Procèdent à la présentation de son nouvel opus de 12 titres sur la radio France internationale, Salif Keita, le rossignol du manding. A présenté “Talé”, son nouvel opus qui inaugure des sonorités inhabituelles, tout en gardant cette identité mandingue que son public lui connaît bien. La star de la musique manding se prononce sur l’interdiction dans le nord du Mali occupé par des groupes islamistes.
Question: Que signifie le titre de votre nouvel album ?
Salif Keita : «Talé» désigne l’appartenance personnelle, la propriété privée. Ce terme évoque l’intérêt pour l’argent et le fait que ce dernier s’est immiscé partout, même jusqu’au sein de la famille. Dans cet album, je parle de cet argent que l’on a créé et qui veut nous commander, nous rendre esclaves.
Q : De quel genre musical relève cet album : jazz, afro pop, électro ou tout simplement world music?
S.K : Quelle musique n’appartient pas au monde ? La musique des Beatles n’est-elle pas une musique du monde ? La world music n’est qu’une appellation créée par le show-business afin de mettre la musique africaine dans un tiroir. Pourquoi vouloir enfermer la musique dans des cases ?
Q : Vous avez annoncé que Talé serait votre dernier album, pourquoi ?
S.K : Ça fait déjà longtemps que je joue. Aujourd’hui, la musique ne nourrit plus son homme à cause du téléchargement illégal et du piratage. À peine un disque est-il mixé qu’il est recopié ! Et puis notre culture n’admet pas qu’un homme pratique ce métier jusqu’à sa mort. Je vis dans un pays musulman où l’on croit encore que mourir musicien c’est périr dans une situation satanique. Une fois mort, on peut jeter votre corps. Personne ne viendra vous enterrer, sauf peut-être votre famille, car l’on considère qu’un musicien n’a aucun mérite.
Q : L’islam et la musique ne sont donc pas compatibles ?
S.K : Si, l’islam et la musique le sont en principe. Tous les pays arabes ont produit de grands musiciens. Mais nous sommes confrontés à une mauvaise interprétation du Coran dans les pays musulmans subsahariens. On estime à tort que jouer de la musique c’est appeler Satan. Ceux qui interdisent la musique dans le nord du pays ne sont pas de vrais musulmans. Ce sont des bandits, des mafieux, des vagabonds et des vendeurs de drogue. On ne peut pas être musulman et violer des femmes. Ce n’est pas la religion, ça ! Les politiques ont menti à la population, ils ont laissé le pays à la disposition des envahisseurs.
Q : Avez-vous reçu des menaces de la part de responsables religieux ?
S.K : Non, mais chaque fois que j’évoque ma retraite, cela fait plaisir aux religieux. Ils me disent qu’arrêter la musique c’est revenir à Dieu. Peut-être ai-je trop de pouvoir avec la musique...
Q : Quel regard portez-vous sur la crise que traverse votre pays?
SK : Les politiques ont menti à la population du Mali, ils ont laissé le pays à la disposition des envahisseurs. Nous sommes en présence d’un serpent à trois têtes : le président, le putschiste et le Premier ministre qui a les pleins pouvoirs. Pour sortir de cette situation, il faut organiser des élections, établir un gouvernement régulier et l’aider avec le soutien de la communauté internationale.
Q : Votre club, le Moffou, est-il toujours aussi fréquenté malgré la situation ?
S.K : Bamako est devenu triste, alors, certains week-ends, j’y donne quelques soirées. Les Maliens sont habitués à faire la fête et, malgré la situation, ils vont danser. Chacun de mes concerts se joue à guichets fermés.
Q : Quel est l’état de la musique malienne aujourd’hui ?
S.K : Elle éclate partout dans le monde, il n’y a pas un festival qui ne se produise sans deux ou trois artistes maliens. Nos chanteurs font le tour du monde et ont prouvé que les musiques africaines et maliennes n’ont pas de frontières. Si la musique n’avait pas été là, je crois que je me serais suicidé.
Q : Quel regard portez-vous sur l’ensemble de votre carrière ?
S.K : Je trouve que j’ai eu de la chance de connaître une belle carrière. Je remercie tous ceux qui m’ont applaudi et encouragé. Et même ceux qui ne m’ont pas aimé, car j’ai tenu compte de leurs critiques pour m’améliorer. Si la musique n’avait pas été là, je crois que je me serais suicidé. Elle représentait mon seul et unique refuge lorsque j’ai quitté l’école.
Q : Quels sont vos projets à présent ?
S.K : Je veux être cultivateur, je l’ai toujours dit d’ailleurs. J’ai acheté des terres dans mon village natal de Djoliba, à 40 km de Bamako. Je suis fils de cultivateur et moi-même cultivateur. Dans notre famille, l’agriculture et le rapport à la terre ont toujours été présents.