Le bilan des deux ans du Président Ibrahim Boubacar Keïta est loin d’être l’œuvre du chef d’Etat qu’il avait promis d’être, celui qui jurait de restaurer l’honneur et la dignité de son peuple. Le régime de fermeté qu’attendaient les Maliens est mort-né, surtout avec le pourrissement de la situation sécuritaire du pays, au point qu’on se perd entre le terrorisme et le grand banditisme tout court. Pour ne rien arranger, les pratiques de mauvaise gouvernance décriées ont refait surface avec plus d’acuité et une ampleur rarement égalée. Retour sur les faits.
Septembre 2013, IBK arrive au pouvoir, fort d’un immense soutien populaire au suffrage universel. Des électeurs éprouvés par une crise aiguë s’étaient mobilisés en sa faveur pour « la restauration de l’honneur et de la dignité » des Maliens. Mais les supporters du nouveau chef d’Etat ont très vite déchanté avec un premier évènement fâcheux: la formation d’un Gouvernement sous l’emprise de la famille présidentielle.
Or, de mémoire de Maliens, on n’avait jamais vu un régime avec un tel degré d’implication de la famille du Président dans les rouages de l’Etat. Parmi les ministres, il y a avait un neveu d’IBK, des amis d’un des ses fils et des proches de la Première dame. Et le caractère dynastique du nouveau pouvoir allait être complet avec l’émergence de Karim Keita, fils aîné du chef de l’Etat, parachuté à la tête de la Commission Défense de l’Assemblée nationale, qui « coïncida» avec l’élection du beau-père de ce dernier à la présidence de l’institution parlementaire.
Quelques mois plus tard, la déception des Maliens s’amplifiait avec les premières révélations sur l’implication de certains proches du Président Keita dans un scandale de surfacturation. L’affaire qui a eu un grand écho dans la presse a été assez embarrassante pour le pouvoir lorsqu’il s’est avéré qu’un réseau, fait de ministres alliés du Président et de conseillers au Palais, avait intérêt dans des marchés publics dont certains étaient relatifs à des dépenses pour acquérir un avion présidentiel et des équipements militaires. Les différents rapports d’enquêtes produits parlent de surfacturations d’environ 40 milliards de francs CFA. A cela, s’ajoutent d’autres cas d’enrichissement illicite comme plus récemment celui du marché de fourniture d’engrais aux paysans. Dans le premier scandale, les intéressés se sont défendus comme ils le pouvaient, mais ils n’étaient pas en mesure de convaincre les Maliens de la rationalité de l’achat d’une seule paire de chaussettes à 30 000 francs CFA.
Ces faits ont donc donné raison aux détracteurs du Président IBK, qui demandaient à ce que le Gouvernement soit affranchi de la famille présidentielle. D’autres faits allaient leur donner raison, dont la gestion de la crise sécuritaire du pays, particulièrement l’attitude du Président face à un accord de paix signé en juin 2013. Cet accord dit de Ouagadougou avait quand même permis la tenue des élections présidentielle et législative et le déploiement de l’armée malienne sur l’ensemble du territoire national, avec une présence même symbolique jusque dans la ville de Kidal.
L’urgence pour le premier Gouvernement devait donc être l’achèvement de l’application de cet accord, en poursuivant le dialogue un mois après la prise de fonction de Ibrahim Boubacar Keita à la tête du pays. Mais IBK a fait table rase de l’accord de Ouagadougou, posant comme préalable le désarmement des groupes armés qui s’étaient engagés dans le processus de paix.
La position du Président IBK, quoique légitime, a eu comme conséquence le ralentissement des négociations de paix. Ce qui provoqua le pourrissement de la situation sécuritaire, qui ne concerne plus que le nord du Mali et les groupes terroristes.
Certes, l’accord d’Alger signé en juin dernier est un espoir de retour définitif à la paix, mais il arrive un peu tardivement. En effet, son application reste problématique et les djihadistes ont eu le temps de se glisser vers d’autres zones du pays entretemps. Pire, le grand banditisme prend son lit dans tout le pays avec des attaques armées contre des postes de contrôle jusqu’au plein cœur de Bamako et contre des véhicules de forains en brousse, faisant des victimes militaires et civiles. En somme, la gouvernance du Mali a été piégée pendant les deux dernières années. Et beaucoup d’observateurs pensent que l’entourage du Président Keita y est forcement pour quelque chose.
Soumaila T. Diarra
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AN II d’IBK au pouvoir : Les acteurs politiques se prononcent
Ce 4 septembre 2015 seront celebré les 2 ans de gestion de IBK pour son premier quinquennat. Plusieurs acteurs politiques( majorité presidentielle et opposition républicaine) interrogés sur les sentiments qui les animent à la veille de cet évènement cachent difficilement leur deception. Meme si certains continuent de nourrir l’espoir d’une vie meilleure sous IBK, le constat général est que sa gestion du pouvoir demeure « catastrophique ». Lisez les réactions des leaders politiques que nous avons interrogés pour la circonstance.
* Nankoma Keita, Secrétaire politique du Rassemblement Pour le Mali (RPM) : « Deux années très difficiles, très laborieuses, mais qui inspirent confiance et suscitent de l’espoir»
Deux années très difficiles, très laborieuses, mais qui inspirent confiance et suscitent de l’espoir. Pourvu qu’on soit de très bonne foi, c’est très difficile, mais il faut apprécier les efforts qui sont en chantier. Vous n’oubliez pas qu’on a pris un pays avec un héritage économique, institutionnel, sécuritaire et politique très difficile. Et donc les efforts sont à apprécier par rapport à cette donnée là. Je pense que beaucoup de choses sont en cours et beaucoup d’actes ont été posés qui permettent d’espérer pour l’avenir. La solution ne dépend pas d’un homme, elle ne dépend pas d’un parti, elle ne dépend même pas du Gouvernement en place. Ça dépend de la confiance, de la cohésion et de la convergence dans l’effort. Aussi, comme le Président l’a dit dans son engagement électoral, c’est toujours la transparence qu’il faut exiger ; c’est toujours la bonne gestion, la bonne gouvernance qu’il faut exiger et le contrôle. Il ne faut pas qu’un pays soit sans contrôle ; s’il n’ya pas de contrôle, il n’y aura pas de résultats. Tout est difficile, mais ce n’est pas au dessus des moyens des Maliens.
* Lassana Koné, 4ème vice-président de l’Union pour la République et la démocratie (Urd) : ‘’ La seule chose dont le Président IBK peut se glorifier durant ces deux années au pouvoir est la signature de l’accord pour la paix. Malheureusement, cet accord se heurte à des contraintes ».
La seule chose dont le Président Ibrahim Boubacar Keïta peut se glorifier durant ces deux années au pouvoir est la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Malheureusement, cet accord se heurte à des contraintes. Tout le monde croyait qu’avec cet accord, il y aura la paix. Mais les affrontements de Ménaka et d’Anéfis montrent les limites palpables de l’accord. Rien n’a changé dans la gouvernance financière. On donne les dossiers aux juges, mais plus rien ne se passe. Le scandale de l’avion présidentiel et la surfacturation des équipements de l’armée sont flagrants. Chacun bouffe comme il veut. Pour des raisons politiques, on veut organiser les élections communales, régionales et du District de Bamako le 25 octobre 2015 ; or, il y a des contraintes. Le ministre en charge des élections dit que le scrutin se tiendra « là où c’est possible ». Tout le monde est en insécurité au Mali et, au lieu de sécuriser les populations d’abord, le gouvernement veut organiser les élections. La solution aux différents problèmes est de mettre en exécution le calendrier du Comité de suivi de l’accord. En plus de cela, il faudra le retour des refugiés et déplacés. La priorité maintenant au Mali est de vaincre l’insécurité. Economiquement, ça ne va pas. Avec l’insécurité, les investisseurs ne viennent pas.
* Sékou Diakité, vice-président de la CODEM : « Le Président IBK a pu préserver l’essentiel »
Pour parler du bilan du Président IBK, il faut d’abord se rappeler le contexte dans lequel il est arrivé au pouvoir. IBK a pris le pouvoir dans un contexte particulièrement difficile, où le pays venait en partie d’être libéré des groupes djhadistes, où le pays venait aussi de sortir d’une année et demie de coup d’Etat, avec toutes les conséquences que l’on sait. C’était dans un contexte extrêmement difficile. Aujourd’hui, en termes de bilan après deux ans, on peut dire que le président IBK a préservé l’essentiel par rapport au fait qu’il a pu signer un document d’accord de paix pour la réconciliation nationale. Ce qui est une grande priorité aujourd’hui aux yeux des Maliens ; il a pu aussi enclencher la réforme nécessaire des Forces armées et de sécurité du Mali ; d’où l’adoption d’une loi de programmation militaire. Sur le plan économique, ce n’est pas l’embelli mais on peut aussi dire que la situation macro-économique est stable.
La situation sociopolitique du pays est difficile. Malgré la signature d’un accord de paix, aujourd’hui le pays connaît une situation d’insécurité grandissante et aucune partie du pays n’est épargnée. Avant, on parlait de l’insécurité au Nord du pays ; mais, aujourd’hui elle s’est transportée un peu partout au Sud et au Centre et sous des formes plus pernicieuses, d’où notre inquiétude. L’on n’aurait aussi aimé voir le secteur économique plus dynamique qu’il ne l’est actuellement, mais cette situation peut changer avec le temps. Il faut garder le cap pour essayer de mettre en œuvre l’accord de paix, même s’il n’est pas parfait. Loin de là. Mais, ce sont les engagements que le gouvernement du Mali a pris avec le soutien de la Communauté Internationale. Il faut que cet accord de paix soit appliqué pour que la paix revienne. Il faut aussi poursuivre les efforts pour que l’économie puisse redémarrer et que le gouvernement puisse faire face au chômage des jeunes, qui est aujourd’hui une question cruciale.
* Amadou Koïta, président du Parti Socialiste Yéelen Coura : ‘’Les préoccupations des Maliens restent les mêmes durant les 2 ans d’IBK au pouvoir’’
Durant les deux années de la gestion du Mali par le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), les préoccupations des Maliens restent les mêmes. La paix et même la sécurité semblent toujours hors de portée. Nous nous interrogeons toujours sur la situation du pays. La situation économique reste préoccupante. Les Maliens vivent dans des conditions difficiles dues à l’ascension vertigineuse du prix des produits de première nécessité. Fort heureusement qu’il y a une classe politique responsable et républicaine au Mali, surtout l’opposition. Malgré l’annonce de la croissance économique, la cherté de la vie persiste toujours. Le mois de carême fut extrêmement difficile pour les Maliens. Tout cela interpelle tout le monde. La route qui est l’un des facteurs de croissance économique peine à se développer ; pour preuve, la route Bamako-Didiéni est quasiment impraticable. Nous osons espérer que l’an trois d’IBK sera meilleur. Pour trouver une solution idoine aux différents problèmes, il faut une volonté politique affichée, une bonne gouvernance, moins de corruption, que les revenus du pays soient judicieusement utilisés et que l’intégration de tout le monde dans la gestion des affaires du pays se réalise.
* Ousmane Ben Fana Traoré, Président du Parti Citoyen pour le Renouveau (PCR) : « Aujourd’hui, il y a beaucoup de considération pour les Forces armées et de sécurité dans le pays »
Le Président fait beaucoup d’efforts. Je prends d’abord les questions de sécurité. Aujourd’hui, il y a beaucoup de considération pour les Forces armées et de sécurité dans le pays. On sent la considération politique ; les efforts sur le plan matériel ; on sent également que beaucoup d’efforts sont faits pour déployer des forces sur le terrain ; cela est extrêmement couteux, mais on sent que c’est soutenu par une volonté du Président de la République. L’armée a été équipée et c’est extrêmement important ; le moral de nos soldats est au beau fixe ; le soldat malien a cessé de fuir, il faut reconnaitre cela. Aujourd’hui, ils sont en train de mourir pour le pays et pour le drapeau. L’opposition est libre, elle joue son rôle. Elle n’est pas bâillonnée, ni emprisonnée ; au contraire, l’opposition vient d’avoir un statut dans le Mali, et ça, c’est une avancée extraordinaire. La classe politique est libre de s’exprimer, la majorité de ceux qui ont soutenu aussi le Président, dont certains étaient candidats, sont aujourd’hui dans le gouvernement pour travailler avec le Chef de l’Etat ; ça aussi c’est une réalité. Donc, ça veut dire quelque part qu’il y a une majorité et une opposition, ce qui montre l’avancée de la démocratie. La presse malienne aussi n’est pas bâillonnée, comme lors du coup d’Etat. Aujourd’hui, il y a l’accord de paix ; il entre dans le bilan extraordinaire du Chef de l’Etat parce qu’il a su garder la ligne rouge en disant que le pays ne sera pas divisé, alors que le pays était presque divisé. C’est un élément fort qu’on peut considérer comme une réussite sociale. Sur le plan économique, il va de soi que cela va entraîner le reste. Le FMI et la Banque mondiale nous ont donné il y a quelque mois un taux de croissance de 3 à 4%. Ensuite, le dernier élément est l’impartialité du Chef de l’Etat, ce n’est pas un Chef d’Etat affairiste. Il a su garder ses distances et préserver sa position de Chef d’Etat.
Aujourd’hui, il va de soi que la solution ce n’est pas seulement le Président de la République. La solution c’est la mentalité même du Malien. Les Maliens doivent évoluer dans leurs mentalités parce que le Mali n’est pas seul dans le monde. Nous devons être jaloux des autres pays, à un moment donné, que ça soit les cadres, les intellectuels, même les operateurs économiques du pays ; on a un problème en tant citoyens maliens.
Propos récuillis par : Ousmane Baba Dramé, Aguibou Sogodogo, Moussa Dagnoko