Le 4ème vice-président du parti PDES (opposition), Sadou Harouna Diallo, a été, suivant arrêté n° 2510 du 29 juillet 2015, suspendu de ses fonctions de maire de Gao par le ministre de l'Administration Territoriale, Abdoulaye Idrissa Maïga, un ténor du RPM, le parti au pouvoir. Sur cette suspension de 3 mois et de questions diverses, le maire, avec lequel notre correspondant s'est entrenu à bâtons rompus, s'explique en termes vifs.
Dans la décision de suspension, le ministre Maiga reproche au maire "d'avoir permis l'aménagement de la berge du fleuve du Niger à Gao, faisant partie du domaine public de l'Etat, par divers actes administratifs de la Commune urbaine de Gao, sans autorisation d'occupation de ce domaine par l'autorité compétente". La décision ministérielle reproche également au maire "d'avoir cautionné par des manœuvres contraires aux procédures administratives reconnues par les Lois et règlements, l'occupation des lieux par le "GIE-Boney" qui en a effectivement disposé sans titre, ni qualité".
Le maire rejette les reproches en bloc
Contre ces griefs, le maire s'inscrit en faux. Il dit avoir demandé à des GIE d'aménager les berges du fleuve pour en faire "une belle corniche". La berge une fois aménagée, la mairie, ne pouvant l'entretenir, a fait un appel d'offres à la jeunesse de Gao aux fins d'y installer de petites caféterias, des bibliothèques et des jardins. Il y eut beaucoup de postulants qui, tous, s'engageaient à respecter les plans d'urbanisme. Avant que n'intervienne le choix des candidats autaurisés à occuper le site, le maire a voyagé sur la France. "Je n'ai signé aucun acte pour octroyer les lieux à qui ce soit. Je mets au défi le ministre de l'Administration Territoriale d'apporter la preuve de ma signature!", jure le maire. Qui révèle que c'est une session extraordinaire du conseil communal de Gao qui, en son absence, a décidé d'autoriser la construction de cafétérias sur la berge du fleuve. "La décision du ministre de me suspendre procède, en réalité, d'un règlement de comptes personnels. Lors de ma dernière altercation avec le ministre (les deux hommes ont failli se boxer en public, NDRL), il m'a dit qu'on n'était plus sous le régime d'ATT" et qu'il lui était désormais aisé de me chasser de la mairie de Gao".
Sadou relate: "Lors d'une de sa visite, le ministre Maiga m'a invité sur la berge du fleuve avec le gouverneur. Arrivés sur les lieux, il donne l'instruction verbale d'arrêter les chantiers de construction et demande au gouverneur de me sanctionner. Je lui fais comprendre que le gouverneur ne peut pas le faire car je suis un élu par mon peuple, et nhon un fonctionnaire nommé.".
Le maire décrit son bilan et charge le ministre Maiga
Sadou dit garder sa sérénité. "De nos jours, j'ai personnellement préfinancé pour dix milions de FCFA un chantier au bénéfice de la commune. Il s'agitd'un Monument de la Paix sis au rond-point de Gao: l'ouvrage, haut de 8 m, coûte 20 millions de FCFA au total. De toutes les mairies maliennes, celle que je dirige est la seule dont les employés n'accusent aucun arriéré de salaire: s'il manque de l'argent dans les caisses municipales, j'avance les salaires sur mes propres fonds. Dans des communes voisines de la mienne, il y a 7 mois que les travailleurs des collectivités ne sont pas payés. Je n'ai jamais loti ni vendu un m2 à Gao: tout Gao peut en témoigner. Je suis le seul des 703 maires du Mali à effectuer des missions d'intérêt communal sans jamais émettre un mandat pour prendre l'argent correspondant dans les caisses de la mairie. Depuis 6 ans que je dirige la mairie, je n'ai jamais pris 1000 FCFA de frais de mission alors que la loi m'autorise, pour mes éventuels déplacements à Bamako, à prendre 15.000 FCFA par jour de frais de mission. Je préfère financer mes déplacements de ma poche. Je n'ai jamais touché mes primes de maire: elles servent à payer les gardiens de la mairie. Alors, que me veut ce ministre ?".
D'un ton enflammé, Sadou poursuit: "Si le ministre parvient à prendre les décisions qu'il prend, c'est parce qu'il n'y a pas de loi dans ce pays ! Je suis un patriote qui a affronté le péril et parcouru le monde afin de demander de l'aide pour mon pays. D'autres se cachaient à l'époque ! Je viens d'obtenir un contrat de 120 millions de FCFA, financé par l'US-AID (agence de développement américaine), pour rénover l'ex- "Place de la Charia" (où les occupants jihadistes amputaient les citoyens, NDRL) à Gao et faire disparaître ce mauvais souvenir. Les travaux de rénovation finiront dans 15 jours et ce ministre me sanctionne juste pour que quelqu'un d'autre les inaugure ! Je rappelle avoir réhabilité les locaux de la mairie de Gao pour 35 millions de FCFA: l'Etat a passé des mois avant de me rembourser.J'ai trop travaillé pour mon pays et ma région pour qu'on me traite de la sorte! C'est simplement dû au fait que je ne suis pas militant du parti au pouvoir. On devrait se souvenir que je ne suis pas dans une opposition farouche au pouvoir! C'est moi qui ai aidé le RPM à gagner les 3 députés de Gao; j'ai jeté toutes mes forces dans la bataille en annonçant aux populations que si le RPM ne gagnait pas, je démissionnerais de la mairie. Ce n'est pas de cette façon qu'il faudrait me récompenser! Même si je peux représente un danger électoral pour le RPM et que je ne suis pas un cadre de ce parti, je suis dans une opposition constructive, je travaille pour ma région et le Mali".
Revenant aux motifs de sa suspension, Sadou reste droit dans ses bottes: "Ce dont le ministre Maiga m'accuse est faux; il ne m'a jamais donné le temps de lui expliquer ma version des faits.Il a saisi la justice qui a ordonné la démolition des ouvrages litigieux. Par ailleurs, il prétend que c'est le préfet de Gao qui a demandé de me sanctionner, ce qui est faux: le préfet m'a écrit pour me demander des explications sur les ouvrages de la berge; je lui ai répondu à travers 2 correspondances.".
Le maire défie le ministre
Sadou, très en verve, met en garde: "Une chose est de me relever, une autre est de prendre ma place! J'en suis sûr: la population de Gao n'acceptera jamais que quelqu'un d'autre s'assèye dans mon fauteuil! Je me suis donné à mon peuple avant que je ne sois maire; c'est ce que le ministre ignore. Alors que je collaborais avec son grand-frère à la voirie, j'ai démissionné en plein mandat car ce dernier me fatiguait à cause de ma popularité. Je suis un élu indépendant, et non un élu du PDES; mais comme, encore de nos jours, ce parti survit à Gao, le ministre en est jaloux, lui qui n'arrive même pas à restructurer son propre parti (le RPM) à Gao! Je suis plus écouté que lui au RPM puisque c'est moi qui ai permis à ce parti d'obtenir les trois députés de Gao ! Selon les calculs du ministre, si je reste maire jusqu'aux élections communales prochaines, j'aurai la maîtrise des élections et les gagnerai; il me suspend donc de mes fonctions dans l'espoir que son parti puisse gagner lesdites élections. Il me déclare la guerre! Ce qu'il oublie, c'est que je n'ai pas besoin d'être maire titulaire pour gagner les élections à Gao. Je suis PDES, je resterai PDES et je gagnerai les élections communales malgré les manoeuvres du ministre ! J'ai toujours conseillé à l'opposition de ne pas torpiller les actions du gouvernement, qui a trop de problèmes à gérer. Je suis convaincu qu'un jour, l'opposition aura le pouvoir : si elle torpille le pouvoir actuel, celui-ci la torpillera à son tour quand elle sera au pouvoir. On torpille un pouvoir quand le pays se trouve en sécurité, mais dans un pays comme le nôtre, il faut aider le président de la République. Le ministre Maiga n'a rien compris à cela, il ne connaît rien à la politique. Moi, je pouvais faire gagner les 3 députés de Gao à mon parti; mais je ne l'ai pas voulu, préférant aider le RPM: il ne faudrait pas me payer d'ingratitude! Le ministre fut directeur de campagne d'IBK; il sait ce que j'ai fait pour le RPM. Au moment où le pays patauge dans la merde, je pense qu'il faut aider IBK à l'en sortir. Je suis dans cette logique, qui est conforme aux conseils du président ATT. J'ai des amis au RPM, le ministre Bocary Tréta est un intime. C'est au pouvoir de nous tendre la main, et non d'essayer de nous torpiller, ce qui exacerbe l'opposition. Aujourd'hui, le Mali n'a pas besoin de syndicalistes véreux, d'une société civile véreuse, de religieux véreux: il a besoin de gens qui peuvent l'aider. Aider le président IBK à sortir le pays de la merde ! Je n'irai nulle part ailleurs; je reste fidèle à ATT. Je suis allé le voir sept fois à Dakar; il n'a pas cessé de me conseiller d'aider IBK à sauver le Mali. J'ai 60 ans, je n'ai rien à perdre car j'ai la confiance de la population de Gao. Je ne suis pas un politicien qui vit de la politique mais qui aide les populations. C'est pourquoi je suis maire.".
Le maire s'inquiète de l'insécurité
Sadou raconte: "Gao-ville est en sécurité, mais aux alentours règne l'insécurité. Les forains ne peuvent aller en dehors de Gao parce qu'ils seront braqués. Gao-ville est plus sécurisée que Bamako, car il s'y trouve toutes les forces ; sauf qu'à part la force française Barkhane, aucune autre n'effectue de patrouilles. Or, Barkhane n'est pas là pour chasser les bandits, mais plutôt pour traquer les terroristes. Les bandits, c'est l'Etat malien et la MINUSMA qui doivent s'en occuper: malheureusement, ces deux-là sont inertes ! Il n'y a pas 4 jours, 11 militaires ont été tués à Gouma-Rarhous, et le gouvernement va en congé le même jour sans s'en soucier !"
Propos recueillis par Abdoulaye Koné