peu les Maliens s’exprimer sur leur pays. Quid des intellectuels maliens qui, voici peu de temps encore, « faisaient la roue » dans les médias français ? Quid de cette classe politique qui se préparait à l’alternance sans jamais se soucier de savoir dans quel état se trouvait leur pays ?

Dans ce contexte, il a une compréhension spécifique des événements du 22 mars 2012. Une armée sans moyens, rudement « meurtrie » par le massacre de ses hommes, « tirés comme des lapins » à Aguel’hoc, dans le Nord-Mali, avant même le déclenchement de la « rébellion touarègue ». Une armée qui, me dit Traoré, veut, désormais, « se regarder dans un miroir » et n’hésitera pas à aller à l’affrontement avec les groupes qui occupent le Nord-Mali au risque de « dérapages ». « La politique, c’est l’expression d’un rapport de forces. J’aurais été le capitaine Sanogo, j’aurais aussitôt attaqué Gao », me confie-t-il. Sanogo ? Voilà longtemps que je n’avais pas entendu le nom du capitaine auteur du putsch contre ATT le 22 mars 2012. Depuis qu’Amadou Haya Sanogo avait été nommé à la tête du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité, nomination en catimini révélée début octobre 2012. Le flamboyant capitaine, qui s’était vu, un temps, en chef d’Etat, était revenu, depuis, à un comportement plus en adéquation avec les multiples ratages à l’actif de la junte. Finalement, la seule conquête à son actif avait été la villa qu’il s’est fait construire à l’entrée du camp de Kati et dont on aime à dire, à Bamako, qu’elle est « la maison la mieux gardée du pays ».

Lundi 10 décembre 2012. Dans la soirée, j’embarque pour Paris. Avec en tête une interrogation concernant cet avertissement de l’ambassadeur Traoré que je résume ainsi : Sanogo va être amené à penser qu’il devrait aller seul reconquérir le Nord afin de reconstruire les institutions du Mali mises à mal par la classe politique du fait de ses connexions avec les « terroristes » et les « mafieux ». Mardi 11 décembre 2012. Sitôt débarqué, je me connecte au net. 8 h 52. L’AFP annonce l’arrestation puis la démission, sur ordre de Sanogo, du premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra. A Bamako, le pire est à craindre. Mais moins de vingt heures plus tard, Diango Cissoko sera nommé premier ministre par le président de la République par intérim : Dioncounda Traoré. En football, on appelle cela un « flip flap » ; un geste technique dont l’inventeur, dit-on, serait l’Algérien Salah Assad dans les années 1980 et vulgarisé, depuis par Ronaldinho et Zlatan Ibrahimovic. Bien joué.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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