Deux ans jour pour jour après l’enlèvement, par des djihadiistes au Mali, du français Gilberto Rodrigues Leal, ses frères et soeurs s’adressent ouvertement à ses ravisseurs. Dans un communiqué dont L’Express a pris connaissance en avant-première, ils réclament la vérité sur le sort de l’otage, considéré comme mort en avril 2014.
C’est un cri lancé dans le grand désert. La supplique qu’une famille française adresse aux ravisseurs d’un des siens. Il y a exactement deux ans, le 20 novembre 2012, Gilberto Rodrigues Leal, retraité français, était enlevé par quatre hommes armés, à Diéma, une petite ville à l’ouest du Mali. Voyageant seul à bord d’un camping-car, l’homme alors âgé de 61 ans venait de Mauritanie et comptait se rendre par la route jusqu’au Togo. Cinq jours plus tard, l’enlèvement était revendiqué par le Mouvement pour l’Unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) - une dissidence sahélienne d’Aqmi - dans une vidéo montrant l’otage s’adressant aux autorités françaises.
Jusqu’au 22 avril dernier, très peu d’informations ont filtré sur son sort. Ce jour-là, dans un appel téléphonique au bureau de l’AFP à Bamako, un djihadiste annonçait la mort de Gilberto Rodrigues Leal . "Il est mort parce que la France est notre ennemie", déclarait le dénommé Yoro Abdoul Salam, un responsable du Mujao. Le même jour, François Hollande confirmait qu’il y avait tout lieu de "penser que M. Rodrigues était décédé depuis plusieurs semaines du fait des conditions de sa détention."
Plus de rançons, officiellement
Depuis lors, aucune preuve irréfutable du décès n’a été apportée publiquement. Mais, entre la date de l’enlèvement et cette annonce, deux paramètres ont changé la donne au Sahel. En janvier 2013, l’opération Serval, menée par la France, a mis en fuite les groupes djihadistes armés occupant le nord du Mali. Dans le même temps, les autorités françaises déclaraient qu’elles ne verseraient plus de rançon en échange de la libération d’un de leurs ressortissants. Tout au moins officiellement...
Aujourd’hui, face au silence officiel entourant l’affaire, les frères et soeurs de Gilberto Rodrigues Leal lancent un appel à ses ravisseurs. Plus précisément à l’un de leurs chefs : Sultan Ould Bady. "Voilà désormais deux ans que vous et vos hommes avez enlevé notre frère, rappelle leur communiqué que L’Express a pu lire en avant-première. Le document ajoute: "Nous avons pu voir, après plusieurs de vos revendications lors d’attentats [la dernière date du mois d’octobre], que votre facilité à communiquer avec les médias français reste intacte, malgré l’intervention de la France. Pourquoi n’avez-vous pas revendiqué officiellement la mort de Gilberto ? Que lui est-il arrivé ?"
Gervaise, Irène, Annie, Alain et David, ses frères et soeurs, signataires du communiqué, poursuivent : "Nous vous demandons, à vous, à vos hommes, à tous les djihadistes au nord du Mali de sortir du silence afin d’éclaircir le sort de l’otage français."
Ravisseurs et narcotrafiquants
Leur appel a peu de chances de susciter une réponse directe. Mais l’essentiel est ailleurs: il sort de l’oubli le nom de Gilberto Rodrigues Leal. Et il permet de remettre en lumière les zones d’ombre entourant sa disparition.
Qui sont exactement ses ravisseurs ? L’identité exacte de Sultan Ould Bady, l’un de leurs chefs, reste incertaine. L’homme, un arabe de la tribu Lamhar, originaire de la région de Gao, était un membre d’Aqmi, avant de rallier le Mujao en 2011. Djihadiste, Ould Bady est aussi lié aux narcotrafiquants qui contrôlent les routes transsahariennes de la cocaïne. Ces gangs tirent de juteux revenus en pratiquant le rapt d’otages contre rançon, ainsi qu’en touchant des commissions pour leur rôle d’intermédiaire dans les négociations préalables aux libérations.
A deux reprises, les 26 et 29 janvier 2013, l’un des chefs du Mujao, Abou Walid Adnan Al-Sahraoui, avait informé l’AFP de sa volonté de négocier à propos de Gilberto Rodrigues Leal avec les autorités françaises. Autrement dit, de tenter de soutirer quelques millions d’euros dans un sordide marchandage. Ces approches ont-elles été suivies de contacts directs, de rencontres secrètes, via des intermédiaires ? Impossible à dire : toute divulgation d’informations aurait aussitôt coupé net les éventuelles négociations.
Un membre du Mujao arrêté, puis relâché.
L’itinéraire d’un autre acteur de l’affaire "Gilberto Rodrigues Leal" est pour le moins troublant. Le membre du Mujao qui avait annoncé par téléphone la mort de l’otage se présentait sous le pseudonyme "Yoro Abdoul Salam". Curieusement, cette annonce avait ensuite été démentie par Abou Walid Adnan Al-Sahraoui, celui là-même qui, l’année précédente, avait fait savoir qu’une négociation était possible. Pourquoi démentir cette mort ?
Peut-être parce que le Mujao, ciblé par l’opération Serval, n’avait aucun intérêt à annoncer que l’otage, sujet du chantage et sorte d’"assurance-vie" pour ses ravisseurs, était décédé. Autre ambiguïté : Yoro Abdoul Salam ne serait-il pas en réalité Yoro Ould Daha, qui fut l’impitoyable chef de la police islamique du Mujao à Gao, durant l’occupation du nord du Mali par des groupes armés, entre mai 2012 et le début de 2013 ?
Yoro Ould Daha a été arrêté dans la nuit du 28 au 29 juillet dernier par les militaires français, avant d’être remis à la gendarmerie malienne. Cette dernière l’a libéré dix jours plus tard... comme plusieurs autres chefs de groupes armés, dont les mouvements participent actuellement aux négociations de paix pour le nord du Mali. Les Français ont forcément interrogé Ould Daha avant de le confier aux autorités de Bamako. Yoro aurait-il parlé de Gilberto Rodrigues Leal ? Mystère.
A défaut d’obtenir une preuve irréfutable, la mort de l’otage français, bien que tenue pour certaine, n’est toujours pas élucidée. Ses frères et soeurs terminent ainsi leur adresse au Mujao: "Nous attendons depuis deux ans un signe de votre part, nous réitèrerons notre demande jusqu’à ce que la vérité soit dite. Gilberto Rodrigues Leal était un homme bon et loyal."
Par Boris Thiolay